Reveillée à quatre heures du matin, impossible de me rendormir, j’étais hantée par la fin de Georgette, et par la confiance et l’amour qu’elle continuait à me témoigner, accrochée à ma main, ronronnant à la moindre caresse. Elle est partout, dans chaque pièce, ou plutôt, elle est terriblement nulle part, et je me rends compte à quel point elle tenait de la place, sans jamais s’imposer. Quand je m’éveillais la nuit ou le matin, la première chose que je faisais, c’était de tâter près de moi la fourrure de Georgette, elle était partout où j’étais, et cela depuis quinze ans.
Je devais aller chez le père Ioann, pour la naissance de la Mère de Dieu, c’est la fête votive de son église. En confession, je lui ai parlé de ma peine. Il m’a dit que tous ceux que nous aimons nous accompagnerons là bas, et aussi que peut-être, je n’avais pas la solidité émotionnelle pour me charger de ces petites vies, et c’est bien possible, mais les petites vies ne m’ont rien demandé. Georgette s’est jetée autrefois sur moi comme sur une planche de salut, et comme me l’a dit Serioja, auquel je pensais l’avoir casée, elle m’avait choisie, et ne m’a jamais lâchée. Il se passe une chose étrange, depuis qu’elle est morte, et même quand elle était malade, une fois sur deux je l’appelle Zonzon au lieu de Georgette. Zonzon était une petite chatte comme elle vaguement tricolore, avec laquelle j’avais aussi une relation fusionnelle et complice, mais que j’avais laissée à maman quand j’étais partie travailler en Russie, car elle était très malheureuse en appartement, et je ne savais pas où j’allais loger, je logeais au début dans la cuisine d’une amie. Elle ne me l’avait pas pardonné, elle disparaissait quand je venais, et reparaissait quand j’étais partie. Et puis elle s’est fait écraser devant la ferme, et j’en avais de grands remords. Et voilà que Zonzon et Georgette, que je n’ai jamais laissée, sauf pour aller renouveler mes visas, se rejoignent de cette façon mystérieuse. J’aurais dû aller plus tôt mettre un terme à l’agonie de Georgette, sa réaction la première fois que je m’y étais décidée m’avait tellement bouleversée que je n’en retrouvais pas le courage. Mais peut-être avait-elle justement encore quelque chose à me dire, ou à faire, m’amener Zonzon, par exemple..
Le blogueur Victor a fait une émission sur le père Ioann, son église, et m’a intégrée dedans. Après l’office, les paroissiens ont pris un petit repas ensemble, l’un d’eux a joué de la guitare et chanté des romances russes typiques, peut-être même soviétiques, mais imprégnées de nostalgie et de douceur, tout ce que ne connaissent plus les amateurs de rap et de variété de bas étage qui m’assomment en permanence. C’était très chaleureux, mais j’étais décalée par le chagrin. Pendant la procession, je songeais que je pourrais peut-être m'acheter une concession dans le cimetière attenant, il est près de la route, mais le bruit ne me dérangera plus, et au moins, c'est un endroit chrétien, de dimension modeste.
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Au retour, j’ai
été accueillie par le vacarme d’une fête chez le voisin d’à côté et des travaux
chez celui d’en face. La pauvre isba de l’oncle Kolia est à présent
complètement défigurée et contrefaite, on dirait qu’il lui a poussé une tumeur
ou qu’on l’a affublée d’un carcan. Hier soir, la pleine lune se levait au
dessus dans un ciel mauve, mais cette excroissance hideuse me tirait sans cesse
l’oeil sur le côté. J’essayais de détourner le regard, comme on le fait devant
une femme éborgnée ou vitriolée. Ces derniers beaux-jours m’ont été
complètement empoisonnés par le bruit, en sus de la maladie de Georgette. Aujourd’hui,
il fait nettement plus frais, mais il y a encore du soleil. Cette nuit, il fera
4° et seulement 13, déjà, demain. C’est l’équinoxe, le début de la descente
dans les ténèbres.
Photos Victor. Je n'ai toujours pas appris à nouer un foulard. C'était plus facile avec les cheveux longs. |
C'est drôle, ce dernier portrait. Il m'a rappelé cette photo de ma lointaine enfance. Quelque chose en moi n'a vraiment pas changé...