Translate

mercredi 12 février 2020

Portrait

La tempête de neige a laissé la place à un temps mou et gris, avec un sol glissant et visqueux. J'ai des choses à faire et je procrastine, car tout me paraît insurmontable. Je me suis laissé convaincre d'héberger des amis que leur proprio met à la porte, ce sont des gens tout à fait corrects mais je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée ni ne sait combien de temps cela durera. J'envisage de louer à l'année si j'en ai la nécessité financière absolue, et pour ce faire, il me faudrait complètement isoler la partie des locataires, si je veux m'éviter des accès de sadisme... en attendant, je peux en avoir besoin pour des hôtes provisoires, français, ou autres.
J'ai fait tapisser les toilettes des hôtes par la soeur de l'électricien, Olga. J'avais pris le seul papier peint qui n'était pas hideux, une imitation de carreaux blancs et rouges, gaie,claire et sans prétention. Le reste n'était que couleurs sinistres, débauche de dorures, fleurs géantes viôlatres, rosâtres, verdâtres qui avaient quelque chose d'inquiétant et de carnivore... "Quelle importance, pour les toilettes?" me dit Olga. Eh bien même aux toilettes, je n'ai pas envie de me sentir guettée par de grosses fleurs carnivores aux nuances de viande écorchée.
Olga est très remontée contre le gouvernement, elle a du mal à vivre. Elle dirige le choeur d'un monastère, fait du bricolage chez les uns et les autres, elle a des chèvres et des poules. Ce qui la gêne pour se faire embaucher quelque part, c'est sa fille, dont elle veut pouvoir s'occuper.
J'ai reçu une lettre, une vraie lettre par la poste, de mon amie Claire, de Cavillargues. Qu'est-ce que j'en ai échangé des lettres, dans ma vie! C'est même un genre littéraire que j'affectionne. Et là, j'en ai perdu l'habitude, les chroniques me tiennent lieu de lettres collectives, de lettres ouvertes mais on n'en attend pas la réponse, qui arrive cachetée avec un timbre dessus et une adresse au dos qui évoque un endroit plein de souvenirs. Cette lettre a voyagé moins longtemps que je ne pouvais le craindre, une petite quinzaine de jours.
Elle me dit qu'à Solan, la jeune novice va prononcer ses voeux dans quelques jours. Cette jeune fille a eu la vocation dès l'enfance, et je l'ai toujours trouvée d'une étonnante pureté, "une belle petite âme", me disait la mère Hypandia. Oui, une belle petite âme à qui j'adresse toutes mes félicitations.
D'après la rumeur publique, Solan ne prend pas position dans le conflit entre les deux patriarcats, ce qui est sans doute beaucoup plus confortable pour les gens d'avis différents qui en constituent les fidèles, et qui sont tous attachés au monastère et à ses soeurs.
J'ai commencé un roman, qui sera une sorte de caricature du monde actuel et une réflexion sur ce qu'il lui arrive, mais pour l'instant, je ne peux pas dire où il va m'embarquer, car les romans font ce qu'ils veulent et quand ils veulent. Ils sont reliés à des tas de choses, qui ne proviennent pas forcément de leur auteur, l'auteur lui-même se transforme en une sorte d'orgue mystérieux dont il ne connaît pas toutes les voix, en un vitrail qu'anime peu à peu la lumière, ou en un réseau de souterrains et de caves dont il ne connaît pas la profondeur, ni les éventuels débouchés.
Je regrette de ne pas avoir consacré ma jeunesse à écrire quand je le pouvais, avant l'école, mais j'étais alors nouée par l'angoisse du lendemain, et le désir obsessionnel et désespéré de trouver mon complément masculin, qui ne s'est jamais présenté, ou ne m'a pas reconnue. Ensuite, je crois avoir été bloquée par la nécessité psychanalytique ou peut-être mystique, médiumnique, de mener à leur terme Yarilo et Parthène le Fou.
C'est comme cela, au moyen âge, je n'aurais pas écrit des romans, j'aurais peut-être inventé des contes, des poèmes, des chansons. Au XXI° siècle, on se demande pour qui on écrit, si notre langue n'est pas déjà morte, si les gens seront encore capables de lire et s'ils en auront même besoin. On écrit aussi quand on en a enfin le loisir, car il en faut, pour cela. Certains écrivent jeunes et meurent jeunes, j'espère avoir le temps d'écrire ce qui doit l'être, avant d'être trop vieille.
J'ai vu une vidéo terrifiante, où l'on faisait rencontrer à une femme la reconstitution de sa fillette morte trois ans auparavant, avec un public qui essuyait des larmes d'émotion devant l'émoi suscité, chez la maman, par cette illusion cruelle. Il m'est arrivé à moi-même de pleurer devant de vieux films où je voyais des êtres chers disparus depuis longtemps et qui m'étaient restitués sous forme de spectres, avec leurs expressions, leurs mouvements, le décor de lieux qui ont complètement changé... On ne peut s'empêcher de regarder ce genre de choses, c'est trop tentant, et c'est pourtant si douloureux. Mais je ne crois pas que je franchirais le pas d'une pareille expérience. On touche là à quelque chose d'interdit, de dangereux, de terrible.


Cette problématique apparaît avec les portraits réalistes et trouve une sorte de concrétisation démoniaque dans cette fausse rencontre avec la fillette morte.
Je l'avais décrite dans Parthène, quand mon héros anglais retrouve le portrait réaliste, façon renaissance, qu'il avait fait de son ami Fédia, mort depuis en exil, et le montre à sa famille, dans une civilisation qui ne connaît encore que les représentations iconographiques:


Le père Arthème fit signe à sa femme. Elle fit apporter un grand rectangle enveloppé d’un drap, et le père Arthème dévoila son œuvre.

Il vit aussitôt tout le monde changer de visage. Le tsar avait pâli, et son regard élargi se détourna brusquement pour se poser sur Vania, qui restait bouche bée ; le tsarévitch Féodor se signa, Varia joignit les mains sous ses yeux fixes, et l’essentiel de l’assistance se mit à pleurer. Seul Boris Godounov restait impassible, entre l’ironie et le dédain, à se demander visiblement ce qu’il faisait en une telle compagnie, face au portrait de celui qui eût pu se trouver encore à sa place, s’il avait eu les nerfs plus solides et la tête moins folle. Les deux fils Basmanov enlacèrent leur mère, qui sanglotait. Ils s’approchèrent tous trois pour toucher le tableau, comme s’ils avaient voulu vérifier que l’illusion n’en était pas une, et que le cher disparu leur était vraiment rendu. Car c’était bien lui, comme ils ne l’avaient pas revu depuis des années, depuis le moment où ils l’avaient mis en terre, et même depuis celui où il avait quitté avec eux, pour n’y plus revenir, la maison où avait vécu  le père Arthème. La toile plate ne leur rendait qu’un reflet, étonnement fidèle, mais sans relief, sans mouvement, et leurs mains, qui se déplaçaient sur cette surface déconcertante, sur ces étoffes qui n’en étaient pas, sur ces peaux et ces cheveux dont elles ne retrouvaient pas la douceur, se rencontraient et se croisaient, leurs regards noyés s’échangeaient et se séparaient, avant de revenir à celui qui était fixé là et qui semblait les contempler depuis un autre espace. «Papa… » exhala Vania qui sentit soudain le tsar le tirer en arrière avec force, comme le jour où il l’avait arraché à la tombe du monastère Saint-Cyrille. «Ca suffit ! s’exclama ce dernier. C’est… c’est insupportable ! Emportez cela !»

Mais Varia s’empara du tableau et le serra farouchement contre elle : « Souverain, ne me le prends pas ! Ne me le prends pas une deuxième fois ! »

Le tsar ne sut tout d’abord que répondre, et resserra son étreinte sur son jeune barde éploré : «Varvara,  c’est à toi de voir… tu projettes de te retirer au monastère, y emporteras-tu l’effigie de ton mari défunt ? »

Varia redoubla de larmes, tout à fait comme une fillette désespérée. Consternée, Dounia lui retira le tableau et le recouvrit de son drap. «Ne me le prends pas, Dounia… supplia Varia, je veux le garder quelques temps, juste quelques temps…

- Je vais le mettre de côté jusqu’à ton départ, Varioucha, nous sommes tous encore trop émus pour en supporter la vue… »

Le père Arthème sentait sur lui s’amasser la colère du tsar qui ne le quittait pas de son œil d’aigle, un aigle déplumé et vieilli, mais toujours impressionnant.

«Maman, tu me le donneras, quand tu partiras au monastère ? supplia tout-à-coup Vania d’une voix à peine audible.

- Père Arthème, déclara soudain le tsar, j’espère pour toi que tu ne vas pas me sortir le portrait d’Ivan tsarévitch, car je ne pourrai pas me retenir de te fendre le crâne ! »

Les invités reprirent leur place. Féodora avait elle-même pleuré, par solidarité avec Vania, par compassion pour le beau jeune homme mort prématurément, et pour sa veuve inconsolable. Elle était sûre que si elle devenait la femme de Vania, et qu’il lui était enlevé, elle se laisserait mourir sur sa tombe.

Boris Féodorovitch fit distribuer de l’hydromel à tout le monde, et l’on but à la mémoire de Fédia. Le calme revint autour de la table, mais l’émotion restait sensible, les yeux bouffis, les soupirs et les reniflements récurrents.

« Tout ceci m’apporte la preuve évidente que la forme d’art à laquelle vous vous adonnez là bas, chez les hérétiques, est tout-à-fait nocive, proféra le tsar. Elle nous fait vivre dans une illusion, et l’illusion vient du diable. 

- Sans doute, souverain, et j’y ai d’ailleurs renoncé, répondit le père Arthème.

- Eh bien tu aurais dû brûler aussi ce maudit portrait.

- C’est un beau portrait, et j’aurais eu l’impression de faire mourir Fédia une seconde fois. On a fait pourtant le tien, souverain, et tu n’y trouves rien à redire.

- Oui… C’est juste une indication, où l’on peut voir la forme de mon nez, de mon visage et de mes yeux. Une sorte de carte : à tel endroit, une proéminence, à tel autre une dépression. Ce n’est pas moi, tel que je suis réellement, mais cela donne un aperçu de la tête que j’ai. Et toi, tu as pris la vie de Fédia et tu l’as mise sur une toile, peut-être que son âme ne peut plus quitter ce portrait, maintenant.

- Souverain, mais non, c’en est juste le reflet, son âme est partie avec monseigneur Philippe…

- Néanmoins… cette habitude de faire des portraits dont on croirait pouvoir toucher les étoffes et la peau, et entendre la voix, n’est pas une bonne chose. On souffre assez de ne plus voir les morts sans se donner la cruelle illusion qu’ils sont encore là. Les seules représentations saines et licites sont les icônes des saints, où leur humanité est déjà transfigurée. Et le pire est qu’un tel portrait peut même provoquer un phénomène de possession. Voilà toute la famille Basmanov sens dessus dessous, toutes les plaies rouvertes, et ils n’ont tous trois qu’une seule chose en tête : revoir le fichu portrait, pleurer devant, caresser un fantôme qui ne leur répond pas et peut être utilisé contre leur paix intérieure par tous les démons qui passent… »


dimanche 9 février 2020

Perverse Georgette

Dimanche du pharisien et du publicain. L'homélie du père Andreï était bien, mais je l'aurais souhaitée plus courte. J'avais vraiment du mal à me tenir debout. Je pensais au nombre de fois où j'invective de vrais salauds sur facebook, alors que le vrai salaud de cette histoire, par son repentir, est placé au dessus du juste qui le méprise.
Au café français, j'ai rencontré les deux dentistes qui m'avaient ramenée de l'aéroport jusqu'à chez moi, la dernière fois que je suis allée en France. Cela m'a rappelé qu'après les genoux, il me faudra m'occuper de mon râtelier... sans doute vais-je m'adresser à eux, puisque Dieu les met obstinément sur mon chemin... Le café français est pour eux une escale agréable sur la route de Moscou.
Puis vers trois heures, j'ai vu arriver Louisa, la femme à l'accordéon et aux tableaux en perles de rocaille, avec son mari, et sa petite-fille Olessia, qui a besoin de cours de français. Je n'ai aucune envie de donner des cours de français pour trois francs six sous, mais Olessia est une adolescente adorable. Elle a déjà un bon niveau entièrement théorique, parce que c'est le genre qui travaille à l'école et elle n'est pas bête. Mais aucune pratique, parce que sa prof elle-même n'en a pas. Elle comprend les textes, peut les traduire, mais elle les prononce terriblement mal, et ne peut pas s'exprimer. Nous les avons lus ensemble et cela allait déjà mieux, je lui ai fait un enregistrement pour qu'elle puisse travailler la prononciation chez elle, et lui ai donné des indications, puis j'ai essayé de lui poser des questions sur les textes pour la faire parler un peu.
Louisa m'a ensuite déclaré qu'il me fallait absolument une sonnette, et que son mari Slava allait s'occuper de l'installer. Ils sont extrêmement gentils, un peu encombrants, mais gentils!
Tant qu'ils ne me mettent pas une palissade en profilastyl ni ne m'offrent une bergère à capeline en perles de rocaille...
Mon électricien m'a apporté des poireaux et des oeufs maison, de la part de sa mère, et une invitation à venir déjeuner chez eux "avant le carême". J'ai fait une soupe française avec les poireaux, la poireaux-pomme de terre de base, et j'ai rajouté du persil et du céleri que j'avais fait sécher cet été et qui est bien meilleur que la production Ducros, même quand celui-ci se décarcasse...
Je ne sais si c'est la jalousie, trop de chats, mais la dernière manie de ma chatte Georgette est de pisser sur mes affaires. Ainsi, je cherche partout d'où vient l'odeur de pisse de chat jusqu'à ce que je découvre que cet être pervers en a imprégné mon pull favori. Le matin, lorsque je ne me réveille pas assez tôt à son goût, elle attaque à coups de griffes la porte de ma chambre, celle que j'ai décorée, et cela malgré mes torrents d'insultes et mes jets de pantoufles.
Elle grogne en réponse quand je l'engueule, et elle grogne lorsque je la dérange en bougeant dans le lit ou sur ma table de travail... Nous avons ainsi de véritables échanges d'invectives.
Dehors, les bouvreuils ont rejoint les mésanges autour de la mangeoire.






samedi 8 février 2020

Balalaïker

à travers le givre
Je me lève ce matin, et je sors la chienne, tout étincelait. J'étais comme d"habitude en chemise de nuit et en sabots et j'ai trouvé qu'il faisait plutôt froid, je suis retournée enfiler ma doudoune. Plus tard, j'ai vu que tout était recouvert de givre, un monde de métal, de diamants, de cristal et de lapis-lazuli. L'électricien m'a dit à son arrivée qu'il faisait moins vingt-neuf mais que demain, il ferait plus de zéro! Je comprends pourquoi je suis crevée...
Dans la journée, le soleil chauffe déjà et il est plus vif, l'hiver s'oriente vers le printemps....
L'autre soir, j'ai reçu la visite de Génia, le balalaiker, ancien membre du groupe 3D Proiekt, dont je fis partie, et fondateur avec Sérioja de la maison Balalaïker, qui met de bonnes balalaïkas à la portée de toutes les bourses, afin que les gens reprennent l'habitude d'en jouer. Génia, comme Sérioja, en joue tout le temps. Je soupçonne que dès qu'il met le pied hors du lit, il envoie la main sur la balalaïka. Il était tout fou et très dragueur, mais on dirait qu'il s'est assagi. Il était avec sa mère, qui m'a paru intelligente et pleine d'humour.
Génia veut quitter Moscou, et sa mère vient souvent à Pereslavl, car elle a des origines dans le coin et elle fait des recherches sur sa famille.
Katia nous avait rejoints, elle a joué de la balalaïka avec Génia, et bien qu'elle soit débutante, ça fonctionnait bien. Les gens qui possèdent bien le folklore s'arrangent toujours pour que des débutants puissent jouer avec eux sans leur donner de cours, mais en s'adaptant. Et après, ils délivrent des indications.
Katia voudrait fonder une école de folklore, organiser des cours, des rencontres, je serais assez pour, sauf que je commence à ne plus déborder d'énergie pour entreprendre. Si Génia venait vivre ici, on pourrait peut-être lancer quelque chose. En attendant, Katia essaye de devenir guide, ici.
J'avais commandé des pizzas aux restaurateurs du Donbass, elles sont excellentes. J'y ai vu un jeune homme que j'aimais bien et qui s'était fait virer du café français, il m'attendait au comptoir avec un fin sourire: "Je savais que la commande, c'était vous!"





mardi 4 février 2020

a lire sur le blog de Claude

Fête au théâtre du poète



Dany et moi aurons sans doute un peu de mal à reprendre nos esprits, après la petite fête organisée chez elle, car nous sommes toutes deux plus ou moins exténuées en permanence. Il y avait du monde, tous ne sont pas venus mais quand même c'était plutôt bourré. Skountsev était en deplacement, Dima je ne sais où. En revanche, j'ai eu Kolia Trifilov, Kolia Sakharov et Dima Almetchenko, avec son accordéon, pour représenter le cercle cosaque. Ils ont chante seuls, avec Katia et moi, et produit une grosse impression. Le père Fiodor les écoutait tétanisé. J'avais presque tout le clergé de la paroisse de la Protection. En plus du père Fiodor, le père Valeri, le père Dimitri. Et bien sûr le père Valentin qui avait surmonté une fatigue égale à la mienne (ou peut-être supérieure) pour cette grande occasion, car je ne fêtais pas seulement l'anniversaire mais le permis de séjour, avec une grande partie des gens qui comptent le plus pour moi, ici.
Le père Valentin a porté un toast qui m'est allé droit au coeur: "La vie de Laurence a quelque chose de miraculeux, et je pèse mes mots. Car éprise de la Russie, sans renier la France, elle a d'abord choisi l'orthodoxie, comme si Dieu était allé par ce biais, à sa rencontre, et suivi son chemin jusqu'à l'événement qui nous rassemble, comme Abraham partant pour la terre promise. Et le plus miraculeux, c'est qu'ayant à ce point rêvé de notre pays, et le découvrant tel qu'il est à présent, elle n'a pas cessé de l'aimer, avec tous ses défauts et ses blessures, pour les qualités qu'elle lui trouve encore et que nous ne voyons pas toujours."
J'ai répondu en parlant du folklore, reflet de l'âme russe, et de la nécessité de le sauver et de le transmettre. Les cosaques ont bien sûr de jeunes disciples mais je les ai trouvés un peu découragés par l'assaut inexorable de la modernité hideuse.
Il y avait aussi les peintres, les Soutiaguine, Yana, et puis le père Vladimir Viguilianski et sa femme Olessia, qui m'a d'ailleurs tellement louée sur sa page que j'en suis confuse car beaucoup de ses lecteurs me prennent pour une vraie chanteuse cosaque, ce qui est loin d'être le cas. J'étais heureuse car je ne vois pas très souvent beaucoup de ces amis, et je sentais chez eux tout ce que j'aime, une personnalité et un talent qui échappent à la vanité et ne les empêchent pas de rester profondément vrais, naturels et chaleureux.
Je bénis le Seigneur de m'avoir amenée à bon port, et remercie Dany et Iouri de nous avoir permis de vivre ce merveilleux moment.

Photos d'Olessia  Nikolaïeva


Le père Valentin
Iouri et Dany

Dima Almetchenko
chant avec les cosaques

Le père Valeri et le père Valentin



Sveta Soutiaguina

Les cosaques chantent...





jeudi 30 janvier 2020

Derniere queue

On m'avait recommandé de m'inscrire la veille sur un papier qui, théoriquement, devait figurer sur la porte extérieure du service d'immigration pour ne pas faire la queue trop longtemps le lendemain, lors de l'enregistrement du permis de séjour. Mais je n'ai pas vu ce papier le soir, et ne l'ai pas vu le matin suivant. Je suis venue une heure à l'avance, et à la demande de ceux qui arrivaient, j'ai fait un autre papier, où ils s'inscrivaient. Au moment de l'ouverture, débarque un contingent d'ouzbeks et de tadjiks avec leur liste, ce sont eux qui contrôlent tout. J'ai compris que si on ne faisait pas partie de leur tribu, on passait après. J'ai donc attendu quatre heures dans le couloir. Un jeune Ukrainien a pris les choses en main, la liste et sa surveillance. Théoriquement, on devrait avoir un système de talons de queue, géré électroniquement, mais depuis que je viens, il est détraqué et n'a jamais été réparé. Le jeune homme était très gentil et il avait beaucoup d'humour. Je devais passer après lui, mais il m'a cédé son tour. La jeune femme du service d'immigration a été absolument adorable. Elle était contrariée que personne ne m'eût cédé la place avant. Je lui ai expliqué le contrôle asiatique de la liste, et elle m'a dit que l'année prochaine, il me fallait venir la trouver, pour la confirmation annuelle de ma présence, et qu'elle s'en occuperait personnellement. Elle m'a dit qu'elle avait fait récemment un voyage à Paris et que la saleté de la ville l'avait sidérée. Cela m'a serré le coeur.
J'avais oublié mes moufles chez elle, la veille, et les avait cherchées partout, mais elle me les avait gardées. Elle avait un spitz qui est mort dans un accident de voiture, et m'a dit que si Rita avait des petits, elle était preneuse. Rita a séduit tout le service d'immigration, et on lui a même donné à boire.
Entre la visite chez la juriste et le service d'immigration, j'ai fait une halte au café Montpensier, où le personnel a gavé Rita de blanc de poulet, tandis que je prenais ma soupe préférée, la solianka. 
Mon permis de séjour est à vie, mais il faut confirmer chaque année qu'on est toujours là et qu'on a de quoi vivre. J'ai un enregistrement (propiska) officiel à mon adresse de Pereslavl. Le permis de séjour tient lieu de pièce d'identité.
Reste l'expédition à Petrovskoïé à la police de la route, pour modifier l'enregistrement de la voiture...


mercredi 29 janvier 2020

Epilogue

J'avais écrit "immigration, dernier acte", eh bien pas tout à fait... Ce matin, je suis allée faire enregistrer le permis de séjour, avec le papier qu'on m'avait fait signer. Et au service d'immigration, où personne ne faisait la queue, on m'a annoncé que ce n'était pas le jour et l'heure de le faire, et qu'il me fallait apporter une copie du document, une copie de mon passeport, une attestation que j'avais payé les droits de 350 roubles, et le certificat prouvant que j'étais propriétaire de ma maison, en plus d'une déclaration que je pouvais trouver chez une des juristes qui aident les gens à affronter tout cela. Je suis donc allée chez la juriste. Puis je me suis propulsée à la banque, pour payer et recevoir le papier. Et demain, je retournerai chez la juriste, remplir et signer la déclaration, puis j'irai faire la queue en espérant que j'arriverai à passer d'ici six heures du soir. Un Tadjik m'a dit qu'en ce moment, ce n'était pas trop l'affluence.
Parce qu'en plus de tout cela, il me faut préparer la bringue que je fais dimanche, pour mon anniversaire et le permis de séjour, à Moscou. Evidemment, je ne pourrai pas revenir dimanche soir à Pereslavl. De sorte qu'il me faut en terminer avant. Car pour l'enregistrement, j'ai droit à sept jours ouvrables.
En rentrant, j'ai eu un tel coup de barre que j'ai dormi presque deux heures.
Je m'étais accordée pourtant une pause, hier, sans soupçonner que j'aurais encore à courir après les papiers. J'étais allée au lac, car le temps était froid et neigeux, avec des nuages chatoyants d'une lumière intérieure nacrée, et j'avais envie de contempler le ciel sans édifices parasites moches. Je suis arrivée dans un infini de silence et de blancheur, de lueurs, d'ondes presque imperceptibles qui animaient tout cela, au dessus de moi, et sur les eaux figées, et les signes, les graffitis des arbres emmêlés, les lavis roux et dorés des roseaux, des ramures, et l'église des Quarante Martyrs, qui semblait faite de cristal et de métal, pareille aux lampes qui brûlent devant les icônes. Un couple s'éloignait sur la glace, il devenait de plus en plus petit et solitaire, et je m'y avançais aussi, avec Ritoulia qui aime bien les promenades au lac. Les eaux étaient d'un blanc absolument pur, et pourtant nuancé, il gardait les traces du mouvement des vagues, ici parfaitement mat, là légèrement transparent. Et les nuages d'argent laissaient apparaître de profondes et discrètes dorures, une sorte d'au-delà trop glorieux pour être vu sans voiles.
Puis j'ai récupéré des livres que j'avais commandés à la librairie Labyrinthe, le fameux "Lavr", "roman non historique" qui vous plonge dans le moyen âge russe comme si vous y étiez, le peu que j'en ai lu est complètement envoûtant, et me rappelle le documentaire sur les vieux-croyants de Roumanie: c'est quelque chose que mon âme reconnaît comme sa patrie perdue, bien que je n'ai pas été élevée de cette manière, dans ces circonstances ni cet environnement, une sorte de mémoire génétique est prise chez moi d'une indicible nostalgie quand elle rencontre quelque chose qui lui parle de notre élément humain naturel et de notre destin spirituel trahi, obscurci, qu'il faut à présent tant d'efforts pour restaurer. Je regrette de n'avoir pas pu me procurer ce livre avant, il n'était jamais disponible. Sa lecture aurait sans doute modifié l'écriture du mien.