Cette nuit, j'ai senti, à une étrange luminosité, que la neige était tombée, le jardin avait un éclat livide. Mais elle n'a pas tenu, au matin, c'était plutôt la pluie, une ambiance froide et humide, venteuse, qui ne donnait vraiment pas envie de sortir. Nadia,
la femme qui vend des écharpes dans la galerie marchande du Magnit, et avec qui je discute régulièrement quand j'y vais faire mes courses, m’avait demandé de la rejoindre au
monastère Goritski, chez la mère Euphrosyne, car le père Tikhon venait pour me
remettre son baume à base de cire, souverain contre les douleurs articulaires.
Elle m’avait dit que la liturgie commençait à huit heures. Quand je suis
arrivée, je ne sais pas ce qui se déroulait, mais cela ne ressemblait pas à la
liturgie, j’ai même pensé qu’on faisait les matines avant. J’ai commandé une
quarantaine pour le père Barsanuphe, et une pour le cosaque Slava, mais la sœur
de service à la vente des cierges s’est fait tirer les oreilles par son higoumène, parce que
pendant l’opération, je tournais le dos au sanctuaire.
J’ai
tout de suite senti que l’office allait durer très, très longtemps. J’entendais
un flot de prières, et ne m’y retrouvais pas bien, au bout d’un moment je me
suis accrochée à « mon âme bénit le Seigneur »… c’était bien le début
de la liturgie. Après un autre long moment, nous en sommes arrivés au
trisaghion et à la lecture de l’épître, puis de l’évangile, et ensuite tout
doucement, après la consécration, j’ai entrevu la communion à l’horizon, mais
voilà qu’elle était précédée de l’acathiste à Jésus très doux, une bonne
demie-heure. Dans la logique de ce qui avait précédé, je m’attendais à un
sermon interminable. Il le fut. Et je ne comprenais rien, car le prêtre n’avait
pas la diction de mon père Valentin. Quand on est français, on est un peu désavantagé...La liturgie a duré trois heures, soit une
heure et demie de plus qu’à la cathédrale, même les jours où vient l’évêque.
Pendant
ces trois heures, je n’ai aperçu ni Nadia ni le père Tikhon, et à l’issue de
tout cela, je suis rentrée chez moi et, comme je m’endormais sur l’ordinateur,
je suis allée me coucher. Après quoi j’ai reçu un coup de fil de Nadia : j’aurais
dû aller me faire reconnaître de la mère Euphrosyne, car ils étaient arrivés
après l’office, mais cela aurait impliqué de rester encore deux heures sur
place, et j’avais Rita dans la voiture…
Du coup,
Nadia et le père Tikhon sont venus chez moi, et j’ai eu la bonne surprise de
voir qu’ils étaient accompagnés du merveilleux père Eugène, le moine du grand
schème. Il s’est extasié sur le peu de livres que j’ai ici, Proust, Bernanos qu’il
aime beaucoup, et m’a dit qu’il les avait lus autrefois en français, qu’il avait
d’ailleurs une arrière-grand-mère française. Il a l'air si profondément bon, une sorte de vieil enfant spontané en qui ne reste plus une trace de méchanceté, de malveillance, s'il en a jamais eu...
Nadia
m’avait généreusement acheté des bandes de gaze et de l’huile de térébenthine, et j’ai eu
droit à mon baume, plus de l’eau de la source de sainte Barbara, et des tas de
recettes. Car si le baume ne marche pas (baume qu’on peut aussi avaler, contre
les brûlures d’estomac, et avec lequel on peut soigner éventuellement un
orgelet) on peut essayer les frictions à l’huile de térébenthine (bien sécher
le genou avant) et j’ai encore toute une série de recettes de rechange, à base
d’iode et de divers ingrédients. Et
supprimer toutes les sucreries. Très mauvais. Oui, je sais, bien sûr… il ya des
moments où je recommencerais à fumer !
Ces recettes me faisaient penser au saint évêque chirurgien Luc de Crimée qui s'était penché sur la médecine populaire, et à mon roman, où la question intéresse Fédia et son ami l'Anglais.
Les
deux moines et leur grande amie ont évoqué Henri et Patricia avec
attendrissement. Ils prient pour eux. Je leur ai dit qu’ils leur avaient laissé
un souvenir indélébile et que leur rencontre la veille de leur départ nous
avait paru providentielle. Je leur ai parlé de Dany, en demandant de prier pour
sa santé, de son mari et de ses mésaventures ukrainiennes. « Il lui faut
écrire un livre, se sont-ils écriés, pleins de compassion.
-
Mais c’est fait, il s’appelle « le Témoin », et en principe, je le
traduirai un de ces jours ! »
Merci pour la belle photo du monastère Goritski. Au départ, on pourrait penser que c'est une excellente chose, que de commencer la Divine Liturgie à huit heures, car ainsi, il reste encore une partie de la matinée de disponible, lorsqu'on sort de l'église. D'ailleurs, plus tôt commence la célébration, mieux c'est : l'aube est souvent un « moment magique », où l'esprit est plus libre, plus disponible, pas encore encombré de toutes les préoccupations du jour. - Mais cette fois-ci, nous nous retrouvons en pleine « piété quantitative », qui est typique de la tradition russe. Plus on en met, mieux c'est ! Et les Offices deviennent absolument interminables - chose que les Russes supportent très bien, car ils sont apparemment bâtis en acier. Pour ma part, il me semble que « la Liturgie est la Liturgie » : elle possède son équilibre propre, et n'a nul besoin de rajoutis en tous genres. D'ailleurs, si l'on communie à la Divine Liturgie, on a la plénitude de la grâce, à laquelle un moleben ou une pannykhide ne peuvent rien ajouter… Mais dans l'Église russe, la communion est rare, et cette rareté incite à compenser par une abondance d'Offices votifs, qui sont souvent d'un caractère très sentimental. - Ne pas arriver à ses rendez-vous, c’est aussi un caractère « très russe » - comme l'est le fait d'apparaître de façon tout à fait inopinée ! Par ailleurs, cette fantaisie peut avoir un certain charme. Vous faites de merveilleuses rencontres, et il semble que le baume soit d'une polyvalence qui relève du miracle. Merci de partager avec nous ces beaux instants de votre existence.
RépondreSupprimerToutes les églises ne suivent pas cet exemple, et même pas tous les monastères... Au monastère saint Théodore, la liturgie est de durée normale, mais elle embraie souvent sur un moleben ou une pannychide. Chez mon père Valentin, ces offices sont célébrés à part,il laisse partir le gros des fidèles avant d'aborder tout cela. Je préfère les liturgies matinales, car je suis tellement dans les brumes que je préfère ne pas éterniser ce moment. Cependant, si la liturgie traîne, je m'endors, même debout. Oui, les Russes sont bâtis en acier. Mais j'en connais qui râlent, quand même!
SupprimerPersonnellement, je suis déprimée si je rate les liturgies, mais je me pousse vraiment pour y aller. Souvent, les moments où je prie le mieux, c'est dans la nature, quand je me promène. Ou parfois chez moi, toute seule. Mais j'ai eu des moments de grâce, pendant les offices. Et puis il y a des endroits où je connais les prêtres, les paroissiens, et je les regarde avec attendrissement. Ils m'accueillent à bras ouverts, comme s'ils n'attendaient que moi, j'observe un singulier effet d'amour en miroir, des rayons qui augmentent en se réfléchissant de l'un à l'autre. Je n'ai connu cela qu'en Russie...