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mercredi 26 août 2020

Chevaux dans la nuit

photo du film Andreï Roubliov de Tarkovski

En France, en plus des "incivilités" ce délicieux euphémisme destiné à jeter un voile pudique sur les viols collectifs de gamines, les agressions sauvages contre de paisibles citoyens, les pillages, les profanations et les incendies qu'en d'autres temps commettaient les huns, les tatars, les sarrasins, les pirates et les grandes compagnies, on s'attaque aux équidés, à coups de poignards, on les mutile, on les torture, on les tue.

Le cheval est dans la tradition slave un symbole de vie, associé au soleil et au printemps. Il figure, stylisé, partout dans l'art populaire. Sur le faîte des maisons, il protégait les occupants de celles-ci. Sur la chemise du marié brodée par sa fiancée, il était censé favoriser la fertilité et chasser les mauvais esprits. Chez des barbares normaux, du type huns ou mongols, je doute qu'on en soit jamais arrivé à torturer et tuer des chevaux pour le plaisir . Et cela me paraît  un  signe particulièrement sinistre. Mais le produit de trois ou quatre générations de cerveaux lavés ne déchiffre plus les signes et ne les comprend plus. J'avais lu dans les écrits du père Vsévolod Schpiller comment les cosaques des armées blanches, quittant la Crimée sur le dernier bateau en partance, pleuraient en voyant leurs chevaux désespérés les suivre à la nage, et cela m'avait paru le symbole le plus tragique de la révolution et de son programme d'extermination de ce que la société russe comptait de plus noble. Les aggressions sadiques commises par des créatures des ténèbres sur des chevaux en France me paraissent celui de l'achèvement d'un processus qui a pourri mon pays à mort, il me semble tristement complémentaire de l'incendie de Notre Dame, et aussi de l'infanticide légalisé. Un pays où les églises brûlent, où l'on assassine les bébés et où l'on torture les chevaux a perdu toute bénédiction. Que dire encore des viandards associant les massacres indignes qu'ils font de la faune sauvage avec leurs racines, alors qu'ils ne connaissent plus ni leurs traditions, ni leur folklore, ni leur foi, et je dirais même ni leur terre qu'ils surexploitent n'importe comment, ni leur bétail qu'ils font vivre dans des conditions concentrationnaires?

Je voudrais croire qu'un miracle sauvera la France et que la Russie ne suivra pas jusqu'au bout le même chemin. Un chemin de perdition qui fut très court mais me paraît tragiquement irrémédiable, un peu comme celui qui sépare la prostituée du coin de la rue de la communiante qu'elle fut, du moins dans les chansons de Fréhel, quand il y avait encore des communiantes et des petites filles. A tel point que me submerge un écoeurement indicible. Je survole toutes ces clameurs de détresses sans écho, de haine, d'indignation, et ces doctes commentaires, et ces mensonges éhontés qui trouvent toujours preneurs, ces justifications passionnées de ce qui est injustifiable, ces impudentes inversions accusatoires, et je n'ai plus envie de jouer. Ni de justifier ou d'expliquer mes propres positions, mes propres tâtonnements, d'autant plus que si je suis de plus en plus persuadée  que notre monde du progrès et des lumières est un asile de fous, un bordel où l'on perd figure humaine, un abattoir, je ne peux souvent pas l'expliquer à des gens qui n'ont plus les récepteurs pour comprendre ce qui leur est arrivé et même, ne veulent surtout pas le savoir, car cette horreur est trop vertigineuse. Et puis, la laideur insensée, la vulgarité de notre quotidien sont devenues à beaucoup de gens absolument intrinsèques. Leur opposer des arguments n'a même plus de sens. C'est sauve qui peut. Et sauve qui tu peux, et qui le veut. La lumière ne peut rien pour les aveugles, à quoi bon leur allumer des cierges? Déjà, si l'on arrive à garder le sien allumé, on a bien de la chance....



 
Fréhel: les filles qui la nuit s'offrent au coin des rues
 
 
Lioubè: le cheval

8 commentaires:

  1. Lorsque mon grand-père voulait désigner un cheval à l'enfant que j'étais, il l'exprimait toujours en ces termes : "Regarde! Un beau cheval!" Un cheval ne peut donc être que beau pour un Russe. Mémoire éternelle!

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    1. En effet. Je ne savais pas que votre grand-père était russe.

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  2. Le poète René Ménard, qui avait débuté sa création durant sa captivité dans un Oflag, effectua un voyage en Union soviétique, en 1961. Il se rendit à Zagorsk et relate,dans son carnet, sa vision de celle qu'il appelle « la petite créature de Zagorsk » :
    « Un petit être, dont je me demandai même s'il était bien une femme, sans hanches ni poitrine, une mince colonnette de chair habillée d'une grossière étoffe brune, la tête, le cou, les épaules engoncées dans une cagoule noire, pareille à une figure romane surgissant des siècles, brusquement à côté de moi dans l'église de la Vierge, et regardant la Face du Christ sur un pilier somptueusement orné de personnages célestes dans toute leur profusion dorée, un petit être, apparemment privé de tous les biens de la terre et regardant le Christ avec à la fois l'espoir et le doute dans les yeux, me rendit tout-à-coup la liberté sauvée.. »
    Peut-être que nous devrons retrouver cette humble flamme pour traverser la période présente.

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    1. Une belle rencontre bien russe. Oui, on ne peut plus guère compter que sur ces humbles flammes.

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  3. On croit toujours qu'on a touché le fond . Eh bien non ! il y toujours encore pire . Après ND de Paris , après la profanation de Ste Sophie (adoucie quand même par le trépas brutal du muezzin mandaté pour la "prière" (signe de Dieu?) , après ces actes sataniques , cette fois , oui , je vais revenir vers l'orthodoxie que je n'aurais jamais dû quitter .Mais cela ne répond pas à la question du sens de la souffrance . Quel sens pour ces pauvres chevaux ? les salopards qui ont fait ça devront être condamnés à un bagne qu'il nous faut rouvrir . On en est encore loin . Les actes de cruauté gratuite contre les animaux sont aussi condamnables que ceux commis contre les hommes .

    Nicodème

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    1. Je ne peux pas croire que les pauvres chevaux ou les pauvres animaux en général n'auront pas leur consolation divine, qu'ils ne feront pas partie de la nouvelle création de Dieu, c'est pour moi complètement inimaginable, car la souffrance animale, essentiellement par notre faute, est énorme. Je crois que Dieu souffre avec ses créatures, avec toutes ses créatures. Le sens de tout cela nous échappe, mais il est pour moi une certitude, mieux vaut être avec Dieu qu'avec les démons qui commettent de pareilles choses, et renier Dieu nous met en danger de tomber de leur côté. Bon retour dans l'orthodoxie, que je ne quitterai plus, où irais-je? Et tout ce que j'ai c'est ma fidélité, qui me tient lieu de foi.

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  4. Une dernière incursion dans le carnet de René Ménard, rédigé dans les années 60. Le poète s'élevait contre une société ignorant le silence. Nous savons , nous , qu'à cette époque la propagande médiatique, en était, somme toute, encore à l'état artisanal. Qu'aurait-il écrit aujourd'hui ?
    « La vraie grâce : vivre au-delà de son état civil. Mais être en garde contre ce fléau mental de la civilisation actuelle, cette horde des nouvelles du monde, qui donne à n'importe quel obscur des soucis de Chef d' Etat, des envies de satrape, des enthousiasmes d'artiste ou d'athlète, enfin cent personnages, qui font oublier le vrai, celui qui a déjà si peu de temps pour préparer son éternité. »

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    1. Cette société était déjà bruyante et vulgaire, même enfant je le ressentais, j'ai senti la bascule des années 50, encore élégantes, raffinées et très françaises, dans la bêtise des yéyés, des copains et des minijupes. Mais nous étions encore loin des abominations actuelles...

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