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samedi 31 octobre 2020

Bulldozer


Le voisin est en réalité extrêmement affligé que ses projets ne fassent pas mon affaire. Il est venu me dire que ce serait très beau (oui, j'imagine!), qu'il ferait une évacuation pour les eaux (car il a déversé des tonnes de terre sur le marécage, écrasant tout ce qui y vivait et faisant monter de presque un mètre le niveau de son lopin par rapport au mien), m'assurer que ce serait mieux que d'avoir la vue sur un marais (mais ça m'allait très bien, le marais, mieux qu'un gazon, des petits massifs idiots et des thuyas et autres plantations exotiques prétentieuses  rangés comme à la parade). Il m'a même proposé de déverser aussi chez moi de la terre à ses frais, mais j'ai planté des trucs en tenant compte du terrain et n'ai pas envie de tout aplatir. Enfin c'est un très gentil bonhomme, mais que lui dire? Il ne voit sans doute ni le ciel, ni les plantes, ni les étoiles, et ne conçoit pas très bien qu'on ait besoin de les contempler. Et puis il a ses projets et ses investissements. si seulement au moins il n'avait pas fait d'étage, mais l'étage, il n'y a rien de plus chic. Il y a quelques temps, Sveta Soutiaguina me disait que la voyant dessiner une jolie petite isba, le propriétaire d'une grosse cliche informe et prétentieuse lui avait reproché de ne pas s'intéresser à son palais...
La maison du voisin sera en bois mais fera deux étages, et elle sera à 3 mètres de la clôture, qui est à maximum 5 mètres de ma propre maison, de sorte que je n'aurai plus de soleil, et que je ne verrai plus le ciel et ne pourrai même plus envisager de potager; car cet endroit sera tout le temps à l'ombre et le reste  est au nord.
J'avais à tout hasard planté un noisetier déjà un peu grand, je vais ajouter un argousier. Le mieux, ce serait des conifères, mais c'est très humide, et je me demande s'ils prendraient. Et puis je suis vieille, et les arbres mettent longtemps à pousser. 
Mon plombier me vantait hier les mérites d'un village perdu, à 15 km d'ici, où vivent en permanence trois personnes, dont un fermier originaire de Moscou et sa femme médecin. Il y a une église, restaurée par le monastère Nikitski. Je ne sais pas si j'aurai le courage d'opérer encore un déménagement, mais ça me tente, car la ville devient de plus en plus moche, dans mon quartier, je suis cernée par les monstres, et les derniers espaces autour du lac sont menacés par la construction sauvage de merdouilles plastifiées. Je rêvais de vieillir dans un endroit où rien ne viendrait me blesser ni les yeux ni les oreilles  ni l'âme. De pouvoir jouir de ce dont j'ai été finalement, comme la plupart d'entre nous, privée la plupart du temps, la splendeur de la nature, de la lumière, des spectacles cosmiques, des constructions harmonieuses de nos ancêtres qui respiraient d'un seul souffle avec le monde. C'est ce que je trouvais à ma datcha quand je fuyais Moscou, mais le village où j'étais à été saccagé depuis. Celui dont me parle le plombier est peu accessible. Un fermier et un médecin, c'est bien. Les moines de Nikitski une fois par mois, c'est bien aussi. Mais je ne sais pas si j'aurai encore le courage et la force de bouger. En même temps, parfois, Dieu donne des signaux et ces derniers temps, ils se répètent: le lac, la maison énorme à quelques mètres de la mienne...
Quelle bêtise ai-je faite d'avoir voulu être  raisonnable et tenir compte de mon âge. C'est toujours un tort, il ne faut pas écouter sa raison mais son âme et son instinct.
Une de mes jeunes amies m'a fait la morale: il y a des gens beaucoup plus malheureux que moi, et gnagnagna; le genre de discours qui m'a toujours exaspérée. Oui, en effet, je pourrais être aveugle, paralysée, gâteuse, enfermée dans un EPHAD avec le docteur Laurent Alexandre pour veiller sur ma santé. Cependant, qu'elle aille se faire voir chez les Grecs, je suis assez grande pour relativiser moi-même, néanmoins, je ne délire pas de joie devant la perspective.

5 commentaires:

  1. Chère Laurence,
    comme je vous comprends! Si je peux me permettre, si vous le pouvez, fuyez ! Ca gâte tellement la vie de ne plus se sentir en harmonie avec ce qui nous entoure... Et puis, au point où nous sommes rendus, à crever, autant que ce soit en ayant pour réconfort le peu de beauté qu'il nous reste à contempler... En même temps, je dis ça, je ne suis pas vous. Demandez conseil à Dieu et à Saint Joseph, il paraît qu'il est très sensible à nos problèmes de logements et déménagements, bien qu'un peu lent et qu'il faille lui exposer son voeu avec, semble-t-il, beaucoup de précisions (tout est dans le détail avec lui), et puis vous semblez être entourée de nombreux jeunes gens sans doute prêts à vous prêter main forte en cas de besoin ?
    C'est vrai que cela est vraiment dommage tout ce qui se passe autour de vous en ce moment. Où faut-il se replier Seigneur ?
    Bien à vous,
    Françoise.

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    1. je ne sais pas si je pourrai le faire, nous allons vers des temps horribles, où vendre et acheter ne sera peut-être plus possible.

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    2. Je sais bien... Il faudra être rapide si cela devait se faire. Contempler le Ciel de l'intérieur de soi va s'avérer sans doute salvateur et pour cela l'aide de tous les saints sera d'un grand secours...
      Pour les artistes comme vous, la création sera aussi une ressource essentielle.
      Que Dieu nous garde !

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  2. Je vous comprends parfaitement Laurence. Et vous avez raison, Dieu donne quelquefois des signaux qui vous guident si vous y pretez attention et que vous lui faites confiance.

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