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jeudi 23 décembre 2021

Le musée d'art populaire de Rostov


Le milieu que je préfère, ici, ce sont les cosaques et Benjamin. Je suis allée les voir ce soir, le problème est qu’oncle Slava est terriblement bavard. On n’en sort plus. Mais il est pur et touchant, ils sont tous comme cela, et, avec une certaine naïveté, comprennent mieux que bien des intellectuels distingués les problèmes de notre époque. Et ils cherchent, à leur niveau, à y remédier, en donnant un environnement viril et des jeux virils valorisants et exigeants à des gosses élevés sans père, comme c'est souvent malheureusement le cas. Une jeune femme était venue se joindre à nous, Alessia, elle est très jolie et très idéaliste, dans le genre orthodoxe. Sa vue des choses correspond à celle des cosaques, puisqu’elle cherche à « sauver » les jeunes, ou plus modestement, certains jeunes. Ce qui complique la tâche, en plus de l’influence délétère de la télé, de la mode, des jeux vidéos, d’internet, de la musique de merde où ils baignent dès l’enfance, de l’absence de foi et d’image paternelle positive, c’est que l’école les surcharge de boulot à tel point qu’ils ne peuvent plus ni jouer ni se cultiver, ni se développer parallèlement. Et au final, elle ne leur donne pas la formation solide qu’elle donnait autrefois, quand ils pouvaient encore avoir du temps libre pour se rencontrer, lire, faire du sport ou jouer d’un instrument. Ce n’est sûrement pas un hasard, et accompagne l’abutissement général, le dressage d’esclaves obéissants et décervelés pour le Moloch qu’on nous installe partout.

Veniamine était venu avec son fils. Il a dix-sept ans, il l’a eu de sa première femme, celle qui n’a pas voulu revenir à Pereslavl quand il est allé s’y installer. Veniamine a 47 ans et ne les fait vraiment pas. Son fils est presque aussi grand que lui, et je l’ai trouvé très beau, très typé russe, avec des yeux et un regard extarordinaires, fascinants, sous des sourcils effilés. Je me demande si son caractère correspond à ce physique inhabituel.

Aujourd'hui, j'ai enfin réussi à visiter avec Nil le musée d'art populaire de Rostov. Le père Alexandre et Anastassia, qui dirige l'endroit, nous avaient ouvert la porte. Un blogueur local y faisait un reportage et interviewait l'antiquaire dont tous les objets exposés étaient une partie de la collection. Cet antiquaire nous a ensuite tout expliqué avec passion, et j'étais éblouie par la richesse et la beauté de ce qu'il avait rassemblé. Il me paraît évident que des gens grandis au sein de pareils objets quotidiens ne pouvaient qu'être considérablement plus évolués, nobles, dignes et humains que leurs descendants élevés dans le béton, avec des jouets, des meubles, des vêtements hideux.

Je retrouvais le lien que m'avait établi Olga Silina à Ferapontovo entre l'art populaire et l'art abstrait, ce goût pour les signes symboliques, qui sont une autre forme d'écriture. Le collectionneur établissait un parallèle entre Matisse et une porte décorée sur fond bleu de toute beauté. Les motifs de cette porte ont été repris pour imprimer un foulard souvenir dont j'ai acheté un exemplaire, tant je le trouvais réussi. Nil trouve extrêmement moderne et stylées les coupes des vêtements russes traditionnels, et les associations de couleurs. Et en effet, tout cela a inspiré de grands couturiers, comme Yves Saint-Laurent, et aussi tout le mouvement décoratif russe de la fin du XIX° et du début du XX¨siècle, extrêmement poétique et raffiné.


A travers les explications de notre antiquaire ressuscitait un monde paysan magnifique, plein de fantaisie, d'imagination et de savoir-vivre. Certaines des belles quenouilles exposées étaient par endroits dorées à la feuille, ce qui recoupait à mes yeux le témoignage d'un voyageur croate du XVII° siècle, évoquant la "richesse absurde" du costume russe, où même dans le peuple, on utilisait à profusion les fils d'or. De grands récipients décorés servaient, au cours des fêtes paysannes, à contenir hydromel, bière ou kvas, et l'on y puisait au cours des repas. Il nous a montré des moules ravissants, en formes de lions fabuleux, on les remplissait de gelée avec des baies, et on les démoulait sur une assiette. Des moules à pains d'épices, d'une grande finesse. L'un d'eux, présentant des motifs quadrillés, était destiné à distribuer aux invités un carré à chacun, lorsque les hôtes estimaient qu'il était temps de rentrer chez soi, de mettre fin aux réjouissances. Les battoirs à linge étaient, comme le reste, magnifiquement décorés. "Sous l'Union Soviétique, nous dit l'antiquaire Alexandre, on ne montrait pas ces choses-là. Parce que si on les avait montrées, la légende des paysans misérables et grossiers qui vivaient dans des huttes aurait été compromise. Pour faire de telles merveilles, il fallait en avoir le temps et l'envie. Et pour utiliser de la feuille d'or, il fallait avoir les moyens de la payer."


battoirs à linge

Il y a longtemps que, m'intéressant à tout cela, j'ai tiré les mêmes conclusions. Il m'arrive d'ailleurs de lire des commentaires incrédules: "Il n'est pas possible que des paysans aient pu porter de tels costumes!" Mais si, justement. Je suis persuadée que l'ignorance actuelle, le mépris de tout ce qui est antérieur à 1917, est le produit de ce lavage de cerveau et de la dissimulation de ces objets et de ces vêtements, de ces chansons, de ces instruments, de leur dénaturation dans la parodie de mauvais goût.   

coffres

paroi décorée qui séparait la cuisine du reste de la pièce à vivre

 
porte


A l'issue de la visite, l'antiquaire nous a fait goûter à sa liqueur de cassis et à sa liqueur de canneberges. C'était notre apéritif russe, car nous sommes ensuite allés déjeuner au restaurant en face. Puis le père Alexandre nous a emmenés au monastère Spasso-Iakovlevski, découvrir des fresques du XVII ° siècle qu'on ne voit ordinairement pas, et qui sont en voie de restauration. L'église a été flanquée d'une partie supplémentaire au XIX° siècle, l'on ne voit pas, de l'extérieur, qu'elle est aussi ancienne, et les fresques en sont traditionnelles.
Il nous a ensuite fait monter sous le dôme de l'église voisine pour avoir une belle vue sur la ville, je m'étais juré de ne pas les suivre, et j'aurais dû en rester là, car descendre un escalier accidenté interminable est devenu pour moi une véritable épreuve. 
Le père Alexandre est charmant, très cultivé, très francophile, et croit malgré tout possible de sauver l'essentiel de l'esprit russe, tel que nous l'aimons à travers ce qu'il a laissé de si beau, et que trop de contemporains méprisent et détruisent.










2 commentaires:

  1. Votre récit, Laurence, sur l’art et l’artisanat traditionnels russes est un joli cadeau de 🎄 Noël ! Merci.

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