Au lever, j'ai vu que tout était blanc de givre, il est vrai sans soleil, et j'ai décidé d'emmener Nil à Iouriev Polski. La route était bordée d'immenses et gracieux fantômes, à peine plus denses que la brume, et ajourés. Nous avons pu visiter le musée consacré à la paysannerie et à la fabrique de tissu de Iouriev Polski, fondée au XIX° siècle, et propriété d'une dynastie industrieuse jusqu'à la révolution. On pouvait en voir les meubles et les objets, quel charme avait tout cela, une qualité, une permanence, une personnalité. Et ce n'est pas si loin, ce monde subsistait encore dans mon enfance.
La gardienne du musée, ravie d'avoir des Français, nous a tout expliqué avec amour. Elle était très fière de sa "petite ville", de sa fabrique, de son élevage de chevaux de trait, l'une et l'autre d'ailleurs toujours en fonction. Parmi les collections de la paysannerie, j'ai vu d'énormes gousli. La gardienne m'a parlé de la renaissance du folklore, ce qui m'a confirmé dans mon impression qu'elle avait bien lieu, grâce à Dieu.
Le kremlin est petit, mais ravissant, avec des buissons de lilas et des pommiers cristallisés, une belle enceinte. Nous sommes entrés dans l'église de l'archange Michel, où l'on conserve dans une châsse les reliques du saint prince Sviatoslav Vsévolodovitch
Après quoi nous sommes allés voir la célèbre cathédrale saint Georges, élevée au XIII° siècle, mais restaurée au XV° par Ivan III, car elle s'était écroulée après l'invasion tatare. Cette fois c'est un gardien qui nous a parlé de tout cela avec enthousiasme. Le prince Sviatoslav Vsevolodovitch, tiré d'un mauvais pas par le secours divin, avait promis de sculpter de ses mains un calvaire qui figurait sur le fronton de l'église et qui existe toujours, les gens viennent en pèlerinage le vénérer. Je l'ai fait également. Le gardien n'était pas sûr que le prince ait réellement accompli cette oeuvre. Mais cela me paraît parfaitement possible, dans la mesure ou le père Séraphin a sculpté lui-même les chapiteaux de l'église de Solan. On ne choisissait pas de devenir prince, et l'on pouvait avoir, dans cette position, des talents artistiques. Ivan le Terrible composait de la musique religieuse...
l'oeuvre du saint prince |
Fragments de l'iconostase. Le Christ au centre, la Mere de Dieu à gauche, saint Jean Baptiste à droite, les archanges Michel et Gabrile de chaque côté. |
Dans l'église originale, il y avait une iconostase en pierre qui devait être de toute beauté, mais elle n'a pu être restaurée, et il n'en reste que des fragments. L'artisan chargé de la restauration par Ivan III a remis des éléments sculptés à des endroits où ils ne figuraient pas initialement. La façade encore conservée offre une admirable dentelle de pierre, représentant l'arbre de vie, et s'y rencontrent des influences orientales et nordiques. L'église initiale avait une seule coupole, en forme de casque, sur un tambour élancé. D'après le schéma fait par des archéologues soviétiques, c'était un bâtiment beaucoup plus élégant.
A l'extérieur, le paysage était typiquement et merveilleusement russe, petites maisons de bois, ondulation douce et neigeuse de l'ancien rempart où passaient des skieurs, floraison hivernales de coupoles lointaines, clochers, et sous le pont, le lit de la rivière. Nous voulions trouver un café, car Nil était gelé, et moi aussi. Celui qui était le plus chic affichait de façon comminatoire ses instructions QR code, et nous nous sommes rabattus sur un bouiboui où nous avons avalé des pizzas déguelasses. Peut-être que toutes les cantines minables sans clients vont bénéficier des lois OMS absurdes, et recueillir les gourmets chassés des endroits plus courus et plus surveillés. Enfin d'après le dernier article de Karine Bechet Golovko, ce n'est pas gagné, l'histoire des QR codes, ici, et j'en suis ravie.
Iouriev Polski a bien sûr son lot d'isbas plastifiées au siding, mais dans l'ensemble, la ville a gardé une poésie, une authenticité et un charme que malheureusement, Pereslavl a bien perdus.
Merci pour ce partage émouvant, Laurence.
RépondreSupprimerSuperbe excursion, Nil a de la chance, biz
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