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lundi 6 mars 2023

Miracles génétiques

 


La routine, dépôt chez les cosaques de vivres pour les soldats, nettoyage de la cour, nous approchons de la débâcle, mais il neige, plus qu’au mois de février. Cependant, il y a de la douceur dans l’air, les nuages dérivent, ils sont pleins de lumière, j’ai vraiment de la chance que ma rangée d’isbas subsiste, ce sont elles qui font de notre « petit coin », comme dit Ania, la voisine, un endroit encore vivant et pittoresque. Je suis régulièrement assistée par mes deux géants féeriques, Nounours et Alba. Ils sont gentils, touchants, ils adorent venir chez moi. Assise sur la terrasse au premier soleil, j'ai fait un dessin de notre mois de mars rayonnant entre deux averses de neige.


C’était hier le dimanche du triomphe de l’orthodoxie, commémorant la victoire sur l’iconoclasme qui a profondément secoué la chrétienté au VIII° siècle. Liturgie épiscopale, très longue, trois heures, et tout de suite après, visite par les paroissiens d’une exposition sur Marie Skobtsov, sainte Marie de Paris, cette moniale russe qui, à Buchenwald, était allée mourir à la place d’une jeune mère de famille. L’exposition consistait en panneaux explicatifs avec des photos et des citations, dans l’église voisine de la Mère de Dieu de Vladimir, commentés par l’auteur de deux livres sur sainte Marie. Tout cela m’était relativement familier, car je suis devenue orthodoxe dans l’émigration à Paris, et j’ai traduit avec une amie des Asmus la vie de la fondatrice de Bussy, la mère Eudoxie, qui, d’ailleurs, n’était pas en très bons termes avec la sainte, et cette dernière avait visiblement une forte personnalité, comme dit mon père Valentin, les saints ne sont pas toujours faciles à vivre ! En revanche, c’était certainement très exotique pour tous les autres, pour les paroissiens locaux. Une dame a demandé si on était bien sûr que mère Marie eût été canonisée par l’Eglise russe. Mais oui, bien sûr, lui a-t-on répondu, puisque l’Eglise hors frontières s’est réunie au patriarcat de Moscou...

Dans la foulée, pratiquement, j’étais invitée à une exposition de peintures, à côté, des dessins aux feutres de Pacha Morozov, qui est un excellent peintre, et j’y ai fait des mondanités, ce dont je n’avais aucune envie, mais n’ai pas vraiment regretté non plus.



Je pense souvent à Ania Ossipova, si profondément russe, en dépit de parents communistes de chez communiste, qui l’ont élevée dans la ligne du parti. Dans le même style de mystère ou peut-être de miracle, j’ai vu une vidéo sur une jeune fille partie vivre seule à la campagne, comme ses ancêtres, dans une petite isba impeccable, où elle fait tout elle-même, en presque parfaite autonomie, elle a quand même l’électricité. Elle doit avoir au moins vingt-trois ou vingt-cinq ans, car elle a étudié l’iconographie à Saint-Serge, mais elle semble en avoir quinze. Un être pur, paisible, heureux de ce qu’il a et de la liberté, de la plénitude que lui donne cette vie modeste et active. Elle manifeste toutes les qualités du paysan russe d’autrefois, dont l’amour du travail bien fait. A la question du journaliste, de quoi es-tu le plus contente, elle répond « ma maison ».



Krestina fait son bricolage, jardine, peint des icônes, coud elle-même ses vêtements de style traditionnel, et joue du synthétiseur, à défaut d’un piano. Je trouvais d’utilité publique de la présenter partout, à la télé, dans les écoles, mais en fait, j’ai vu que c’était plus ou moins déjà le cas, c’est la vraie vedette, on la filme sans arrêt. Un exemple de bonheur, de vie courageuse, simple et honnête, et de modestie. 

Quand j’étais jeune, je détestais la ville, et après deux années de fac, je rêvais déjà d’être bergère en haute Ardèche. J’ai rêvé toute ma vie du bonheur de Krestina, qui est celui de tout être humain normal, en fin de compte, mais moins simple, je redoutais de partir seule, je voulais vivre à la campagne avec un compagnon. Je l’admire de s’en passer, et du reste, elle a certainement plus de chances d’en trouver un là où elle est, autonome, calme, déterminée et joyeuse, que si elle était restée en ville, à courir après des chimères, en menant, comme la plupart des gens, une existence aliénée et stressante d'esclave tarifé.

 





4 commentaires:

  1. Laurence, votre chronique d'aujourd'hui est comme un rayon de soleil de fin d'hiver ! Elle est belle et simple comme Krestina.

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  2. Il serait bon que sur des vidéos de cette qualité, on puisse avoir des sous-titres en français. Ce sont de merveilleux témoignages, tellement inspirants...

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    1. Oui, mais d'une part, c'est un boulot important, et d'autre part, youtube ne fournit plus le service qui permettait de le faire. Je ne suis pas la reine de la technique. Il faudrait télécharger un programme spécial, et puis télécharger la vidéo elle-même, et je n'y arrive pas. Je suis déjà, d'ailleurs, très occupée sans cela...

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