C’est officiellement le printemps, et l’on peut dire qu’il est dans l’air, les oiseaux recommencent à chanter, chiens et chats batifolent, la lumière revient et même le soleil. J’ai lamentablement séché le dimanche d’Adam et l’office du pardon. La vieille Antonina me l’a doucement reproché et je le lui pardonne parce que c’est le moment et qu’elle est adorable. La venue du carême m’a jetée dans une sorte de panique boulimique et honteuse, j’étais revenue la veille de Moscou, je n’avais pas envie de bouger, je regardais avec terreur arriver ces offices interminables... Et puis bon, le lundi, je suis partie à l’église, et je me sentais calme, réfugiée en moi-même. Je n’ai pas compris grand chose au sermon de notre évêque, comme d‘habitude, heureusement qu’il est publié ensuite sur le site de l’éparchie. Il a une voix sourde, peut-être que je le deviens aussi, ou bien l’acoustique est mauvaise. En me donnant sa bénédiction, il m’a demandé si j’avais une traduction du canon de saint André de Crète. Oui, bien sûr, tout le triode avec le canon. Ce que j’ai saisi de son sermon, c’est que saint André parle à son âme et s’entretient avec Dieu, ce que nous devrions faire plus souvent.
Le lendemain et
le surlendemain, j’ai tout lu chez moi, le canon et les complies, car j’attendais
l’électricien, qui m’a tout laissé en plan avec le matériel au milieu. J’irai
demain à la cathédrale pour la dernière lecture, afin de ne pas traumatiser
Antonina. Je ne sais plus qui me disait récemment que si l’on ne comprenait pas
le slavon d’église, ce n’était pas grave, ça passait quand même. Eh bien je ne
suis pas d’accord avec cela. Lundi, j’avais trouvé online un canon en russe,
mais un russe archaïque, poétique et noble, je n’ai pas tout de suite compris
que ce n’était pas du slavon, je me disais : « J’ai dû faire des
progrès, je comprends tout ». C’est important de comprendre, quand même,
il y a un côté très pédagogique dans le canon, tous ces liens avec la bible, et
puis les grandes complies sont une vraie fontaine de grâce. Je lis cela et il
me pousse des ailes. C’est même étonnant. Je me souviens de ce que m’avait dit
le père Barsanuphe à propos de la prière : « Il y a des choses que je
ne peux vraiment pas vous expliquer, elles sont inexplicables, mais quand on
pratique la prière, c’est un fait d’expérience, ça marche. Faites l’expérience ».
Ca marche mais
pas à tous les coups. Il y a une attitude intérieure à avoir. Si on ne l’a pas,
les canaux sont fermés. En effet, il faut parler avec son âme, et s’entretenir
avec Dieu. Et lorsque s’établit et s’approfondit cette conversation subtile, on
doute de moins en moins, le coeur s’emplit d’une plénitude paisible, et l’on
pèche quand même, mais cela n’a plus la même importance, ce sont des accidents
de parcours, pourvu qu’on garde le contact, ils n’empêchent pas d’avancer.
Je pensais à ce
qu’a écrit cette femme sur le bonheur au bord des abimes infernaux, ces
fenêtres et ces portes qui s’ouvrent sur le paradis. Il y a quelque chose d’extraordinairement
profond, simple et merveilleux dans ce qu’elle décrit là, quelque chose que je
ressens de toute mon âme et qu’elle le ressente aussi est pour moi très
encourageant, je veux dire éclairant. Je peux lire d’un oeil distrait des
kilomètres de bondieuseries, sans que cela ne m’éclaire tellement, même parfois
au contraire, et voilà tout à coup ce signal venu d’en haut, d’autre part ...
Il y a quelques
temps, j’étais tombée sur la conférence que nous avait faite à Solan l’higoumène
de Simonos Petra, et qui m’avait alors donné de si précieuses indications. Il
disait que nous devions vivre avec les péchés dont nous ne pouvons nous
débarrasser, les porter comme une croix, les remettre à Dieu et c’est ce que je
fais. Le texte de Natalia a soudain légitimé mes échappées dans les nuages, les
étoiles, les feuillages, j’ai compris que c’étaient là des moments où notre
âme, notre corps et Dieu étions complètement en phase, en osmose, et se
baignaient dans cet échange. Alors on peut me dire tout ce qu’on veut, que Dieu
n’existe pas et que s’Il existe, c’est un parâtre qui nous martyrise, mais il
faut ne jamais avoir été dans cette osmose-là pour dire des choses pareilles.
Et pourtant, oui, il se passe des choses affreuses qui sont essentiellement le
fait des humains, et où Dieu n’a pas grand chose à voir, mais les incroyants
voudraient un Dieu dictateur qui « fît notre bien », que nous le
voulions ou non, comme tous les dictateurs de toutes couleurs et drapeaux, nous savons en
quoi cela consiste.
Je suis allée sur la page d'une dame très férue d'astronomie et de physique quantique, et de la spiritualité qui va avec; et sur le moment cela m'a donné le vertige. Certes, cela me confirme dans mon intuition que tout est sacré et que tout est lié, je ne sais même pas d'ailleurs comment on peut considérer les choses autrement, à moins d'être mutilé de son imagination, de sa sensiblité, de sa capacité à envisager les arrière plans et les intrications purement poétiques de l'existence. Mais c'est si énorme, qu'on a du mal à se représenter que Cela qui existe et qui nous porte, puisse avoir une relation personnelle avec nous. Pourtant, c'est justement ce dont me parlait la mère Hypandia: "Songez que cette Divinité n'a qu'une idée, dans son incommensurable puissance créatrice, c'est de converser avec cette toute petite âme que vous êtes." Le père André du monastère sainte Elizabeth de Minsk a fait lui aussi un sermon très intéressant, où il est question de nous mettre dès maintenant en conformité avec Ce vers quoi nous allons, et que c'était là le sens du carême, et peut-être aussi la raison de ma profonde panique, au seuil de celui-ci.
Et pourtant, la prière est rassurante, et puis "il y a plusieurs maisons dans la maison de mon Père", c'est-à-dire que, comme la Terre où nous sommes est faite à notre mesure, de sorte que chacun y trouve sa place, dans les douces plaines ou les rudes sommets, dans les villes ou les campagnes, sur le bord de la mer ou dans la forêt, et que nous ne voyons pas l'abîme de l'Univers qui la contient, ainsi le Royaume où nous allons est possiblement adapté à ceux qu'Il accueille, selon leur degré de maturation spirituelle. Mais enfin, c'est sûr que cela va nous changer, et qu'il faut s'y préparer...
Assis devant le paradis
Pleurait Adam et chantait :
Paradis, mon paradis,
Mon beau paradis !
C’est pour moi que tu fus créé,
C’est par Eve qu’il me fut fermé.
Je ne vois déjà plus
Les nourritures paradisiaques,
Je n’entends déjà plus,
Les voix archangéliques
Dieu miséricordieux,
Pardonne à celui qui déchut !
Paradis, mon paradis,
Mon beau paradis...
L`antechrist "bienveillant" est deja en Russie et pas encore reconnu par nombreux Russes- malheureusement... De nouveau- les Russes tuent les Russes...
RépondreSupprimerSans doute, mais je ne suis pas bien sûre de comprendre à qui vous faites allusion, il n'est d'ailleurs pas question de l'antéchrist dans cette chronique. Si les Russes tuent des Russes, c'est selon les mêmes processus qu'il y a cent ans, et sous l'effet des mêmes fourberies de la même espèce de personnes, et personnellement, je suis comme les vieux croyants, je pense que c'est la fenêtre sur l'Europe de Pierre le Grand qui a laissé entrer tous les pires démons. Pour ce qui est du conflit présent, je ne vois pas bien comment il aurait pu être évité, cela fait des années que je le voyais devenir inévitable.
SupprimerChère Laurence,
RépondreSupprimerMerci beaucoup pour ce partage.
Oui, en effet, comme vous le disait le père Barsanuphe, la prière est avant tout une expérience, et comme toutes les expériences bouleversantes, elle gardera toujours une part personnelle et indicible.
Dans la troisième partie de son ouvrage "L'expérience de Dieu dans la vie de prière", le père Matta el-Maskine aborde les obstacles à la vie de prière et cette nécessité de l'intériorité, de l'acceptation du mystère de Dieu comme du nôtre : toujours fixer les mobiles et les buts de la prière, qui s'égare si elle recherche à se faire valoir aux yeux de DIeu.
Cette intimité divine est aussi une expérience théologique, dans le sens où elle demeure apophatique : comme le titre magnifique du dernier ouvrage de François Esperet, "Descente vers la résurrection", l'expérience de nos limites et même de nos péchés nous conduisent à cet état de pauvreté intérieure d'où peut jaillir l'action de la grâce, qui se déploie en majesté. Mystère insondable.