le monastère de Tolga |
Le lendemain de la présentation de mes chroniques au café, il m'a fallu aller au séminaire de Iaroslavl, qui m'avait invitée à raconter ma vie et à chanter, sur la suggestion du père Mikhaïl, chez qui j'ai mis des tableaux. Le matin même m'appelle un monsieur français que je connais et qui a décidé de partir en Russie. "Il nous faut apporter aux Russes notre témoignage de Français", me dit-il. C'était bien de cela qu'il s'agissait au séminaire, mais j'avais autant envie d'y aller que de me pendre. Je me sentais faible, somnolente, à bout de nerfs, et ne savais même comment j'allais conduire pendant deux heures, à travers la pluie, sur cette route fatigante et dangereuse. Mais ce qui est dit est dit...
Le séminaire se trouve dans les vieux quartiers de Iaroslavl, qui sont rééllement féériques, avec ce mélnage d'églises médiévales fantastiques et de maisons baroques ou art nouveau. C'est l'ancienne mairie d'avant la révolution, et elle a été très bien restaurée, par l'Eglise. J'ai été accueillie par Andreï Grigorievitch, qui enseigne là bas, un homme charmant, et un prêtre tout aussi charmant, le père Artemi, qui a garé ma voiture dans la cour de l'établissement. Je ne savais pas trop ce que j'étais censée faire. Plus ou moins, parler de moi, de mon itinéraire,"apporter mon témoignage de Française". Ce que j'ai fait, et j'ai chanté une complainte bretonne sur la Vierge Marie et saint Jean Baptiste, la déploration d'Adam, des vers spirituels, je ne sais pas comment j'y suis arrivée, mais j'y suis arrivée. J'avais l'impression d'être au XIX° siècle, comme si le bâtiment avait la propriété de nous emporter à l'époque de sa construction. Une rangée de jeunes filles en uniforme nous a chanté des chants d'église, très bien, d'ailleurs, avec des voix pures et bien accordées. Une fillette naturelle et convaincue nous a récité un poème d'Essénine d'une façon vibrante. Le joueur de gousli Alexeï a interprété lui aussi des vers spirituels, et je regrette qu'il ne soit pas plus près, sa femme et lui ont l'air de prendre tout cela au sérieux, elle est musicologue. L'assistance était bienveillante, enthousiaste. A la fin, un prêtre est venu me demander mon prénom afin de prier pour moi, car je l'avais profondément touché. Une jeune femme m'a remerciée d'être venue: "Si vous saviez ce que cela représente pour nous et pour nos étudiants, ils se souviendront toute leur vie de ce que vous leur avez dit ce soir:" J'étais si émue que j'avais peine à retenir mes larmes.
Andreï Grigorevich n'arrêtait pas non plus de me remercier, et brûlait de m'emmener chez Pavel et Anna, des enfants spirituels du père Basile, chez qui je devais passer la nuit, parce que leur repas menaçait lui aussi de brûler ou de refroidir. Le père Artémi nous a emmenés chez eux en voiture, et en chemin, devisait avec moi sur Pereslavl, dont il est originaire, sur les transformations malheureuses qu'a subi la ville, les pollutions répétées du lac, dont l'eau était autrefois cristalline.
Pavel et Anna ont acheté une grande maison dans un quartier de datchas, près du célèbre monastère de Tolga, qui est très ancien et très beau. J'ai admiré la façon dont elle a été construite, bien mieux que la mienne. Mon infecte chienne, qui n'avait pas été acceptée avec un enthousiasme sans mélange, parce que le couple a deux magnifiques chattes écossaises aux oreilles pendantes, s'est dépêchée de me couvrir de honte en pissant sur le tapis, malgré une promenade préalable dans le jardin.
En dépit de cela, le repas excellent a été très chaleureux, nous avons appelé le père Basile, tout surpris de me voir là. Andreï Grigorievitch m'a demandé si je reviendrais, et le père Mikhaïl, entrevu au séminaire, aimerait aussi me voir, je trouve que Iaroslavl est un peu loin, surtout en hiver, mais ils sont si touchants, avec leurs visages inspirés, bons et sincères, et me témoignent une telle affection que je ne vais pas pouvoir faire autrement... C'est une très belle ville, j'imagine combien elle devait être ravissante il y a plus d'un siècle, lorsqu'elle n'avait pas subi de destructions ni de ruine...
Le lendemain matin, avant de me ramener au séminaire et à ma voiture, Anna m'a fait visiter le monastère de Tolga. Je l'avais vu il y a très longtemps, dans les années 90. Il a été complètement restauré, les fresques, les carreaux de céramique, tout a été refait, les jardins sont devenus un but de promenade, même pour les simples touristes, sur l'étang nagent des canards et des cygnes, il y a un peu trop de petits massifs à mon goût, mais c'est un très bel endroit. Les moniales ont constitué un parc de cèdres de Sibérie, et cultivent des plants, elles en ont donné quatre au père Basile. Leurs cèdres sont encore jeunes, mais j'imagine ce que ces arbres splendides doivent donner avec le temps, et de me trouver en leur puissante compagnie m'a fait un bien extraordinaire, alors que j'étais fatiguée et gelée. L'air, autour d'eux, est plus pur, il sent bon, et leur murmure si grave ressemble à une prière, je ne doute d'ailleurs pas que c'en soit une, "que tout souffle loue le Seigneur".
Ensuite, elle m'a emmenée dans une église vénérer les reliques de saint Ignace Brianchaninov. Il y avait une magnifique icône médiévale de la Vierge du Signe, que j'ai priée pour la France et la Russie, et tous les gens que j'avais vus au séminaire, ainsi que Pavel, Anna, et la mère d'Anna, une adorable vieille dame, qui aime comme moi les fleurs et les orchidées. Les fresques qui couvraient les voûtes étaient à mon avis contemporaines, mais elles s'inscrivaient très bien dans l'architecture, il régnait dans les lieux une paix mystérieuse où l'iconostase s'ouvrait comme un livre enluminé. En revanche, j'ai été sidérée par la mine renfrognée de la jeune moniale qui tenait la boutique attenante. Elle était franchement désagréable et réfrigérante, et je me demande toujours, dans ces cas là, qui ne sont pas rares, ce qui a décidé ces jeunes personnes à prendre le voile, si leur prochain leur paraît si insupportable.
Le froid est arrivé, des lambeaux d'or tremblent encore dans les forêts brunes, mais cela devient bien austère. Au retour, j'ai chargé la mangeoire des oiseaux en pensant aux tournesols qui viendront danser dans mon jardin à la belle saison...
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