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jeudi 16 septembre 2021

Notre automne

 


On annonce des gelées, cette nuit, il souffle depuis deux jours un vent glacial, avec des averses, et parfois, de brusques et fantastiques illuminations. Les arbres jaunissent à toute vitesse, et il y a seulement quelques jours, je me tenais dans mon jardin, assise sur mon hamac, dans le fil d'un vent suave, et je me disais que c'était la dernière fois de l'année que j'en aurais l'occasion. Maintenant, je jardine, c'est-à-dire que je prépare l'hiver, et le printemps prochain qui est encore bien lointain...

J'ai continué le tourisme avec Nil, je l'ai emmené au monastère saint Daniel, où la dame qui vendait les cierges nous a fait cadeau de deux prosphores, et puis je lui ai montré le "val", les vestiges des fortifications qui faisaient le tour de la ville, et depuis lesquels on a de beaux points de vue sur les églises. Je dis les églises, parce que les jolies maisons ont presque toutes disparu, remplacées par un jeu de lego en plastique.

J'ai vu sur vkontakte une intéressante vidéo décrivant comment, à l'époque soviétique, on avait fabriqué un faux folklore idéologiquement compatible. Le vrai étant trop médiéval, ou plus simplement trop vrai, on a fabriqué une caricature mièvre, avec d'horribles costumes vulgaires, de petites voix couinantes, des sourires idiots et des gestes qui n'avaient jamais existé dans la tradition russe. Car on ne pouvait pas complètement faire fi de la tradition populaire, quand on se voulait la dictature du prolétariat. Alors il fallait la dénaturer. Dénaturer est le principal souci de la civilisation du Progrès, que ce soit dans son expression capitaliste ou dans son expression communiste. C'est là qu'il faut voir, avec le mépris et la calomnie systématiques de la Russie ancienne, l'origine du mauvais goût hallucinant qui ravage le pays. Malheureusement, cette attitude est plus ancienne que le communisme et le libéralisme. Le pied dans la porte a été mis par Pierre le Grand, et la noblesse, détachée par lui de sa civilisation d'origine qu'il trouvait méprisable, a fait le lit de la catastrophe qui allait l'emporter. Non qu'il ne fallût pas faire quelques réformes ou procéder à des adaptations rendues indispensables par la confrontation avec un occident colonialiste et conquérant qui se ruait de façon concomittente dans le progrès technique et l'apostasie. Mais sa soeur Sophie, si décriée, eût certainement procédé à tout cela avec plus de sagesse et de mesure. 

Un article sur les vieux-croyants pose la question que je me pose moi-même depuis un bon moment: pourquoi ceux-ci conservent-ils un sens de la beauté qui est absolument oublié de tous les autres? Leur habitat, leurs vêtements et même leurs visages reflètent une harmonie qui disparaît complètement du reste de la Russie.

https://zen.yandex.ru/media/id/6032ac65c24ba20515a455ca/lampovoderevnia-staroverov-pod-peterburgom-proval-vo-vremeni-6138d5bb0e73c923f439fd60

https://vk.com/loralira?z=video-75778798_169816935%2F6b504bc1425bf96626%2Fpl_wall_19879744

Ma copine française, atteinte de la covid, a été hospitalisée dans une sorte d'usine à soins, à Moscou, un immense hangar compartimenté, mais les soignants en scaphandre se montrent extrêmement humains et compétents, et la prise en charge est gratuite. Les urgences lui ont dit: "Nous savons maintenant très bien soigner le truc, ce n'est plus un problème". Bien que la Russie soit classée par la France en "zone rouge" et soi-disant ravagée par la maladie, elle note que son hangar est très loin d'être plein, bien qu'il ait été construit pour faire face à des foules de malades. Le test nasal qu'on lui a fait a plusieurs reprises n'est pas du tout aussi intrusif que le test PCR français, qui ramone les fosses nasales jusqu'au cerveau .

Cette maladie manipulée, et très probablement fabriquée, me paraît bien réelle, elle est loin d'être le fléau de Dieu qu'on nous présente, et ferait encore moins de victimes si on avait pour véritable souci de la traiter, mais elle ne disparaît pas, peut-être justement à cause de la façon dont on l'aborde, et peut-être aussi était-ce le but. Toujours est-il qu'elle est là, et qu'avec le coup du vaccin, les gens en seront bientôt à la dose mensuelle, avec contrôle permanent de leur état de santé et de leurs moindres faits et gestes, tout bénéfice pour la mafia qui veut régner sans partage et tondre le mouton jusqu'à l'os. Dieu sait que ce ne sont pas les moutons qui manquent. Mes amis, c'est pour en arriver là que la France a décapité son roi, trucidé sa paysannerie, et on peut en dire autant de la Russie, d'ailleurs. Pour en arriver au règne horrible des ploutocrates mafieux transhumanistes à la seringue entre les dents.

Tout se passe ici sans coercition, mais l'on cherche à imposer le tout électronique, la reconnaissance faciale et tout ce qui nous rendra la vie impossible, si cela se met en place partout; cependant, cela touche surtout Moscou, et de façon de plus en plus indépendante de la covid. Le reste du pays, avec son incurie, son bordel chronique, la nonchalance anarchique des Russes, leur sociabilité me semble loin d'être prêt pour ce programme. Et heureusement. Il se peut aussi que l'évolution de tout cela ne prenne pas ici le caractère dément et malsain qui caractérise la France, où le pays se retrouve en de bien mauvaises mains. J'ai regardé le coeur serré l'entretien de maître Di Vizio, qui me semble très sincère, et ne m'a pas inspiré un grand optimisme. Certes, les manifestations sont importantes, bien que minimisées par la presse, mais trop de gens se laissent mener par le bout du nez et fliquent obligemment ceux qui résistent aux pressions. Ce n'est pas du tout le cas ici. Je suis absolument horrifiée par cette espèce de délire fantasmagorique qui devrait dresser l'humanité comme un seul homme contre ce qu'on lui prépare, mais on dirait qu'elle devient folle, que tout ce progrès et ces lumières sont en train de faire de nous tous des zombies hagards sous la houlette d'une caste atroce, dont les imprécations du docteur Alexandre et son regard de fou furieux trahissent les intentions aussi ténébreuses que psychotiques. Je l'ai entendu invectiver la généticienne Henrion Claude avec des accents de commissaire du peuple qui confinaient aux hululements hystériques. On nous traite de complotistes, de ne pas faire une confiance aveugle à ce genre d'individus, mais lui présente le mouvement anti passe sanitaire comme un complot instigué par cette même Henrion Claude, sorcière dont il ne va pas tarder à exiger le procès et l'exécution sur un bûcher place de la Concorde, entre un album d'Astérix et un album de Tintin et Milou. Et cela ne fait pas frémir les gens. Je veux dire qu'à part le mouvement impressionnant qui déferle dans les rues, mais n'entraine pas l'ensemble de la nation, une part considérable de la population ne voit pas où est le problème. La grossièreté des journalistes, la folie de certains intervenants, la fourberie évidente et la médiocrité des autorités, leur méchanceté mesquine, qui devraient faire dresser l'oreille, ne leur inspire que de joindre leur voix au concert des hyènes. On comprend que l'avocat rende son tablier. Car il le comprend manifestement de façon très claire, ceux qui sont derrière tout ça sont absolument capables de tout, et l'ont peut être menacé, comme le professeur Raoult. La mafia est capable de tout. La mafia, par définition, n'a aucun principe, aucune limite, aucun honneur, aucune empathie.

Personnellement, si je n'avais pas la foi, je sombrerais dans la panique complète. 

Je recommande cette vidéo à ceux qui ont encore des yeux pour voir, des oreilles pour entendre, et un cerveau pour penser. 



On peut aussi regarder le témoignage sensé de cette infirmière:

https://www.facebook.com/marie.deneux/videos/404111744386121/?__cft__[0]=AZUhGB3Ia-D2E8ednvZM7mW4zrLkwNrTTTnpote0U0akHDHqRBdtLNjP3JT7P3hRrtcdT7LGrEHOXchpdBxtPH1CVHf3prlj3mbMbNDwfMIouZPRNWwp2d__OfVeyGaGklQtWjYgXC6oZzTimWQ4pcJEfrqJfT8evnKQVX7urrUbkplaLwxJSfpIWWl8c7OG5tU

Et celui-ci, bouleversant: 

https://www.facebook.com/CampagneQuebecVie/posts/10157992216861857?__cft__[0]=AZUMd9PhBL3KpZm94MiQSPA5KKJOOFlbIGqFSQEhRjI_udnF83yqruxn2nOEUR-MVKUyFti_hCz9Gv-KJLQSvUf4ESyu4-rptFpiNLYEULhdubHiyU5Y2EL5wVrmwEcfFk2NNBtdaYoJvtciocNxHmldFY7vQUhkGyiRAhrwaD5Q0A&__tn__=%2CO%2CP-y-R


le monastère saint Daniel

Sur le "val"


Monsieur Moustachon se met au chaud. Cette façon de fabriquer de l'alcool de fruit maison s'appelle le salut à Gorbatchev,
en souvenir de la prohibition que celui-ci avait promulguée au moment de la perestroïka.....

lundi 13 juillet 2020

Formalisme

La veille de la  fête  des saints Pierre et Paul, je suis allée aux vigiles à l'église des Quarante Martyrs. J'aime bien cette église, et on peut en profiter pour regarder le lac, qui, le soir, avait presque un air automnal, par ses couleurs assourdies et nordiques, ses eaux verdâtres où dérivaient des mouettes et des canards. Le recteur semble très fervent. Je voulais voir le père Ioann, qui était avant chez nous à la cathédrale, mais il n'était pas là.  Je vais aller à Moscou, demain, pour la première fois depuis quatre mois.
Juste en face de l'église, une isba est en vente, elle semble en bon état, elle est petite, et son jardin aussi. Mais il n'y a que la rue à traverser pour aller prier, ou nager, ou regarder le soleil se coucher sur le lac, ou les barques glisser sur la rivière. Et ce n'est pas une hideuse baraque en plastique, c'est une isba en bois. 
J'avais un pneu crevé, car les routes sont telles que ce genre de choses arrive, et pendant qu'on me le réparait, je vois un barbu s'approcher de Rita avec un air amène. Cet air amène, assorti d'un discours sur les grandes vertus de la fréquentation des animaux pour l'attendrissement des coeurs, m'a fait soupçonner un ecclésiastique. Comme il me parlait de son village, je lui ai adroitement demandé s'il comportait une église, et il m'a répondu qu'il y officiait. Il m'a dit qu'il y avait un Français, dans son village, un certain Jean-Pierre, qu'il travaillait à Moscou mais s'était replié dans sa datcha avec sa famille pour cause de Covid. Ce Français est orthodoxe, marié avec une Russe, installé pour de bon. Tout cela me disait vraiment quelque chose, et quand le prêtre m'a donné son nom et son numéro de téléphone, après m'avoir parlé de l'évêque, pour lequel il a la plus grande affection, et de sa page facebook, où il avait vu certaines de mes interventions, j'ai eu une illumination: le père André! Il m'avait fait visiter son église de campagne qui n'avait jamais fermé et qui était pleine d'antiquités dont on lui avait déjà volé un certain nombre. J'avais escaladé son clocher, et il m'avait aidée à redescendre avec beaucoup d'obligeance. C'est peu de dire qu'il a l'air gentil, on dirait la bonté incarnée.
Jean-Pierre le Français dit au père André qu'en Russie, il y a de la spiritualité dans l'air, même après des décennies de persécutions et d'antithéisme, alors qu'en France, il avait l'impression que Dieu était complètement absent. C'est ce que m'a dit à son tour le père Vadim, de Moscou, passé inopinément chez moi avec sa femme, à propos de l'Amérique, où ils ont vécu des années.
Comme je parlais des vieux-croyants restés si authentiques, quelqu'un m'a répliqué qu'ils étaient haineux et hérétiques. Pour ce qui est de l'hérésie, avec tous les emprunts malheureux faits aux catholiques et même aux protestants par l'Eglise russe depuis le XVII¨siècle, sans compter les dérives oecuménistes actuelles de certains clercs, je prefère penser, comme mon père spirituel, qu'ils sont schismatiques. et pour ce qui est de l'amabilité, Skountsev est tout ce qu'il y a de plus cordial, ses cosaques Nekrassovtsi aussi. En réalité, j'ai vu parfois des bigotes et bigots orthodoxes réfrigérants et raides comme la justice. Et Skountsev me dit qu'une femme de prêtre dans une paroisse où il enseigne fait la chasse aux contenus "immoraux" des chants cosaques, du genre "buvons un coup", ou certaines chansons un peu lestes, ou satiriques. La bigoterie et la pudibonderie sont deux défauts qui me révulsent et momifient la religion, la dévitalisent. J'ai peur d'ailleurs de m'y heurter si mon livre sort en russe.
On dit que les vieux-croyants sont formalistes, mais j'ai vu des orthodoxes qui l'étaient tout autant. Il me semble surtout qu'ils ont gardé le sens du symbole, que depuis la renaissance et pour les Russes le XVII° siècle, nous avons perdu. Or je suis tellement imprégnée de cela, de cette appréhension cosmique, symbolique, médiévale de la vie, que je me demande parfois si mes contemporains ne sont pas des extraterrestres. Il y en a qui ne comprennent pas du tout la portée de l'incendie de Notre Dame, par exemple, et maintenant, il en est d'autres, qui ne comprennent pareillement pas celle de l'attentat commis par Erdogan sur sainte Sophie de Constantinople. Sainte Sophie, pour eux, c'est du décorum inutile, ils ne font pas la différence entre la beauté d'un sanctuaire, avec tout le sens qu'il recèle, et la salle de bains en or massif d'un émir arabe.
Quand j'avais lu pour mon roman les récits de voyageurs étrangers en Russie ancienne, j'avais vu que les somptueux vêtements d'apparat des boïars et du tsar étaient liés à leur fonction, de la même manière que ceux des métropolites, des évêques et des prêtres, et que la cérémonie achevée, tous ces gens étaient habillés simplement, les moines d'autant plus. Mais tout étant ritualisé et sacré, les offices à l'église comme les réceptions du tsar ou des grands-princes se devaient d'être magnifiques, et de correspondre aux descriptions de la Jérusalem céleste. Ces vêtements étaient même prêtés aux dignitaires et ambassadeurs, qui devaient les rendre dans leur état initial. Quand les bolcheviques ont spolié l'église de ses biens, le saint patriarche Tikhon leur dit que ce n'était pas lui et son clergé qu'ils spoliaient, mais toute la Russie, toutes les générations de Russes qui avaient au cours des siècles constitué cet héritage. Car le patriarche Tikhon, comme toute la Russie jusque là et moi-même, était dans cette communion mystique trans temporelle et trans spatiale que l'homme moderne, si appauvri, ne comprend plus. Pour lui, Notre Dame ou Sainte Sophie ne sont plus son héritage, il n'a plus d'héritage, et n'ayant plus d'héritage, il n'a plus non plus de patrie.
On m'a apporté du sable, pour rehausser certains endroits du jardin qui baignent dans l'eau, en unifier d'autres, et c'est un ouzbek  qui s'est chargé de répartir tout cela, bien que je me sois tapée moi-même une dizaine de brouettes. Il m'a pris cher, mais j'étais pressée. A la fin, il a voulu se rafraîchir, et je l'ai fait entrer, lui ai donné une serviette: "Paix à cette maison", a-t-il proféré.
C'est beau, c'est évangélique. C'est traditionnel.




samedi 11 juillet 2020

La cabane au fond du jardin



Mes locataires sont arrivées, mais je ne sais pas pourquoi je m'impose cela, finalement, pour rentabiliser ma grande maison, pour en prendre l'habitude, au cas où cela deviendrait indispensable? Je planifiais de transporter la cuisine que j'ai installée dans une seule petite pièce avec le coin douche dans la pièce à côté, ce qui ferait une cuisine-salle à manger décente, séparée du reste, et me permettrait de faire une entrée complètement indépendante, mais à ce moment-là, je perdrai une chambre, je n'aurais plus qu'un grand studio. J'avais enlevé le lit pour arranger les deux poètes, qui voulaient installer le leur, orthopédique. Il est maintenant démonté dans un coin. Or voilà que mes deux arrivantes veulent deux chambres séparées. Et en plus, cela ne va pas que ce qu'il me reste de lit dans la grande pièce, un lit superposé double, soit trop près de la porte de l'autre chambre, il faut le transporter à un autre endroit, dont je devrai enlever tous les tableaux. Et puis le drap housse cela ne va pas non plus, il faut un vrai drap, une taie d'oreiller en vrai coton, et enfin, on n'arrive pas à installer la Wifi, j'ai dû faire appel à un spécialiste d'urgence, il n'arrive toujours pas, toute ma journée est passée dans ce genre de détails. Le spécialiste va me bloquer l'ordi pendant une heure. Hier, c'était le plombier qui me faisait un cours de physique-chimie, quand je lui demandais simplement de faire en sorte que l'eau ne passe pas dans la douche de l'état bouillant à l'état glacial de façon inopinée et incontrôlable...
Après quelques locataires, et leurs diverses exigences, cela ne ressemble plus à rien, là bas. Mais quand j'aurai terminé ces aménagements, ce sera en l'état ou rien, et qu'on me rende l'endroit tel qu'il était à l'arrivée.
Jusqu'à présent, j'en avais qui du moins n'étaient pas difficiles, celles-ci vont je crois bien m'emmerder. Je vais réserver cela à des copains ou pour les réfugiés français qu'attend l'higoumène Dmitri!
J'ai dit à Skountsev que je ne pourrais pas travailler avec lui aujourd'hui. Il est venu hier, mais comme il était soumis aux desiderata de l'équipe de tournage, il était difficile de planifier quelque chose. Marina et lui ont passé chez moi deux heures, le temps de bouffer et de répéter un peu, car il voulait voir mes instruments, et me montrer sur pièce comment m'en servir pour des gestes que je ne peux saisir à distance.
Sa femme m'a confié avoir trouvé une lettre enflammée de sa bru dans de vieilles partitions de son fils qu'elle allait jeter à la poubelle: "Elle lui mettait toute son âme dans cette lettre, et lui l'a laissée n'importe où.
- Oui, mais cela ne l'a pas laissé indifférent, il l'a quand même épousée...
- D'accord, mais c'est pour dire qu'ils ne sont vraiment pas comme nous, ils ne peuvent pas nous comprendre, et réciproquement, et s'ils nous comprennent, ce ne sont pas des hommes, et d'après le prêtre, ils ne nous servent alors à rien. Si nous voulons être comprises, il nous faut aller trouver des femmes."
Cela m'a plongé dans des abimes de réflexions. Je ne pense pas que ce soit absolument vrai, j'ai entendu une fois une interview du père Vladimir Viguilianski, qui a une grande complicité avec Olessia, et il disait que la condition d'un bon mariage était un sentiment d'amitié entre époux qui survit à l'engouement sensuel et unit dans les circonstances diverses de la vie. Ce sentiment d'amitié existait entre ma mère et mon beau-père. Je pense que dans un certaine mesure, il existait aussi entre le père Valentin et sa matouchka. Je pense qu'il existe entre le père Antoni et sa femme Myriam. Personnellement, c'est ce que j'ai vainement cherché, car les hommes qui avaient des points communs avec moi ne me considéraient plus comme une femme, mais comme un copain, tandis que des "vraies femmes", ils se plaignaient abondemment, avec toutes sortes de sarcasmes. L'amitié implique le respect et exclut le mépris, l'exaspération et la rancoeur. Je n'ai pas le réflexe d'aller chercher de la compréhension chez les femmes, à l'exception de ma mère autrefois, ou de mes tantes, et de celles qui n'ont pas ce qu'en russe on appelle "babstvo", ce côté femelle, possessif, hystérique, tyrannique, cette tendance à être dans la rivalité permanente, tout cela assorti d'un prosaïsme profondément emmerdant, à des degrés plus ou moins marqués. En l'occurrence, je m'entends malgré tout mieux avec Skountsev qu'avec sa femme, je me sentais beaucoup plus à l'aise aux répétitions où j'étais seule avec dix cosaques que dans une compagnie de nanas, si j'aime Xioucha et Dany, c'est que ni l'une ni l'autre ne sont dans le registre "babstvo". Et bien que je sois traditionnaliste, et que je conçoive très bien que les hommes aient besoin d'être entre eux par moments, me trouver tout le temps dans une compagnie féminine me déprimerait plutôt. Au point que je n'entrerais pas au monastère, je préfère les monastères d'hommes!
J'ai vu une série de photos sur des vieux-croyants de Sibérie, en république bouriate, et ce qui me saute aux yeux, c'est que leurs petites maisons sont solides et très bien entretenues, certaines ont des toits de tuile métallique, car de nos jours, il est difficile de l'éviter, mais ils ne jurent pas du tout avec les façades ni les autres maisons, ce qu'on voit de décoration intérieure est très joli; les costumes sont très colorés, sans doute même trop, le costume russe traditionnel tel que j'ai pu le voir dans les musées, les livres et les ensembles folkloriques qui récupèrent des vêtements authentiques, a des teintes riches mais moins criardes, plutôt dans les rouges, blanc et noir. Cependant, il règne dans ce village une harmonie qui a complètement disparu de Pereslavl, par exemple, et de quartiers entiers de villes russes autrefois pittoresques. Le respect de la tradition empêche naturellement de faire n'importe quoi, autant avec ses vêtements qu'avec ses maisons, mais au delà de cela, je pense qu'il donne une harmonie intérieure qui se reflète dans une harmonie extérieure et si notre civilisation est si laide, c'est qu'elle fait les âmes tordues, et des âmes tordues ne produisent que de la contrefaçon, du mauvais goût, voire de la monstruosité. Le mauvais goût qui atteint à présent une dimension fantasmagorique, métaphysique, est la marque de la chute, de la dégénerescence de la société moderne antitraditionnelle. Qui plus est, alors qu'on nous parle sans arrêt de la misère des campagnes, ces vieux-croyants semblent bien vivre, sans tous les excès de la société de consommation, simplement et dignement.
Parallèlement, j'ai vu la photo d'un tableau de Polenov que j'aime beaucoup, "une cour de Moscou", mise en regard du même endroit de nos jours, avec la même église, et autour un décor urbain banal. La plupart des commentaires déplorent la transformation. Le tableau est idyllique, paisible, féérique. On y sent l'atmosphère que j'avais trouvée à Pereslavl la première fois que j'y étais venue; une sorte de nonchalance, de simplicité détendue dans un décor organique, naturel et pittoresque. Quelque chose d'assez proche de ce village de vieux-croyants, mais en plus délabré, car les vieux-croyants ont gardé toute la vertu des anciens, ils sont travailleurs, honnêtes, cela se sent dans leur maintien, dans la propreté de leurs maisons.
C'est alors qu'intervient une bonne femme qui n'échangerait pas le paysage urbain contre celui de Polenov, car on faisait alors la lessive à la rivière et on avait les cabinets au fond du jardin. Donc vive les cages en béton, et quand j'ai protesté, elle m'a répondu que je ne ferais pas ma lessive dans la rivière et mes besoins au fond du jardin. Elle rejoint en cela tous ceux qui se scandalisent qu'on répare une église ancienne plutôt que de "construire un hôpital ou un jardin d'enfants", c'est-à-dire la mentalité communiste ou capitaliste utilitaire qui vend son âme pour un plat de lentilles.
Il est évident que vivant seule, ayant grandi à notre époque et ayant un certain âge et des rhumatismes, je n'irai pas laver à la rivière ni recourir à la cabane au fond du jardin, encore que de ce côté-là, on trouve des arrangements. Mais ce raisonnement me paraît profondément faux, et du reste, même si, dans une certaine mesure il est vrai, si la vie était plus inconfortable, plus dure, cela ne veut pas dire que nous ayons gagné à nous la simplifier, ou que nous n'ayons pas compliqué d'un côté ce que nous avons simplifié de l'autre, et surtout humainement et spirituellement terriblement appauvri notre existence. Mais il y a des gens, produits de la modernité, qui, voyant le tableau de Polenov, et tout ce qu'il nous dit sur ce que nous avons perdu, restent au niveau des chiottes et du linge sale, c'est comme cela. Ce qui est triste, c'est que cette mentalité n'était pas du tout russe, elle était petite-bourgeoise et occidentale. Mais c'est celle qu'ont imposée les révolutions politiques et industrielles, en éliminant et rééduquant tous ceux qui y étaient réfractaires.
Le raisonnement est faux, parce que ce que ne faisaient pas les robots ménagers, les gens le faisaient en commun ou à tour de rôle, et souvent en se racontant des histoires, ou en chantant, la fonction créative de l'être humain, qui est en réalité communicative, qui ne devrait pas être individuelle, je dirais même qu'elle ne peut pas être limitée à l'individu sous peine de le faire sombrer dans la folie, faisait partie intégrante de la plupart des activités. Le sacré et le symbolique également. De sorte que la vie était probablement physiquement plus dure, mais psychologiquement plus simple, et humainement, spirituellement plus enrichissante et plus digne. De plus, d'accord, la machine à laver, l'aspirateur, mais la plupart des gens passent leur vie à accomplir des tâches qui ne les concernent pas, ne les enrichissent pas mais au contraire les aliènent, pour ensuite perdre quatre heures dans les transports afin de rallier leur cage en béton et s'écrouler devant les conneries de la télévision, sans plus rien supporter, ni leur moitié, ni les gosses ni le chien, mais ils sont persuadés qu'en les arrachant à cette vie campagnarde communautaire et transfigurée par une humble, ancestrale et quotidienne création collective, et par le sens sacré de l'appartenance au cosmos et à Celui qui l'inspire, on les a libérés et qu'ils sont considérablement plus intelligents que leurs ancêtres ploucs pour lesquels ils ont un mépris apitoyé. Moi, dépendante de la machine à laver et des commodités, après avoir passé ma vie seule, sans mari et sans enfants, j'ai conscience d'être une erreur de la nature, un peu comme un lion ou un ours qui a passé la sienne dans une cage au zoo. Les talents que j'ai ne m'ont pas donné de chaleur et ne m'ont pas délivrée de mon égoïsme. Dans le chagrin de ne pouvoir vivre en famille, et la profonde aversion du système de vie où j'étais née, l'obligation d'aller travailler pour remplir un compte en banque et ne pas me retrouver sous les ponts, qui m'emplissait de stress et d'angoisse, je n'arrivais pas à créer spontanément, je n'avais ni les bonheurs de la femme épanouie, ni ceux du créateur absorbé. Et j'étais obligée de vivre dans ce milieu artificiel immonde qu'on appelle une ville, ou plutôt une agglomération, une ville, c'est encore trop organique, et qui nous coupe de la terre et du ciel, des forêts, des fleuves, des nuages, des étoiles, des autres créatures que nous ne savons plus comment offenser et persécuter au lieu de les admirer avec ravissement. Oui, j'ai poussé comme un arbre tordu, comme un bonzaï dans son pot. Mais j'ai poussé quand même et je ne me suis pas désséchée; alors que tant d'autres, comme la femme du commentaire, préfèrent le béton soviétique avec un chiotte et une machine à laver au quartier organique et vivant de Polenov, plein de ciel, de soleil, et de coupoles dorées qui se dressent avec une douceur recueillie, prière séculaire reconnaissante et centrale. De cela je peux rendre grâce à Dieu qui ne me laisse pas tomber...








photos Alexeï Romanov
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jeudi 31 octobre 2019

Vieille foi

J'ai eu le temps d'épousseter les dernières fleurs du sedum et d'en faire un bouquet. Elles tiennent très longtemps, et finissent par donner des racines. Autrement la neige est là, et semble vouloir tenir. Il faut à nouveau décroûter la voiture; il faudra déneiger. Tout ce blanc réflechit dans la maison une lumière particulière, diffuse. On entre dans la période "nuit polaire" qui se fait sentir ici. Et on a envie d'hiberner au chaud, avec du thé. Ce n'est pas désagréable. J'ai appris depuis déjà pas mal d'années à profiter du moment présent. Et la Russie accentue cette tendance, car on ne sait jamais de quoi demain sera fait!
J'ai à nouveau mal à la tête, sans doute à cause du changement brutal de température et des "tempêtes magnétiques".
Il y a quelques temps, on m'a communiqué un documentaire sur une communauté de vieux-croyants exilés en Moldavie depuis le XVII° siècle, depuis le schisme. Ce schisme, et la politique ultérieure de Pierre le Grand, ont vraiment martyrisé le peuple russe pour pas grand chose. Pour des réformes insignifiantes qui auraient pu se faire sans douleur quand elles étaient vraiment nécessaires, et pour s'harmoniser avec les Grecs dont le patriarche d'aujourd'hui montre le cas qu'il fait de l'Eglise russe . Au prix de l'admirable, de la cosmique unité du peuple russe, de sa tradition iconographique, architecturale, de son chant religieux, discrédité au profit de compositions artificielles et extérieures pour dindons et pintades de cour.
L'argument, c'est que la Russie était attardée, et qu'on lui a apporté la culture; comme si ce qu'elle avait auparavant n'était pas une culture. Et curieusement, à regarder ce documentaire, j'ai eu le même genre de choc que lorsque j'avais regardé, à vingt ans, "les Chevaux de Feu", mauvais titre pour ce film de Paradjanov qui s'appelle en réalité "les ombres des ancêtres disparus": une plongée dans quelque chose d'originel que je reconnaissais, bien que ce monde ne s'apparentât pas à quoi que ce soit de connu dans mon enfance, quelque chose dont j'avais passionnément besoin, une sorte d'élément naturel dont j'étais privée, à la fois profondément inscrit dans la terre, dans le cosmos, et relié de tous côtés au ciel, complètement sacré. Je crois que c'est là la clé de ma rencontre avec la Russie, beaucoup plus encore que la littérature, la peinture etc. C'est là pour moi la Russie, et dans ce documentaire, elle est à l'état pur, miraculeusement conservée dans ce coin de Moldavie où ont échoué ces vieux-croyants: au XVII° siècle, elle était entièrement comme cela, d'un bout à l'autre, avec ces chants qui semblent directement issus des arbres ou de l'eau, et ces usages chrétiens qu'on dit formalistes mais qui me paraissaient tout à coup extraordinairement vivants et pleins de sens car ils font de la vie de ces gens une célébration perpétuelle et confèrent à leurs visages, à leurs comportements une espèce d'allégresse et de pureté qu'on ne voit plus nulle part. On la voit chez nous sur des sculptures romanes ou gothiques mais nous n'en avons plus le souvenir et ce qu'on nous présente en exemple de vie et qui nous transforme tous en clowns tristes, blasés, vulgaires et agressifs, avec notre liberté et notre émancipation, est à l'opposé de cette sorte de feu intérieur qui habite ces vieux-croyants au bout de trois cents ans d'exil. J'observais la danse du sonneur de cloches, сelui qui clôt le film, son extase, c'était là la Russie que j'aime, pas celle des babouchkas qui brandissent le portrait de Staline, mais celle que haïssait Pierre, que méprisaient ses intellectuels pétersbourgeois, qu'exécraient plus que tous les autres les bolcheviques qui se sont si terriblement acharnés sur elle, jusqu'à la rendre résiduelle, des vieux-croyants comme ceux-ci, des folkloristes, des cosaques en quête de leur mémoire et de leur noblesse perdues. Qu'est-ce que détestaient si férocement tous ces gens si ce n'est à la fois la nature et son Créateur, et cette communion mystérieuse de ce peuple unique avec l'une dans l'Autre?
J'ai beaucoup aimé l'extase panthéiste de Giono, mais elle n'avait aucune dimension chrétienne, et là, chez ces exemplaires sauvegardés du Russe pur jus, on voit que la nature, sa force et sa poésie entrent directement à travers eux dans le Dieu qui les a faites. Il s'opère une sorte de réconciliation, et là plus besoin de théologie, je comprends tout, c'est mon univers, et la réponse aux questions que parfois je me pose en voyant des gens opposer la création au Créateur.


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