L'église de Kondologa vient d'être incendiée par un petit sataniste de 15 ans, un de ces petits monstres hors sol élevés n'importe comment, sans traditions, sans foi, sans passé. L'article qui suit fait, au sujet de cette perte irréparable, les bonnes réflexions
Il y a deux semaines, nous roulions gaiement sur la route de
« Kola », de retour des Solovki. Soudain apparut un panneau
indicateur « Kondologa ». Ma femme proposa de faire le détour pour
voir la célèbre église de bois de la Dormition. Mais il était tard, il faisait
sombre, je n’avais pas envie de perdre le rythme de mon vol sur la route
fraîchement réparée et idéalement lisse. C’est pourquoi, plaisantant en mémoire
des événements de 2006 sur le thème « Kondologa-ville héros », je
dis : « Elle nous attendra, la prochaine fois nous viendrons
spécialement ».
Elle ne nous aura pas attendus. Maintenant, le chef d’œuvre
de la charpenterie russe ne peut plus être vu que sur le blason de sa ville
orpheline. Pour comprendre l’ampleur de la catastrophe humaine, que
représente la disparition dans le feu de l’église de la Dormition de Kondologa,
représentez-vous que s’est effondrée une des pyramides d’Egypte, réduite en
poussière, ou la colonne Trajan, à Rome.
L’église de Kondologa était un des plus beaux monuments de
l’architecture en bois du Nord russe. La signification particulière de ce
phénomène culturel est pleinement compréhensible, c’est justement dans le Nord,
dans les conditions naturelles extrêmes, aux limites de la Russie, que la
culture russe a exprimé son essence avec le plus d’intensité, en s’éloignant de
tout ce qui est secondaire, inutile, en dénudant, dans les formes
architecturales de ses églises de rondins, l’essence même… essence qui s’avéra
incroyablement riche.
Dans une situation frontalière, la culture mobilise toutes
ses ressources intérieures… beaucoup de traits qui ne sont pas essentiels sont
rejetés, et la tendance à la conservation de l’identité culturelle connaît une
brusque croissance… Voici pourquoi les traits génériques de la tradition russe
septentrionale ont été conservés dans leur originalité première. Si sur d’autres terres de l’état russe s’est produit un effacement, une mise à mort
des traditions archaïques, le modèle culturel russe, transposé dans le Nord, engendra toujours plus de textes culturels qui étaient semblables à ceux des
modèles de la Russie ancienne… le Nord russe, c’est une énorme, unique en son
genre réserve historique du travail populaire du bois qui est considéré, à juste
titre, comme le sommet de l’architecture russe populaire », observe Anna
Permilovskaïa, dans son livre «les significations culturelles de l’architecture populaire
du Nord russe ».
L’église de la Dormition de Kondologa était le plus haut
bâtiment conservé de l’architecture russe en bois, 42 mètres, cinq mètres de
plus que l’église de la Transfiguration à Khiji. Mais il n’est pas seulement
question de hauteur, bien sûr, elle exprimait l’essence même de l’architecture
russe et de l’idée civilisationnelle qui lui était liée. Le style en forme de
tente, le plus original et le plus typique des styles architecturaux russes. Grâce
à lui, se dresse au milieu des espaces russes sans limites, une Eglise-Signe
adressé à l’extérieur, le symbole visible de la présence divine dans notre
monde, révélée à travers le peuple russe, son église et sa culture.
Si l’église byzantine « cruciforme à coupoles »
invitait à entrer, promettant le paradis à l’intérieur, les églises russes
hardies, en forme de tente, disposaient symboliquement l’espace autour d’elles,
comme pour insister sur le fait que non seulement l’âme de l’homme, mais la
nature environnante peut être transformée en paradis. Les Russes ont transformé
le Nord sévère en lieu saint, en jardin biblique paradisiaque. Et c’est justement
pourquoi (et pas seulement à cause de considérations économiques), on utilisait
le bois comme matériau, transformant le bâtiment en partie de la nature.
L’église de Kondologa se dressait devant Dieu comme un
cierge à sa place naturelle, sans être enfermée dans la réserve artificielle
d’un musée, et de la sorte témoignait : ici se trouve Dieu, ici le Paradis,
ici la Russie… Quel que soit celui qui l’a incendiée, par négligence ou
malveillance, il a commis un crime épouvantable, comparable à celui du tristement
célèbre Hérostrate, et doit subir le châtiment le plus lourd possible
(malheureusement, notre code pénal est fait de telle manière que dans cette
situation, la peine la plus sévère prévue par la loi paraîtra légère).
Mais la question n’est bien sûr pas seulement et pas tant
qui « a craqué l’allumette » que pourquoi un objet culturel de cette
importance (liste fédérale, sous la protection de l'Etat de 1960, reg. numéro:
101410187740006) n’était pas pourvu d’une sécurité anti incendie qui aurait exclu
une telle catastrophe ?
Le gouvernement n’a pas d’argent ? Mais que me
dites-vous là ! Et on se souvient là que dans l’une des plus paradoxales
autonomies nationales de Russie, à l’endroit de l’ancien gouvernement d’Olonets
(7% de « nationaux », 84% de Russes, grands-russiens,
biélorusses, petits-russiens), d’énormes moyens sont donnés non seulement pour
soutenir mais pour créer à partir de rien une culture « nationale »
même là où elle n’existe pas, et à l’actualisation d’un passé commun avec la
Finlande. Et nous comprenons que oui, en de telles circonstances, on n’a pas le
loisir de s’occuper des monuments de l’architecture russe ancienne, il y a des
centaines de questions plus importantes. D’autant plus quand il s’agit de la
rétive Kondologa.
Il va de soi que le ce n’est pas seulement la direction
actuelle qui est coupable. Tout le XX° siècle est devenu l’époque du monstrueux
génocide culturel de l’architecture de bois russe en Carélie. Aux Solovki, dans
le musée de la Mer, a lieu actuellement une exposition des photos du professeur
suédois LarsPetersen, qui pendant la deuxième guerre mondiale, tandis que la
Carélie était occupée par les Finnois, avait scrupuleusement photographié et
dessiné des dizaines d’églises en bois du nord. Presque sous chaque cliché, l’inscription :
« ne s’est pas conservée » ou «à l’état de ruines ». Les pertes
furent particulièrement grandes au moment du pogrom antireligieux de
Khroutchev. Dans la plupart des cas, c'est seulement grâce à la curiosité des occupants que nous savons comment étaient ces églises.
Avec la destruction des églises du Nord russe, c’est cette
région même qui s’est désacralisée, dérussifiée, ensauvagée, qui s’est
transformée exclusivement en une zone de camps, de scieries et de descente des
rivières par les touristes. Et voilà que la catastrophe humanitaire est venue
des campagnes jusqu’aux villes.
Et ne nous dites pas que « le bois se détruit ou brûle
de toute façon ». Les technologies contemporaines de conservation des
monuments de bois offrent 100% de garantie, et les techniques de restauration
permettent de changer le bois endommagé poutre par poutre, sans nuire à l’homogénéité
de l’ensemble. L’église de Kondologa aurait pu vivre mille ans, au lieu de
cela, on l’a simplement brûlée, et quand on la reconstruira (par bonheur, il y
a des schémas détaillés), on ne pourra faire abstraction de l’impression de
neuf.
Et ici nous touchons à un autre problème plus général, notre
négligence monstrueuse pour les monuments de notre patrimoine. La Russie est un
pays immense. Déjà à cause de cela, toute culture matérielle, même accumulée
pendant des millénaires, est condamnée à se répandre comme une cuillerée de bouillie
sur une assiette. De plus, la plupart de nos régions sont assez pauvres, c’est
pourquoi leur poids culturel n’est pas aussi impressionnant que dans les pays
européens. De plus, l’accumulation est souvent chez nous interrompue par les
invasions étrangères qui se produisent, les révolutions communistes, les
réformes libérales et autres cataclysmes.
Dans ces conditions, nous devons littéralement trembler pour
chaque monument qui s’est conservé plus de 60 ans. Veiller sur lui, nous
efforcer de ne pas le défigurer par des reconstructions et, d’autant plus, ne
pas le détruire. Au lieu de cela, nous nous conduisons sur notre propre
territoire comme des vandales, nous faisons sauter, nous détruisons, nous
défigurons le paysage. Le principe de la « présomption d’innocence du
bâtiment historique » est violé de tous les côtés.
Et ensuite, nous allons raconter combien c’est beau et chaleureux
de marcher par les ruelles médiévales dans les vieilles villes d’Europe et de
nous asseoir sur un banc qui était là il y a 500 ans. Avec de telles
conceptions, nous serons condamnés à toujours envier l’Europe, tant que ne la
détruirons pas les barbares (et par malheur, cela se produira assez bientôt).
Mais il est stupide d’être nos propres barbares.
C’est pourquoi il nous faut une politique gouvernementale
générale et régionale de conservation de la vieille construction. Séparément,
comme l’a montré le cas de Kondologa, il nous faut un programme de totale
surveillance de l’art du bois russe dans tout le pays. Une surveillance
scrupuleuse, des mesures de sécurité anti incendie efficaces.
Dans tous les cas, on ne eput se laisser tenter par la
variante « économique » de la création d’un ghetto pour les églises
et les maisons de bois dans des réserves artificielles. Non, elels doivent être
conservées à leur place, comme une partie du paysage naturel. Oui, c’est plus
cher. Mais c’est ce facetur non matériel dela qualité de la vie qui nous le
rend au centuple, y compris de façon économique. Il ne doit pas y avoir d’abandon
de pareils objets, cette même église de Kondologa a péri parce que son
dernier prêtre a été fusillé en 1937, ce n’était pas une église en activité, ce
qui lui aurait permis d’être surveillée par les dizaines d’yeux des
paroissiens.
En la déjà lointaine année 1966, le sculpteur Konenkov, le
peintre Korine et l’écrivain Léonov répandirent la célèbre requête : «Prenez
soin de nos objets sacrés », dans laquelle ils appelaient à cesser la
destruction insensée des monumennts de l’architecture russe ancienne et
religieuse. Cette requête réussit à arrêter le génocide de notre patrimoine, à
commencer un programme de conservation des monuments historiques et culturels
(c’est juste à ce moment-là que fut fondée la réserve de « Kiji »).
Il serait bien maintenant que des gens respectés, qui font autorité, prennent
la parole pour arrêter notre autodestruction. D’autant plus que le prétexte,
qui a secoué tout le pays, nous l’avons sous les yeux. Seulement qui, de nos
jours « fait autorité » ?
D’une manière ou d’une autre, le 10 août 2018 entrera dans
la liste de nos dates de deuil national, confirmant la sombre « superstition
d’août ». Et c’est une piètre consolation que cette fois, nul n’ai péri,
avec église de Kondologa a péri une partie de nous tous. Ses cendres vont
encore longtemps hanter notre cœur.
Yegor Kholmogorov
trad. Laurence Guillon
Les photos que le père Valeri Blizniouk a publiées sur Facebook donnent une idée de la catastrophe spirituelle, culturelle et mémorielle que cet événement représente. Ce n'est pas pour moi un hasard si c'est précisément cette quintessence de l'esprit russe qui a été anéantie par cette petite créature des ténèbres.
Les photos que le père Valeri Blizniouk a publiées sur Facebook donnent une idée de la catastrophe spirituelle, culturelle et mémorielle que cet événement représente. Ce n'est pas pour moi un hasard si c'est précisément cette quintessence de l'esprit russe qui a été anéantie par cette petite créature des ténèbres.