Début officiel de l’automne qui officieusement
s’est pointé début juillet, brusquement, un matin, nous faisant passer d’un
seul coup de 28° à 14, mais par la même occasion, été indien. On se demande
toujours combien de temps cela va durer… Je suis venue à bout de mes poires, j’ai
terminé le traitement de la production par un clafouti. J’ai fait beaucoup de
confitures et lyophilisé énormément de fruits, et maintenant je commence à
lyophiliser du persil, pour en avoir du « vrai » cet hiver, et ne pas
l’acheter au supermarché. J’ai fait un bortch maigre qu’un bout de viande peut
rendre gras : je fais revenir un oignon dans l’huile, je rajoute de l’eau,
betterave râpée avec ses fanes, pomme de terre râpée, une tomate, de l’ail, de
l’oseille.
Je suis allée à l’église, en me poussant, comme
d’habitude, et en me tirant, j’ai même eu la tentation d’arriver en retard pour
faire plus court, alors que j’étais prête : « Mais enfin, ça ne va
pas ? Tu vas poireauter un quart d’heure sur le seuil pour dire que tu n’y passeras pas une heure
et demie ? Ca devient grave… »
Donc je suis arrivée à l’heure. Et j’ai éprouvé
une grande ferveur, une véritable tendresse pour tous ceux que je voyais autour
de moi, les petites dames qui vendent les cierges, les paroissiens qui me
reconnaissent, leurs enfants, les prêtres…
Je pensais aux miens vivants et morts avec des larmes, à la France
livrée aux ténèbres.
Après la
liturgie, je suis allée au café français. Là, un homme m’a abordée, il s’agissait de Boris Akimov, qui a une ferme-restaurant sur le chemin de laquelle je me
suis complètement égarée samedi dernier. Il a aussi une sorte de club
rassemblant les gens qui font quelque chose, artisans, entrepreneurs, artistes,
sur Pereslavl, et dans lequel il m’inclut. C’est un des fondateurs de Lavka-Lavka,
une entreprise écologique et traditionaliste, pour laquelle travaillaient
Sérioja Klioutchnikov et Génia Harlamov, ils jouaient de la balalaïka dans le
restaurant du même nom, à Moscou, où étaient commercialisés les produits bios
des fermiers de ce groupe. Son fils aîné, qui doit avoir douze ou treize ans, m’a
beaucoup plu : un vrai petit homme, décidé et digne. Un peu comme mon
petit voisin Aliocha.
En sortant de là, je suis tombée sur le pâtissier
Didier et sa femme Martha. Je leur ai promis de les emmener à Rostov dimanche
prochain…
Tous les jours, je vois sur mon fil de nouvelles de nouveaux assassinats
commis par des « déséquilibrés » exotiques, des viols de gamines,
suivis souvent d’exactions atroces, mais s’en inquiéter est raciste, cela a toujours
été comme ça, paraît-il. Les hordes qui nous déferlent dessus n’y sont pour
rien. Est-ce que les mongols de Gengis Khan ne se conduisaient pas comme des
gentlemen ? Et les pirates barbaresques ? D’ailleurs, les blancs
européens chrétiens sont la source de tous les maux du monde entier, et on peut
faire d’eux ce qu’on veut, ils ne méritent pas de vivre.
Une connaissance Facebook se sent soulagée d’avoir
acheté une maison en Russie, qui lui donne une position de repli. Un autre,
déjà parti, s’en félicite tous les jours, dans son isba lointaine, avec ses
poules et ses chèvres.
Mais il y a toujours le même contingent d’imbéciles
qui prennent avec enthousiasme le train fantôme pour le pays des horreurs et
traitent de tous les noms ceux qui ne leur emboîtent pas le pas, et cherchent à
les réveiller. Un correspondant russe a envoyé un tableau dont j’ignore l’auteur,
mais qui est saisissant : l’intelligentsia russe défilant « pour la
liberté et la démocratie » en 1905…
Quinze ans plus tard, toutes ces dames du monde,
ces messieurs distingués, ces jeunes gens, ces lycéens qui vocifèrent sous
hypnose, ou se sont-ils retrouvés ? En exil un peu partout, chauffeurs de
taxi à Paris, prostituées à Constantinople pour un bout de pain, ou bien aux
Solovki, ou bien encore sous terre, sommairement exécutés. Il en est ainsi
depuis que des malfaiteurs "veulent notre bien" et nous manipulent, depuis qu’ils
nous enfument avec des illusions, nous ôtant, comme à des enfants capricieux et
crédules, tous nos garde-fous pour nous précipiter dans la misère et la
dégradation. Cela fait deux cents ans que sans arrêt surgissent de nouveaux
pitres, de nouveaux maïdans colorés, de nouveaux hallucinés qui font le malheur
de leur propre peuple, et le bonheur des araignées obèses qui régissent le
monde par delà les brumes bigarrées des jolis mensonges.