Ce séjour en France a été un vrai marathon, je ne
comprends pas pourquoi de l’ai prévu si court, enfin si, je sais, les chats que
je ne voulais pas laisser seuls...
Je suis allée à Solan, et pendant la liturgie,
j’avais la larme à l’œil : tout était si beau, si fervent, et parfaitement
compréhensible, étonnement français, bien que byzantin, j'y retrouvais l'esprit roman depuis si longtemps perdu. Après, au café, j’ai parlé un peu à la mère Hypandia, qui m’a
dit que j’étais très bien là où j’étais. Et en effet, je crois que je suis là
bas à ma place. Un paroissien, en me saluant, m’a soufflé que j’avais fait le bon choix,
que j’étais du bon côté de la barrière.
« Il me semble que l’on n’a pas commémoré Bartholomée, lui ai-je
répondu.
- Mais si, mais si, et même, on nous a demandé à
tous de signer une lettre de félicitations pour les récentes canonisations du
patriarche Bartholomée au mont Athos. Et
j’ai refusé, car je ne suis pas contre les canonisations, mais contre le moment choisi
pour cela, et la manipulation dans laquelle elles s’inscrivent. »
Ensuite, j’ai dîné chez les Belges que je ne
connaissais que par correspondance, avec Annamaria et Giovanni. Nicolas est
très documenté sur la Russie, qu’il a visitée pour la première fois. C’est un homme d’une grande ferveur, d’une grande culture. Il aime
parler car il est passionné par les sujets qu’il aborde, sa femme est plus
effacée, sans doute justement parce qu’il parle beaucoup ! Il a de belles
icônes anciennes, des icônes en bronze de vieux croyants, sur lesquelles il
voudrait faire un livre. Il a essayé d’expliquer aux Italiens pourquoi les manœuvres de Bartholomée et du
métropolite Emmanuel étaient indéfendables, et il l'a fait avec tact, avec respect, avec amour. Nos amis sont tout ce
qu’il y a de plus gentils et tolérants mais restent sur la position que l’Athos
a toujours raison, donc le père Elisée et Solan qui le suit. Je m’en référais
aussi toujours à l’Athos, jusqu’à l’histoire d’Ukraine, et la vilenie totale de
ce tomos accordé à des imposteurs sinistres, dans le dos du saint homme qui est
le métropolite légitime du pays, en l’exposant ainsi que tout son troupeau à des
persécutions brutales…
Qu’aurait dit le père Placide de tout cela ?
J’ai rencontré une amie très chère, qui, alors qu’elle est revenue s’installer
près de Solan, se sent aussi un peu en porte-à-faux. Car le métropolite Onuphre
lui paraît d’une grande sainteté, cette sainteté et cette bonté rayonnent de
toutes ses photos, et de tous ses discours, la ferveur de ses fidèles, soudés
autour de lui, la transportent et ne lui laissent aucun doute. Voilà une femme
profonde, lucide et honnête pour qui j’ai une grande estime. Elle me dit aussi que j’ai bien
choisi et qu’ici, c’est le désert. Sa
ferveur m’inspire de la honte, car je suis loin d’en avoir une pareille. Sa
conversion tardive lui donne un sentiment d’urgence, comment rattraper sa vie
perdue jusqu’alors, et se rendre digne de Dieu, de son amour, et de l’immense
récompense qu’il nous propose ? Elle discerne en moi, parallèlement à mes aspirations spirituelles, des éléments telluriques, ce qui est très vrai, c'est même ce qui me rapproche de la spiritualité russe. Ernst Jünger disait: "le Christ russe sent la terre..."
Je logeais chez Martin et Cécile, avec qui j’ai
passé ma dernière soirée. J’adore Cécile, toujours bienveillante et gaie. Je l'ai emmenée au café du Commerce, où elle aimait aller s'asseoir avec moi, et j'ai retrouvé son ambiance typique. Il a changé de propriétaire et de
décoration, mais le comptoir d’origine a été préservé et le café crème est bien
meilleur. J’ai appris que mon voisin le décorateur parisien aux tenues colorées qui avait pris sa
retraite quand j’étais là bas, et adorait le village était déjà mort d’un cancer.
Il a joui de son bonheur quatre ans…
Ensuite je suis partie à Limoux. J’ai voulu
visiter la cité de Carcassonne, car j’étais en avance, et c’était un grandiose
spectacle que ces murailles incendiées de soleil sur un fond de gros nuages
bleus, avec les douces phosphorescences des arbres d’automne, mais j’ai assez
vite ressenti que mes genoux arthrosiques commençaient à souffrir. La descente
de la porte de l’Aude a été un moment difficile.
J’ai retrouvé avec bonheur Henri et Patricia. Ma
peste de chienne terrorisait leur bon gros chat. Malgré cela nous avons discuté
et plaisanté à perte de vue. Il se trouve qu’indépendamment des manoeuvres
phanarodoxes qui peuvent entraîner indirectement le passage du monastère de Cantauques, sous
la juridiction roumaine, à passer du côté Bartholomée de la barrière, Henri et
sa femme, à l’issue de problèmes divers, n’y vont plus, c’est-à-dire qu’ils
sont sans paroisse. Henri prie sur le sommet du pic de Bugarach, ce que je comprends, je prie aussi beaucoup mieux en contemplation devant la nature, surtout quand elle est grandiose et intacte.
En somme tous ces Français ou Belges extrêmement
fervents et profonds sont isolés chacun dans leur coin, et ne sont plus
vraiment en phase avec leur îlot de spiritualité orthodoxe. C’est peut-être
déjà la concrétisation de ce qui est prédit par les écritures, au sujet des
derniers temps, et comme je suis moins fervente, le Seigneur m’a expédiée dans
un pays où les choses restent encore normales, où vivre sa foi est plus facile.
Henri m’a présenté un ermite, son ami Christian qui
vit loin de tout dans la montagne. C’est
un basque, peintre abstrait, orthodoxe sans paroisse lui aussi. Il voit la
France s’abîmer dans la barbarie, recouverte d’étrangers que l’on dresse contre
nous, afin de leur donner toutes les raisons de nous spolier, violer, tabasser
comme ils commencent allègrement à le faire. Nous avons analysé toutes les
fourbes et perverses manipulations qui nous laissent sans défense devant notre
génocide programmé. Sans défense et sans aucune lucidité, soumis à un dressage et un formatage insidieux de tous les instants. On nous prive de tous nos anticorps spirituels et culturels, notre foi, notre héritage, notre mémoire, notre histoire, et même notre langue, simplifiée, déformée, "déconstruite" pour devenir un pauvre sabir à l'usage du consommateur imbécile métissé qui devra peupler le pays d'ici quelques décennies, selon le plan criminel d'une caste retorse et implacable. Ces hommes du terroir disaient leur tristesse devant ce pays qui ne signifie rien pour ses occupants allogènes, et qui a mis des millénaires à se constituer, qui est dans nos gènes, dans notre sang. Henri est pétri de la nature où il est né. Et même si j'ai choisi l'exil et aime la Russie comme un mari que j'aurais suivi ailleurs, je suis dans le même cas. Mais ceux qu'on nous déverse dessus, qu'on nous impose malgré nous, qu'en ont-ils à faire de notre terre, de nos châteaux, de nos églises, de nos villages, que peuvent-ils y comprendre? Ils ne peuvent que tout haïr en bloc, car ils ne viennent pas par amour, ils viennent en prédateurs, pour prendre, spolier, violer, tuer, pareils à tous les conquérants de toutes les époques, les Huns, les Sarrazins, les Mongols et les Turcs, qui n'ont pas de pays mais errent en quête de rapines et de proies. Christian, en voyant la vidéo de l'anniversaire du fils de Skountsev, où tout le monde chantait si bien, m'a dit: "Ils font plaisir à voir, car ils sont paisiblement fiers d'être ce qu'ils sont, et de leur culture, de leur histoire, de tout ce qui les unit, ce sont des hommes, un peu comme les berbères que j'ai connus en Algérie. Alors que les Français contemporains sont mous et égarés, ils ne savent plus qui ils sont." Malgré ces tristes constatations, nous avons bien rigolé, car l'humour, c'est bien connu, est la politesse du désespoir...
Pour terminer mon séjour, nous avons déjeuné dans un restaurant local avec un jeune homme qui voulait me rencontrer lui aussi, et me poser des questions sur la Russie. "Vous êtes connue pour votre franc-parler..." m'a-t-il dit. Je n'ai pas toujours conscience de l'énormité de ce que je sors, mais disons que cela me vient naturellement. Genre "le roi est nu"!
Nous avons ensuite fait un pèlerinage au pic de Bugarach, qui est si beau et si impressionnant. La
nature, ici, est de type méditerranéen, mais plus sauvage, plus mystérieuse et
plus grandiose, en réalité, ce qui reste un peu rabougri en Provence, dans la
sécheresse du mistral, prend ici de l’ampleur sous l’influence océanique, les
arbres sont plus grands, les sous-bois plus profonds, et bien que l’on truffe
de migrants cette terre antique dont ils n’ont rien à faire et qu’ils se
hâteront de saccager, elle garde une authenticité, une présence, elle est
pleine d’ancêtres et d’anciennes magies.
Le ciel avait des tons de nacre, et les sonnailles
d’un troupeau de vaches déployaient dans le silence les broderies de leurs
tintinnabulements frêles.
Le pic de Bugarach |
avec Henri |
avec Patricia |
Ritoulia |