Dany et moi aurons sans doute un peu de mal à reprendre nos esprits, après la petite fête organisée chez elle, car nous sommes toutes deux plus ou moins exténuées en permanence. Il y avait du monde, tous ne sont pas venus mais quand même c'était plutôt bourré. Skountsev était en deplacement, Dima je ne sais où. En revanche, j'ai eu Kolia Trifilov, Kolia Sakharov et Dima Almetchenko, avec son accordéon, pour représenter le cercle cosaque. Ils ont chante seuls, avec Katia et moi, et produit une grosse impression. Le père Fiodor les écoutait tétanisé. J'avais presque tout le clergé de la paroisse de la Protection. En plus du père Fiodor, le père Valeri, le père Dimitri. Et bien sûr le père Valentin qui avait surmonté une fatigue égale à la mienne (ou peut-être supérieure) pour cette grande occasion, car je ne fêtais pas seulement l'anniversaire mais le permis de séjour, avec une grande partie des gens qui comptent le plus pour moi, ici.
Le père Valentin a porté un toast qui m'est allé droit au coeur: "La vie de Laurence a quelque chose de miraculeux, et je pèse mes mots. Car éprise de la Russie, sans renier la France, elle a d'abord choisi l'orthodoxie, comme si Dieu était allé par ce biais, à sa rencontre, et suivi son chemin jusqu'à l'événement qui nous rassemble, comme Abraham partant pour la terre promise. Et le plus miraculeux, c'est qu'ayant à ce point rêvé de notre pays, et le découvrant tel qu'il est à présent, elle n'a pas cessé de l'aimer, avec tous ses défauts et ses blessures, pour les qualités qu'elle lui trouve encore et que nous ne voyons pas toujours."
J'ai répondu en parlant du folklore, reflet de l'âme russe, et de la nécessité de le sauver et de le transmettre. Les cosaques ont bien sûr de jeunes disciples mais je les ai trouvés un peu découragés par l'assaut inexorable de la modernité hideuse.
Il y avait aussi les peintres, les Soutiaguine, Yana, et puis le père Vladimir Viguilianski et sa femme Olessia, qui m'a d'ailleurs tellement louée sur sa page que j'en suis confuse car beaucoup de ses lecteurs me prennent pour une vraie chanteuse cosaque, ce qui est loin d'être le cas. J'étais heureuse car je ne vois pas très souvent beaucoup de ces amis, et je sentais chez eux tout ce que j'aime, une personnalité et un talent qui échappent à la vanité et ne les empêchent pas de rester profondément vrais, naturels et chaleureux.
Je bénis le Seigneur de m'avoir amenée à bon port, et remercie Dany et Iouri de nous avoir permis de vivre ce merveilleux moment.
On m'avait recommandé de m'inscrire la veille sur un papier qui, théoriquement, devait figurer sur la porte extérieure du service d'immigration pour ne pas faire la queue trop longtemps le lendemain, lors de l'enregistrement du permis de séjour. Mais je n'ai pas vu ce papier le soir, et ne l'ai pas vu le matin suivant. Je suis venue une heure à l'avance, et à la demande de ceux qui arrivaient, j'ai fait un autre papier, où ils s'inscrivaient. Au moment de l'ouverture, débarque un contingent d'ouzbeks et de tadjiks avec leur liste, ce sont eux qui contrôlent tout. J'ai compris que si on ne faisait pas partie de leur tribu, on passait après. J'ai donc attendu quatre heures dans le couloir. Un jeune Ukrainien a pris les choses en main, la liste et sa surveillance. Théoriquement, on devrait avoir un système de talons de queue, géré électroniquement, mais depuis que je viens, il est détraqué et n'a jamais été réparé. Le jeune homme était très gentil et il avait beaucoup d'humour. Je devais passer après lui, mais il m'a cédé son tour. La jeune femme du service d'immigration a été absolument adorable. Elle était contrariée que personne ne m'eût cédé la place avant. Je lui ai expliqué le contrôle asiatique de la liste, et elle m'a dit que l'année prochaine, il me fallait venir la trouver, pour la confirmation annuelle de ma présence, et qu'elle s'en occuperait personnellement. Elle m'a dit qu'elle avait fait récemment un voyage à Paris et que la saleté de la ville l'avait sidérée. Cela m'a serré le coeur.
J'avais oublié mes moufles chez elle, la veille, et les avait cherchées partout, mais elle me les avait gardées. Elle avait un spitz qui est mort dans un accident de voiture, et m'a dit que si Rita avait des petits, elle était preneuse. Rita a séduit tout le service d'immigration, et on lui a même donné à boire.
Entre la visite chez la juriste et le service d'immigration, j'ai fait une halte au café Montpensier, où le personnel a gavé Rita de blanc de poulet, tandis que je prenais ma soupe préférée, la solianka.
Mon permis de séjour est à vie, mais il faut confirmer chaque année qu'on est toujours là et qu'on a de quoi vivre. J'ai un enregistrement (propiska) officiel à mon adresse de Pereslavl. Le permis de séjour tient lieu de pièce d'identité.
Reste l'expédition à Petrovskoïé à la police de la route, pour modifier l'enregistrement de la voiture...
J'avais écrit "immigration, dernier acte", eh bien pas tout à fait... Ce matin, je suis allée faire enregistrer le permis de séjour, avec le papier qu'on m'avait fait signer. Et au service d'immigration, où personne ne faisait la queue, on m'a annoncé que ce n'était pas le jour et l'heure de le faire, et qu'il me fallait apporter une copie du document, une copie de mon passeport, une attestation que j'avais payé les droits de 350 roubles, et le certificat prouvant que j'étais propriétaire de ma maison, en plus d'une déclaration que je pouvais trouver chez une des juristes qui aident les gens à affronter tout cela. Je suis donc allée chez la juriste. Puis je me suis propulsée à la banque, pour payer et recevoir le papier. Et demain, je retournerai chez la juriste, remplir et signer la déclaration, puis j'irai faire la queue en espérant que j'arriverai à passer d'ici six heures du soir. Un Tadjik m'a dit qu'en ce moment, ce n'était pas trop l'affluence.
Parce qu'en plus de tout cela, il me faut préparer la bringue que je fais dimanche, pour mon anniversaire et le permis de séjour, à Moscou. Evidemment, je ne pourrai pas revenir dimanche soir à Pereslavl. De sorte qu'il me faut en terminer avant. Car pour l'enregistrement, j'ai droit à sept jours ouvrables.
En rentrant, j'ai eu un tel coup de barre que j'ai dormi presque deux heures.
Je m'étais accordée pourtant une pause, hier, sans soupçonner que j'aurais encore à courir après les papiers. J'étais allée au lac, car le temps était froid et neigeux, avec des nuages chatoyants d'une lumière intérieure nacrée, et j'avais envie de contempler le ciel sans édifices parasites moches. Je suis arrivée dans un infini de silence et de blancheur, de lueurs, d'ondes presque imperceptibles qui animaient tout cela, au dessus de moi, et sur les eaux figées, et les signes, les graffitis des arbres emmêlés, les lavis roux et dorés des roseaux, des ramures, et l'église des Quarante Martyrs, qui semblait faite de cristal et de métal, pareille aux lampes qui brûlent devant les icônes. Un couple s'éloignait sur la glace, il devenait de plus en plus petit et solitaire, et je m'y avançais aussi, avec Ritoulia qui aime bien les promenades au lac. Les eaux étaient d'un blanc absolument pur, et pourtant nuancé, il gardait les traces du mouvement des vagues, ici parfaitement mat, là légèrement transparent. Et les nuages d'argent laissaient apparaître de profondes et discrètes dorures, une sorte d'au-delà trop glorieux pour être vu sans voiles.
Puis j'ai récupéré des livres que j'avais commandés à la librairie Labyrinthe, le fameux "Lavr", "roman non historique" qui vous plonge dans le moyen âge russe comme si vous y étiez, le peu que j'en ai lu est complètement envoûtant, et me rappelle le documentaire sur les vieux-croyants de Roumanie: c'est quelque chose que mon âme reconnaît comme sa patrie perdue, bien que je n'ai pas été élevée de cette manière, dans ces circonstances ni cet environnement, une sorte de mémoire génétique est prise chez moi d'une indicible nostalgie quand elle rencontre quelque chose qui lui parle de notre élément humain naturel et de notre destin spirituel trahi, obscurci, qu'il faut à présent tant d'efforts pour restaurer. Je regrette de n'avoir pas pu me procurer ce livre avant, il n'était jamais disponible. Sa lecture aurait sans doute modifié l'écriture du mien.
Hier, retour à Iaroslavl, pour recevoir le permis de séjour définitif. J'étais accompagnée du père Constantin et de la journaliste Natacha. Il y avait la queue, mais pas trop longue. Devant moi, un jeune Ukrainien, très agréable, bien élevé, parlant le russe impeccable d'une personne cultivée.
Je m'attendais à un tampon sur mon passeport, mais j'ai eu droit à un document d'identité qui en tient lieu; et qui si je le renouvelle tous les cinq ans jusqu'au bout, m'amènera au delà de mon centième anniversaire, ce qui me laisse de la marge.
Reste à l'enregistrer à Pereslavl, ce que je vais faire demain matin, et à changer l'enregistrement de la voiture et pour cela obtenir un rendez-vous à Petrovskoïé, quand c'est impossible par téléphone et que le site ne reconnaît pas mon passeport français, mais peut-être admettra-t-il le "VNJ", le nouveau document qui m'a été délivré?
Après cela, je me suis retrouvée à fêter l'événement avec le père Constantin et Natacha dans un café qui ne payait pas tellement de mine, mais où tout était très bon, et nous avons repris la route. De nuit, malheureusement. Je ne ferais pas cela tous les jours.
En arrivant, j'ai pris le thé chez le père Constantin. Son chat Moustache est plutôt du genre combattif et je me faisais quelque souci pour Rita. C'est sur mes conseils qu'il a appelé son chat Moustache, et du coup, je n'appelle plus mon chaton de cette manière, car il se peut qu'il vienne avec le sien garder tout le monde quand je serai à l'hôpital. J'appelle le mien Schtroumpf; cela ne lui va finalement pas mal. Schtroumpf n'a pas une once d'agressivité. Il est tellement gentil qu'à mon avis, sans moi, il n'aurait jamais survécu. Je pense que c'est aussi le sien, car il m'adore positivement. C'est le seul de mon affreuse équipe qui n'est jamais jaloux, jamais grognon, toujours disposé à copiner, toujours enjoué, et très câlin.
Un photographe italien a été surpris de la réaction du métropolite Onuphre Mon camarade, le photographe italien Rocco Lamparelli s’est étonné de la réaction de notre Béatitude, quand un homme l’a saisi par la main. Quelque chose de comparable s’est produit tout récemment avec le pape de Rome et cela a provoqué un grand scandale. Sa Béatitude Onuphre, que Dieu lui donne la santé, a juste regardé cet homme et celui-ci l’a laissé. Et je me suis souvenu d’un autre cas, le 9 mai 2015, quand des forces mauvaises lui envoyèrent un malade mental pour qu’il créât une provocation. Toutes les caméras étaient alors dirrigées sur sa Béatitude. Et lui a tranquillement posé la main sur la tête du malade et celui-ci, comme s’il avait reçu un seau d’eau, partit en trébuchant et marmonnant dans sa barbe quelque chose pour lui-même. La provocation n’a pas marché. Gloire à Dieu pour tout ! Dieu est avec nous !
Ca y est, tombe la neige... et pour l'instant, elle tient. Mercredi je suis allée à Rostov, et au retour, avec le mauvais temps, le crépuscule, les phares, je ne voyais rien du tout, j'avais mal aux yeux et envie de dormir. Le lendemain, j'allai à Iaroslavl, car je n'arrivais pas à obtenir les services d'immigration au téléphone. Mais le navigateur ne trouvait pas la rue, que j'orthographiais mal. Je devais retrouver le père Gleason, qui venait aussi chercher son permis de séjour, et Vassili Tomachinski, dans une pizzeria près du centre de l'immigration, Vassili m'avait donné la même adresse, je pensais que c'était dans le même bâtiment. Affronter l'administration en groupe me donnait du courage, car les Russes ont l'habitude de leurs fonctionnaires. Mais je me suis aperçue que je n'avais pas le numéro de Vassili, que j'aurais appelé pour le rencontrer quelque part et m'y rendre avec lui. J'ai laissé la voiture à la gare routière, par peur de me perdre, et j'ai pris un taxi. En effet, sans navigateur, je me serais perdue, c'est au diable vauvert, dans un quartier de barres de béton excentré. Sur place, pas de pizzeria, et il soufflait un vent glacial, sans compter que je ne peux rester debout longtemps. J'ai demandé aux gens du coin, et rallié la seule pizzeria dont ils avaient connaissance, à environ 500 mètres du centre. Je n'y ai vu ni le père Gleason, ni Vassili, mais j'ai déjeuné au chaud. Puis j'ai refait en claudiquant les 500 mètres en sens inverse. Devant la porte close en plein vent s'alignaient les Ukrainiens, Ouzbeks, Tadjiks venus s'occuper de leurs affaires d'immigration. Bousculade et rush à l'intérieur, où un écran déterminait quel talon prendre pour quelle queue. Je ne comprenais rien à cet écran, et ce d'autant plus que les gens s'énervaient derrière, à la rubrique "Permis de séjour permanent", il était marqué qu'on ne délivrait pas de talon, et que l'inscription par rendez-vous était fermée pour une semaine. J'ai commencé à chercher autour de moi s'il y avait moyen de se renseigner, si un bureau ou un guichet correspondait à mon cas, et je n'ai rien trouvé, je pense que j'étais trop fatiguée pour faire face. Je me suis retrouvée dans la rue, et j'ai pris, sur les conseils de mon taxi, un bus qui m'a amenée à la gare routière au bout de 45 minutes de trajet, et, complètement démoralisée, j'ai récupéré la voiture.
Alors que j'avais fait plus de la moitié du chemin, le téléphone s'est mis à sonner avec insistance, mais je conduisais. J'ai fini par répondre. Vassili m'annonçait triomphalement que mon permis était prêt, que le père Gleason et lui l'avaient vu. Question: pourquoi ne m'avait-il pas appelée avant, quand je cherchais la fichue pizzeria qui, contrairement à ses indications, se trouvait à un kilomètre et demi du centre des services d'immigration? Mystère de l'intellectuel russe!
Enfin le truc est prêt, je referai l'expédition lundi pour aller le récupérer. Après, il me faudra passer à la police, qui est dans un bled sur le trajet, pour changer l'enregistrement de la voiture. Mais il est fort possible que je doive auparavant faire enregistrer le permis de séjour à Pereslavl. Cependant, je ferai quand même le détour, car on ne peut prendre rendez-vous avec la police par téléphone, il faut le faire sur internet, mais le site ne reconnaît pas les passeports français...
Après quoi il me faudra entreprendre les démarches pour avoir une assurance médicale et parvenir à me faire soigner les genoux...
Au cours de tout cela, naturellement, je ne manquerai pas de mettre en pratique les conseils spirituels d'une jeune personne de ma connaissance, louer Dieu en toutes circonstances, comme le font les gens qui ont de vrais problèmes, répéter telle et telle prière, ce qu'au cours de ma longue vie je n'avais jamais eu à l'idée de faire, heureusement qu'elle était là pour me le révéler, tandis que je la conduisais à travers le blizzard, les yeux écarquillés.
Deux jours avant cette expédition, alors que j'avais laissé le portillon ouvert dans l'attente du plombier, j'ai vu arriver un couple jovial que je ne reconnaissais pas du tout, lui, je ne le connaissais d'ailleurs vraiment pas, mais elle m'avait logée en hôte payant il y quatre ans, quand j'ai acheté ma maison. Elle m'avait cherchée, disait-elle, tout ce temps-là et m'a aussitôt invitée pour le lendemain, et cela sans me laisser la moindre chance de me défiler!!!.
Elle a trouvé ce compagnon, très gentil, après 25 ans de solitude, et leur entente est touchante. Elle m'a vivement conseillé de faire comme elle et d'en prendre un au plus vite. Elle est très pittoresque, mais je ne crois pas que nous ayons beaucoup d'affinités... Elle a fait partie d'un groupe folklorique de type sourire permanent et robes de poupées de foire. Chez elle, c'est un festival de mauvais goût, quelque chose comme l'intérieur d'une Yvette Horner pas friquée. Tout y est, tout: le faux artisanat paysan, les fanfreluches, les fleurs artificielles, les broderies de perles de rocaille sur un fond prédessiné industriellement bien miévrassou: bonnes femmes à décolletés pigeonnants et à grandes capelines, petits enfants nunuches, bouquets boursouflés, petits chats, petits chiens, petits oiseaux... Les icônes qu'elle fait dans le genre ne se vendent pas, c'est parce que, me dit-elle, "je jure comme un charretier quand je n'arrive pas à enfiler mon aiguille!" J'ai eu droit, bien sûr, à beaucoup de conseils et à plein de cadeaux domestiques, plante verte, herbes médicinales. Mon angoisse suprême était de me voir offrir une des tapisseries ornées de perles de rocaille, mais j'y ai échappé, grâce à Dieu. Et pour finir, et m'achever, elle me demande: "Et quand vas-tu te faire construire une clôture décente?
- Comment ça, une clôture décente? Je l'ai fait refaire il y a deux ans, et elle est très bien!
- Je veux dire une clôture métallique, comme la mienne!
- Ah! (et cela fut un cri du coeur irrépressible) Jamais! J'ai horreur des clôtures métalliques!"
Je suis allée à l'église ce matin, pour la fête, à la cathédrale, comme d'habitude. Je m'étais confessée cinq jours auparavant, au père Valentin, mais ici, la confession est systématique, donc, j'attendais devant le lutrin. Sort le père Andreï. Tout le monde se précipite pour avoir sa bénédiction, et à la suite de cela, plusieurs personnes me passent devant, des gosses, des bonnes femmes, or je ne peux pas rester debout longtemps à faire la queue, et tout ce monde-là, si, tout ce monde-là n'est pas dans l'âge critique.
Fort heureusement, devant l'affluence, un autre prêtre est venu officier, je suis allée le trouver, j'avais moins mal qu'hier, parce que j'avais pris du diclophénac, mais je n'avais vraiment pas envie de surmener mes vieux os.
A la fin de la liturgie, le clergé est allé bénir les eaux dans un autre local, et toute l'assemblée a suivi, comme je traîne la patte, je suis arrivée parmi les derniers de la queue qui s'allongeait devant la porte étroite, et au bout de cinq minutes, j'ai décidé que je me passerais d'eau bénite, c'était trop pénible.
Tout était gelé de ce qui avait fondu auparavant. Heureusement que j'ai une voiture. Je suis allée au café français. Les gamins qui servent et la femme de ménage m'ont accueillie joyeusement. Je peux dire que si j'aime les Russes, de leur côté, ils me le rendent bien.
La femme de ménage m'a posé des questions sur les types de la télévision qui m'avaient filmée au café, si j'avais vu l'émission. "Non, je n'ai pas la télé, et bien qu'ils aient promis de le faire, ils ne m'ont pas prévenue du jour où cela passerait, les gens de la télé, c'est spécial. De tout ce que j'ai tourné pour les uns et les autres, je n'ai encore rien vu, d'ailleurs, peut-être que c'est mieux comme ça!
- Mais c'était sur quel thème?
- La vie provinciale et ses figures! Pourquoi j'étais venue ici, si je me plaisais ici...
- Et vous vous plaisez?
- Oui, je me plais, le climat est dur mais j'aime bien les gens, et ils m'aiment bien.
- Comment ne pas vous aimer?"
Ca fait plaisir à entendre!
J'ai vu ensuite arriver le père Constantin avec deux amies. Il m'a proposé de garder ma maison, mes chats et Rita pendant que je serai à l'hosto.
Après tout cela, j'ai décidé de commencer les icônes que l'on m'a commandées en France, car il me revient peu à peu un semblant d'état de grâce. J'ai d'abord poncé sur le perron les planches qu'il me restait de ma collection de Cavillargues, face à un paysage gris et morne, puis j'ai préparé un jaune d'oeuf. Je n'ai toujours pas retrouvé de bon pinceau souple, et cela me gêne beaucoup. Néanmoins, l'activité me procurait la paix intérieure dont Facebook me prive régulièrement, d'autant plus que je la pratiquais en écoutant le psautier lu intégralement par les moines de Valaam. Même lorsque on ne comprend rien, leur façon de lire nous transporte dans un autre monde, ou dans l'au-delà du monde, ou à la source du monde. Mais je les comprends d'ailleurs de mieux en mieux, malgré le slavon. Ce matin, à l'église, je ne comprenais rien du tout, mais eussent-ils lu en russe que je n'aurais pas mieux compris. Alors que les moines de Valaam lisent très clairement, mais que l'on comprenne ou pas n'est soudain pas grave, leur état de prière passe directement dans le coeur.
Enfin si on comprend, évidemment, c'est mieux. Dieu sait que les psaumes sont beaux, mais à y bien réflechir, sont-ils compréhensibles au sens où on entend ce mot d'habitude? Ils sont compréhensibles à la façon de la poésie, c'est-à-dire qu'ils communiquent des choses indicibles grâce à des images, des symboles. Et c'est là mon élément, comme du reste les icônes elles-mêmes, beaucoup plus que des textes plus explicites. Que signifie " si vous dormez au milieu de vos héritages, les ailes de la colombe se revêtiront d'argent, et les extrémités de son dos auront l'éclat de l'or"? Ou bien: "le char de Dieu est fait de myriades, de milliers qui rayonnent de joie"?
Oui, chanter sur la harpe et la cithare, ou manipuler les vibrantes et profondes couleurs, c'est là mon élément et ma meilleure prière.