Le père Valentin m'a emmenée à l'église principale des vieux-croyants de Moscou, c'est tout un ensemble, avec une boutique et une cantine, plusieurs églises. Il est surprenant qu'elles soient d'un style occidentalise, alors que l'église attenante bâtie au XIX siecle pour les tenants du vieux rituel qui reconnaissaient l'église nikonienne est dans un style neorusse charmant. D'après le père Valentin, il y a beaucoup de différences entre les textes utilisés par les vieux-croyants et ceux des nikoniens qui se basent sur les originaux grecs. Il s'est beaucoup intéressé à la question, pour des raisons linguistiques et par sympathie romantique pour les vieux-croyants. Il considère qu'on a eu raison de corriger ces textes. En réalité, ces corrections seraient sans doute bien passées, si on n'avait pas modifié des choses plus évidentes, plus cruciales et moins importantes touchant au rituel. Il m'a dit que les tsars avaient fait plusieurs tentatives pour réparer le schisme, en proposant de réintégrer les tenants de la vieille foi en leur permettant de garder leurs usages, mais seulement une partie d'entre eux à réagi favorablement. À un moment, la vieille foi menaçait, si l'on peut dire, de devenir majoritaire dans le peuple qui restait attaché à ses usages.
Il voulait me faire un cadeau pour mon anniversaire et comme je m'extasiais sur les icônes de laiton émaillé, il m'a demandé d'en choisir une. J'ai pris saint Ouar, non parce que c'était la plus belle, mais parce que c'est un saint que l'on prie pour les gens morts dans l'incroyance.
Je lui ai rapporté que d'après ma famille, au moment de mettre dans le caveau des Pleynet les cendres d'Henry, la tombe et nos proches avaient été brusquement inondés de soleil par une brèche dans les nuages. "C'est bien sûr un signe.... M'a-t-il dit.
- C'est bien ainsi que je l'ai ressenti, mais si ma famille en a été frappée, rien ne saurait la pousser à franchir le pas, elle vit sans cela et je suis la seule à y prêter une véritable attention. C'est pourquoi j'ai choisi saint Ouar."
Le territoire de ces églises était blanc de neige sous une vive lumière et des vapeurs flottaient dans l'azur, derrière les coupoles dorées ou multicolores. Je m'enfoncais dans ce spectacle qui me faisait oublier les immeubles en béton, et j'en ressentais une impression de répit et de grâce, songeant que la Russie demeurait en de tels endroits et certainement pas dans les défilés des navalnichons. J'ai eu même réconfort plus tard dans la cantine de l'endroit, quand le père Valentin a prié silencieusement pour bénir le repas. Une sorte de paix bénéfique et chaude.
Je suis ensuite allée chez Xioucha, que je n'avais pas vue depuis une éternité. Un de ses ados a décrété qu'il était pour Navalny, j'ai eu la flemme de lui demander pourquoi, mais je le regrette. Il est très musicien mais chante en anglais à la guitare électrique, et tout cet anglosaxonisme africanisant universel de rigueur m'emmerde. Sa fille aînée est sortie de l'âge ingrat et elle est devenue un être humain agréable. Elle est très artiste, elle dessine très bien, elle coud et aime à créer des modèles de vêtements.
Enfin je suis partie à la rencontre d'Albert qui était revenu à son état normal et était prêt à me couper les cheveux
La veille, Skountsev était venu répéter avec moi pour que j'apprenne à jouer en groupe, ce qui n'est pas possible à distance. Nous avons fait un récital à la famille Asmus. Je mesure la distance entre l'univers de Skountsev et de ses fils, et aussi des cosaques de Pereslavl et leurs enfants, et puis les navalnichons, béats devant la culture de masse de la matrice mondialiste. Xioucha m'a raconté que la fille d'une de ses amies libérale ayant amené chez elle, à l'issue d'un meeting, des navalnichons bourrés ou jointes, ou les deux, cela s'était terminé par une bagarre dans l'escalier, puis par des depredations commises sur les voitures garées dans la cour. "Le voilà, notre avenir radieux," m'a-t-elle dit en rigolant.
Ce matin, j'ai vu que France Musique annonçait l'arrestation des enfants du pianiste Berezovski, il se trouve qu'ils habitent l'appartement du dessous, et j'ai vu l'un d'eux il y a 2 jours, un charmant petit intellectuel de 15 ans au physique asiatique. Sa mère raconte d'après France Musique, qu'il a été embarqué, avec sa sœur, qu'on avait voulu leur faire signer un papier et que c'était "pire que sous Staline". Connaissant ce genre de public, je dirais que pour ce qui est de Staline, c'est sans doute très exagéré, mais que si les enfants Berezovski ont conservé leurs deux yeux, leurs deux mains et leur mâchoire, c'est que c'est toujours mieux que chez Macron. On les a d'ailleurs aperçus dans l'escalier en pleine forme. https://www.francemusique.fr/musique-classique/les-enfants-du-pianiste-russe-boris-berezovsky-arretes-a-moscou-92385
C'est sur que sous Staline, on ne les aurait pas relâchés aussi vite. Et d'ailleurs les manifestations auraient été impensables, Navalny lui-même aurait été discrètement enlevé ou liquidé avec efficacité et non victime d'une indigestion passagère de soi-disant poison violent.