la véranda de Korovine |
Je fais un peu de tourisme avec Nil, à l'issue de son premier jour de travail, je l'ai emmené sur la colline d'Alexandre, d'où l'on a une belle vue sur notre lac nordique. Mais aujourd'hui, il commençait à tirer la patte, le rythme de travail est dur... Je devais aller chanter à la datcha-musée du peintre Constantin Korovine, grand ami de Chaliapine, qui y venait souvent. Korovine était un impressionniste russe, qui a écrit aussi ses mémoires sur la révolution. Il s'est retrouvé, comme Chaliapine lui-même, dans l'émigration, où il fait beaucoup de paysages français, ses tableaux russes ont massivement disparu dans la tourmente révolutionnaire.
https://www.wikiart.org/fr/constantin-korovine
sur la colline d'Alexandre |
J'aurais pu arriver le matin pour dessiner avec les peintres invités au festival, mais je n'ai pas eu le courage, car je devais me produire en fin d'après-midi. Et puis je pensais proposer à Nil de m'accompagner. Il n'était pas chaud. Il avait envie, mais il n'en pouvait plus. Je connais ça. Je suis parfois obligée de renoncer à des choses qui m'intéresseraient beaucoup parce que je sais que cela me surmènerait. Cependant, au dernier moment, il s'est décidé, et nous avons pris Aliocha avec nous.
Aliocha essayait de communiquer, et Nil faisait tout son possible pour lui répondre, je faisais l'interprète aussi, mais je pense que le second parlera vite. Il n'hésite pas à se lancer, à utiliser les mots qu'il connaît. Il a envie d'y arriver. Aliocha et lui ont fini par utiliser la traducteur Yandex pour se comprendre.
La route était très jolie, beaucoup de grands pins sylvestres et de bouleaux, qui se couvrent de dorures à toute vitesse. Mais complètement défoncée.
J'ai chanté sur une petite scène, une espèce de kiosque. J'avais choisi "rue saint Vincent", parce que Korovine avait vécu à Paris, peu de temps après la création de cette "romance urbaine", comme on dit ici, et puis elle est si poétique. Ensuite les Marins de Groix, des chansons de ma composition et une chanson russe aux gousli. J'étais très à l'aise, parce que l'atmosphère, si on fait abstraction de l'humidité, était très chaleureuse, avec des gens du musée de Pereslavl, des intellectuels moscovites. La datcha, modeste, avait beaucoup de charme. Des gens vendaient du miel, des champignons, des légumes du jardin. J'ai acheté des girolles et de vraies tomates. Nil a pu discuter, en français, en anglais, avec diverses personnes.
Après moi s'est produit un chirurgien local qui faisait du jazz avec son père. Le vieux monsieur avait l'air de se régaler, avec son clavier électronique. Les textes des chansons, en russe, étaient bien, le chirurgien jazzy tenait à utiliser sa langue, et il avait raison. Mais il est difficile de nationaliser le jazz, comme l'ont fait pourtant Charles Trenet ou Claude Nougaro. Le chirurgien a chanté sa version jazz d'une des principales prières orthodoxes, le Trisaghion. Là, je n'étais plus en phase. Il ne faut pas tout mélanger. Il a dit que l'évêque de Rostov n'avait pas du tout béni l'entreprise, et je le comprends. Le père Sérafim Rose, américain, disait que le jazz est une musique dépourvue de spiritualité. Et en effet, elle peut être agréable, moelleuse, sensuelle, sensible mais elle n'a pas d'échappée vers le haut. Elle ne met pas dans un état de prière.
Reste que ces manifestations culturelles dépourvues de prétention, avec des gens sincères et simples, se rencontrent assez peu en France, où tout ce qui est "créatif" a la grosse tête.
Au retour, nous avons vu que la voiture qui nous précédait s'était arrêtée près d'un animal immobile, sur les pattes arrière. C'était un renard, pas du tout intimidé. Le conducteur lui a donné quelque chose à manger, et il s'est détourné pour emporter le cadeau dans la forêt.
Sur Facebook, j'ai trouvé une vidéo sur des Français installés ici, qui participaient à une manifestation commerciale, à Moscou. Parmi eux, le gentil Sébastien, dont j'ai parlé dans une précédente chronique:
A mettre en parallèle avec ce lien-ci: