Je suis allée hier me changer les idées au
café, je me sentais très mal le matin. Et en sortant de là, je suis tombée sur
mon amie Claire, avec son mari, qui est russe et prêtre à Moscou. Elle espérait
me voir, et nous sommes retournés au café. Son mari est très fier de son
chien, un véritable épagneul breton importé de France! J'étais très heureuse de
voir Claire, toujours fraîche comme une jeune fille. Ils ont une datcha près de
Taldom, il y en a pour une heure et demie de trajet, mais il m'est beaucoup
plus facile d'aller les voir là bas que de les rencontrer à Moscou. Moscou,
ses QR code, son affreux maire saccageur me dépriment, je n’y vais plus que
pour le père Valentin et quelques occasions comme un mariage, un enterrement ou
ma fête d’anniversaire.
Après quoi, je suis allée à la plage
municipale voir ce qu'on y avait fait comme travaux. Des allées asphaltées, et
des bordures en ciment, tout cela va regorger de thuyas et de petits massifs de
bégonias comme les aiment les comptables et les fonctionnaires. Un des kiosques
a été détruit, l'autre est encore là. Le lac est en train de geler, il ne fait
encore que - 3, mais il soufflait un vent violent et glacial. Le long des
rochers l'écume était déjà figée, l'eau huileuse, à la fois verdâtre et dorée,
charriait des débris solides. De gros nuages sombres et irisés laissaient
passer les rayons d'un soleil bas qui ne chauffait pas.
Aujourd'hui, je suis retournée au café, car
j'avais quelque chose à fêter. L'échographie a révélé que les pierres étaient
parties et que le rein malade commençait à rentrer dans la norme. Le médecin
m'a dit que le traitement de l'urologue était excellent, mais que certaines
personnes pouvaient avoir du mal à le supporter. C'est mon cas. Mais les
pierres sont parties, Dieu soit loué. Maintenant, il faut récupérer une santé
normale et éviter que la chose ne se reproduise, dans la mesure du possible.
Auparavant, et bien que toujours très
fatiguée, je suis allée aussi claquer un peu de fric dans un magasin du centre
commercial Magnit. Je me suis offert une nouvelle doudoune, plus courte, pour
les moments où il ne fait pas trop froid et les ballades. Et un joli pull
beige. J'ai vu dans la glace de la cabine à quel point j'avais minci. Il me
faudra essayer de rester comme cela, pour ma santé, c'est meilleur.
Les offices sont très beaux, au monastère saint Daniel, il n'y a que trois hommes dans le choeur, mais leur répertoire est constitué de chant znaménié et de chant byzantin, aux vêpres, hier, j'ai entendu le "kyrie eleison" magnifique qu'on chante à Solan aux agrypnies. En Russie, l'agypnie, c'est tous les samedis soir.
C'était la fête de l'archange saint Michel. J'ai communié et Nil aussi. Je suis allée vénérer l'icône de saint Daniel de Pereslavl. Dans un coffert vitré est présentée une des chaussures avec laquelle il a été enseveli. Il y avait pas mal de monde, si l'on considère que Pereslavl compte plusieurs monastères et plusieurs paroisses pour 50 000 habitants. Le père Pantaleimon semble très aimé. Il est beau, de noble apparence, il a l'air intelligent et un magnifique regard clair. L'atmosphère était sereine et d'une spiritualité élevée.
Je me demandais ce que le nouveau monde qu'on cherche à nous installer ferait de tout cela, les croyants orthodoxes, les monastères, les higoumènes et les évêques. Dans les mégapoles intelligentes et connectées où l'on projette de tous nous parquer, sous surveillance constante jusque dans nos salles de bains, je ne vois pas comment tout cela pourrait encore être toléré, et cela ne le sera pas. Slobodan, après un entretien sur messenger avec moi, a fait un article où il envisage que la Russie ait été l'objet d'une attaque bactériologique, parce que notre covid semble différer du covid occidental, et faire plus de dégâts, et c'est bien possible, Dany l'envisage aussi. Slobodan trouve illogique que Poutine, soucieux de restaurer la souveraineté nationale, après avoir favorisé les naissances et restauré la puissance militaire russe, se mette brusquement dans le fil mondialiste de la vaccination forcée et des QR codes. Il discerne d'autres intentions, plus louables. Il donne une interview de Dmitri Orlov, du Saker, que j'ai toujours lu avec grand intérêt. Dmitri Orlov partage le point de vue de Slobodan, et précise que "il ne faut pas mélanger les torchons et les serviettes, que le gouvernement russe, au rebours des gouvernements occidentaux, cherche à protéger sa population, et que le vaccin Spoutnik est excellent." Je voudrais bien le croire, mais j'ai des doutes. Beaucoup de gens témoignent comme en occident de cas d'infections covid malgré le vaccin et d'effets secondaires analogues à ceux qu'on décrit là bas. De plus, le ton de la propagande, les procédés et les pressions rappellent beaucoup ce qui est mis en oeuvre partout. On fait ouvertement la réclame du monde connecté qui nous "simplifiera" tellement la vie. La destruction du patrimoine à Moscou et dans les villes importantes de Russie comme Nijni Novgorod et Kazan ne me dit rien qui vaille. Il se peut que tout ceci soit envisagé dans un esprit de souveraineté nationale, comme en Chine, mais je ne voudrais pas vivre en Chine, et je ne vois pas les Russes vivre de cette manière, à moins d'en faire des zombis décérébrés, ce qui est le programme universel: et je ne trouve pas que les autorités russes aillent tellement en sens contraire. Il y a une certaine résistance, sur le plan sociétal, mais elle est régulièrement battue en brèche par l'importation de spectacles dégradants, d'une contre-culture qui tourne la Russie et d'ailleurs tout sentiment humain normal en dérision. J'ai l'espoir que le processus soit moins absolu qu'en occident, c'est-à-dire que les parias soient tolérés dans les villages perdus ou les petites villes abandonnées. Tout ceci se fait ici sans l'aspect idéologique occidental, dans une sorte de cynisme mafieux, c'est peut-être ce qui nous sauvera des ilôts de liberté, où en revanche, nous n'aurons rien, aucune infrastructure, et c'est finalement ce qui se dessine déjà, des villes obèses et une province délaissée et misérable. Slobodan observe que les gouvernements occidentaux sont constitués de psychopathes, mais que les Russes restent rationnels. C'est vrai, c'est une différence essentielle, quel que soit leur degré d'honnêteté ou de dévouement au pays, les autorités russes sont rationnelles et regardent leurs équivalents européens comme des malades, et on les comprend. Mais leur rationnalisme est souvent cynique, étroitement progressiste et matérialiste. Le soviétisme relooké par le libéralisme et le consumérisme.
D'une manière générale, les gens de pouvoir ont tendance au pragmatisme brutal, sauf dans le cas des derniers tsars du XIX° siècle, qui avaient un certain raffinement sur le plan de la culture et des sentiments. Quand ils voient, chez l'homme d'état voisin et potentiellement ennemi, une arme nouvelle, ils vont naturellement s'efforcer d'en fabriquer une équivalente et même plus performante. Ici, devant la dictature électronique et le monde connecté qu'on médite à l'ouest et qui est déjà installé en Chine, on va naturellement aller dans le même sens, parce qu'on n'est pas plus con que les autres et que c'est le progrès. Cet entraînement maudit, que j'entends justifier depuis mon enfance par "c'est le progrès", nous mène en enfer depuis pratiquement cinq siècles, avec une vertigineuse accélération au cours des deux derniers, à partir du moment où la chute des royautés a permis à la finance nomade de n'en faire qu'à sa tête. La Russie a failli réussir a sauver sa paysannerie et sa structure naturelle d'empire chrétien, mais les bolcheviques y ont mis bon ordre, avec toute la haine sordide dont ces gnomes étaient capables. En cela, ils ont admirablement bien servi le capitalisme mafieux qui cherche à présent à asservir définitivement l'humanité.
Slobodan pense que ce qui n'a pas été achevé en 17, on cherche à le réaliser maintenant. Oui, bien sûr, il y a un moment que je le pense aussi, et par le truchement des mêmes personnages. Ceux-ci, à l'occasion des 200 ans de la naissance de Dostoievski, le couvrent de boue et de sarcasmes, évidemment, Dostoievski, c'est la Russie incarnée, son concentré, sa fleur. Et les gens comme eux, il les avait minutieusement démasqués. Les démons, les démons comme Tchoubaïs, Gref, Sobianine, et toute une certaine presse, un certain milieu intellectuel, y compris les faux dissidents comme le prix Nobel Alexieva ou la journaliste Galia Ackerman, héritiers directs de ceux qui ont assassiné le dernier tsar et sa merveilleuse famille, et avec eux une grande partie de l'intelligentsia et de la paysannerie russe.
A propos de ce qui se trame en occident, je suggère de regarder la vidéo suivante:
et de lire l'appel de l'archeveque Carlo Maria Vigano: L'archevêque Carlo Maria Vigano appelle à une alliance anti-mondialiste internationale (lemediaen442.fr). Tout ceci est annoncé ouvertement par les acteurs de ce coup d'état planétaire. Par Klaus Schwab, par Attali, par Sarkozy, par Macron. Curieusement, les gens n'entendent pas, et quand c'est relevé et cité par quelqu'un d'autre, par un observateur, un lanceur d'alerte, alors cela devient du complotisme. Mais ce sont eux qui nous le disent, vous croyez qu'ils plaisantent?
Tout cela n'est évidemment pas réjouissant. Je pense souvent avec appréhension aux miens, en France, à leurs petites et grandes maisons, à leurs petits commerces, à toute leur façon de vivre condamnée par une bande de salopards sans foi ni loi et sans patrie. Si bien sûr, personne ne réagit plus que ça, si aucun grain de sable ne tombe dans la machine. Mais je crois aux grains de sable. Je crois aux interventions divines, elles ont lieu dans ma vie, elles peuvent avoir lieu dans le destin des peuples. Je ne pense pas que Dieu laissera tomber les père Pantaleimon et les père Guérassim, non plus que leurs fidèles et leurs monastères; qu'il laissera éliminer tout cela de la surface de la terre, ou alors, c'est que le second avènement est imminent.
En rentrant du monastère, je suis allée contempler le lac. Il avait des nuances irréelles, un vert étrange, presque vénéneux, qui se teintait de bleu profond sous la rive opposée, les nuages eux-mêmes étaient à la fois sombres et pleins de lueurs. Je pensais à tous les gnomes qui se précipitent pour construire des horreurs et transformer ce lac nordique issu des épopées russes en Luna Park pour connards: acheter, louer, vendre, tout exploiter, tout profaner, tout saloper, tout détruire.Et quand le processus sera achevé, que ce pauvre lac pollué à mort et défiguré n'aura plus aucun intérêt, l'argent ira sévir ailleurs, laissant la plèbe avec son bidonville en plastique qui ne sera plus rentable. Pereslavl périclitera comme tout ce qui sera à l'écart des villes mondes, à moins qu'il ne s'inscrive dans une chaine de métastases entre la tumeur Moscou et la tumeur Iaroslavl, le long de la route fédérale qui les réunit.
Le concombre masqué devient plus fréquent à Pereslavl. La télé doit faire son oeuvre. Et puis il y a dû avoir des consignes, car la jeune femme qui vend de la charcuterie en face du café français avait mis le sien, qu'elle déteste, sous le nez. Je ne sais pas comment les gens font pour croire que ce machin les protège de quoi que ce soit. Il empêche les chirurgiens de baver dans les plaies ouvertes et les dentistes de recevoir des giclées de sang en pleine action, mais les virus, eux, passent à l'aise, en revanche, l'air pur pas tellement. J'étouffe au bout de cinq minutes, quand j'ai ce pattacul sur la figure. Mais plus on verra de malheureux frileusement masqués, plus s'ancrera dans la conscience générale que nous sommes tous en danger, que l'autre est un danger.
Je supporte très mal le traitement de mon urologue. Un des médicaments agit sur la tension, et la fait baisser. J'avais toutes sortes de phénomènes circulatoires désagréables, et j'étais au bord de l'évanouissement. Je ne le prends plus. Aujourd'hui, je me sens normale, j'ai pu aller à pied au café sans redouter de m'écrouler. Et je suis même allée hier, avec Katia, dans un centre touristique situé en pleine campagne, où l'on peut s'offrir hammam, sauna, piscine et jaccuzi à volonté pour 1000 roubles la séance. L'endroit est joli, design, du bois et de grandes verrières, mais ni le sauna ni le hammam ni la piscine n'ont les températures requises pour produire un véritable effet thérapeutique. Enfin c'est quand même bien agréable de pouvoir nager, et pour ce qui est du reste, c'est toujours ça, c'est toujours aussi efficace qu'un bain chaud dans une baignoire. Quand je parle d'effet thérapeutique, c'est dans mon cas, cette impression d'être complètement rénovée, récurée, apaisée que j'avais après le bain de vapeur à Moscou, où la vapeur était brûlante et la piscine glaciale, et où l'on se frottait et se lavait des pieds à la tête pendant des heures en s'aspergeant avec des baquets d'eau. Cependant, comme je suis affaiblie, peut-être vaut-il mieux que les procédures soient plus calmes...
Il commence à neiger, mais c'est mou, humide et ça fond. Nous attendons tous la neige, qui assainit et éclaire. Marcher par un temps pareil n'est pas des plus exaltants. Il y a de la boue, des flaques, un ciel gris... J'avais fait une ballade avec Nil, il y a deux jours, il faisait plus froid, nous avions suivi la rivière jusqu’à
l’embouchure, l’endroit où je me baigne l’été. L’eau était en train de geler,
elle était grise et verdâtre sous un ciel de plomb. Pas encore de blancheur pour napper toutes les disgrâces de ces berges saccagées. Il faut à
Pereslavl la neige ou la verdure pour retrouver un peu de son charme passé...
Ce soir, j'ai emmené Nil au monastère saint Daniel, car il souhaitait se confesser, et l'higoumène Pantaleimon parle anglais. Du coup, avisant un petit moine rondouillard qui attendait près d'un lutrin, j'ai fait la même chose. Ce moine m'a fait l'effet d'un océan de bonté, et je ne me suis même pas rendu compte qu'il me confessait, alors qu'au fil de l'entretien, il me tirait tous les démons du nez. Il m'a dit qu'il s'appelait le père Guérassim. "Saint Guérassim avait un lion, mais moi, comme je suis un petit moine, je n'ai qu'un chat." Il m'a demandé combien j'avais de chats, et il était ravi d'apprendre que j'en avais six. "Je nourris les oiseaux, me dit-il
- Moi aussi.
- Vous savez comme on peut manquer de foi, un jour je n'avais plus rien à leur donner à manger, et voilà que Dieu m'a envoyé un bonhomme avec un sac de graines, eh bien vos chats, Dieu en prendra soin.
- Oui, lui dis-je alors, je manque terriblement de foi.
Il m'a raconté l'histoire d'Adam et Eve: "Pour comprendre ce qui se passe dans notre âme, et quels sont nos péchés, il faut retourner en arrière, vers la source de tout le reste. Il était une fois, dans un jardin, des arbres et des animaux immortels, et puis Dieu a fait Adam, et il lui a donné Eve, mais elle est allée écouter le serpent, elle voulait la connaissance, censée faire de nous des dieux, et vous voyez ce qu'elle fait de nous, la connaissance? On ne pense qu'à cette connaissance, pousser les enfants vers les études et les diplômes, au lieu de les élever en Dieu".
Je lui ai dit que j'aimais beaucoup la vie, que je n'en étais pas détachée du tout. "Mais qu'est-ce que c'est la vie?
- Ce qui est beau et bon, la création de Dieu...
- La vie, c'est ce qui se passe en Christ dans votre tête et dans votre coeur, quand ils sont purs."
Nil était très content de son entretien avec le père Pantaleimon, et nous irons demain à la liturgie au même endroit.
Nous sommes au bord de la neige. Hier, j'ai réussi à aller me promener une heure et demie dans le marécage, par vent glacial et beau soleil, que j'ai vu surgir par dessus la rive escarpée, à mon retour, et qui m'a prise une partie du chemin dans son souffle aveuglant. Je suis arrivée dans le marécage au moment où la lumière rase commençait à transfigurer certains endroits, un arbre tout à coup flamboyant, des roseaux, la rive opposée lointaine avait des nuances roses, et le lac agité et écumeux était d'un vert émeraude profond.
Je me disais que mon organisme commençait à s'habituer au médicament problématique, mais aujourd'hui, ma tension monte et descend. J'attends le bon moment pour marcher...
Depuis quelques temps, je dois remplir sans arrêt la mangeoire des oiseaux, j'ai dû acheter un sac de 10 kilos de graines pour être tranquille quelques temps. J'ai compris pourquoi en voyant, devant l'isba du défunt oncle Kolia, une mangeoire identique désespérément vide... J'ai hérité de tous ses petits pensionnaires, car ce ne sont certainement pas ses voisins qui reprendront le flambeau.
Nadia est venue m'aider pour le ménage, et nous avons ensuite pris le thé. Nil est venu nous rejoindre, elle lui a parlé par mon intermédiaire de saint Nil de la Sora, pour lequel elle a une dévotion particulière, et du monastère de Saint-Cyrille-du-Lac-Blanc, de celui de Férapontovo, où elle va chaque année en pèlerinage, des liens entre la doctrine hésychaste de saint Nil et les fresques de Dionysi. Nous avons aussi évoqué l'hystérie covidiennes des autorités russes, les pressions et les chantages exercées sur les populations, qu'elle trouve trop dociles, mais elles résistent mieux qu'en France. A Rostov, certains restaurants exigent le QR code, le sceau de l'OMS de Bill Gates. Mais ici, à Pereslavl, nous sommes encore épargnés par tout ce délire malsain. En réalité, on voit se matérialiser dans notre microcosme local ce qui peut sauver la Russie toute entière. D'abord, il y a à Pereslavl une vie spirituelle assez intense, de nombreux monastères, de nombreux tombeaux de saints, de nombreuses reliques, différentes cristallisations lumineuses. Il y a les cosaques, avec leur nostalgie patriotique résistante. Et puis ce qui nous gâche par certains côtés la vie, l'incurie totale et la vénalité des autorités, qui nous valent les rues complètement défoncées et les constructions anarchiques, nous permet aussi une grande liberté, car personne n'en a rien à foutre de rien, à la mairie, les QR codes y compris.
J’ai commencé le traitement, mais j’ai du mal
à digérer tous ces médicaments. De plus, l’un d’eux me fait chuter la tension,
l’urologue m’avait prévenue et dit de boire du café, mais il me faudrait me
bourrer de café toute la journée. Marcher beaucoup, par un temps affreux, quand
on n’a plus de tension, ce n’est pas simple.Et puis j’essaierai de danser, pour faire descendre les
pierres. J’irai faire un tour, aussi, mais il y a de l’eau et de la boue
partout, dans les bottes en caoutchouc, on a froid, dans les bottes d’hiver,
trop chaud. Ce qui est bien, c'est le jardinage, je prends les mêmes positions que pour laver les sols, et je fais beaucoup d'allées et venues dans tout le jardin. J'ai déterré des topinambours...
Je vais mieux, mais dès que j’ai mal quelque
part, et j’ai mal partout, je commence à me faire du souci. Je suis allée à la
lecture de leurs vers que faisaient Natacha et Kostia dans le sous-sol du café
français. C’est désormais une galerie, "Liès", la forêt, où expose un peintre
local, Pacha Morozov. Ses tableaux peuvent paraître quelque peu brouillons, mais ils
ont une luminosité et une présence étonnantes quand on les regarde
attentivement. Une amie de Natacha était venue de Moscou pour chanter, elle
s’accompagnait au piano électronique. Il y avait du monde, pour une soirée
poétique. C’était chaleureux. J’étais loin de tout comprendre, mais j’en
captais assez pour voir que les vers étaient bons. Ceux de Natacha sont comme
une petite musique de la vie, qui sourd avec simplicité et naturel, et débouche sur le mystère et la ferveur. Ceux de Kostia scandés, martelés, passionnés, incantatoires. La
différence de rythme et d’atmosphère entre les deux poètes est remarquable.
Dans quinze jours, ils veulent faire une
soirée française, avec ma participation. Kostia lira en russe des poèmes
français classiques que je lirai en version originale. Je chanterai mes propres
chansons. Enfin si j’en suis capable. Dans dix jours, je verrai où j’en suis
avec mes cailloux, et puis il me faut répéter les chansons...
La correctrice Nina m’a envoyé encore un paquet de
50 pages, elle en est au début de la troisième partie. Elle me dit qu’il n’y a
rien de ridicule dans Yarilo, que ce que le livre a de français, c’est plutôt sa
manière, et qu’il y a des scènes très fortes, celle où le fol en Christ Basile
apparaît à Fédia et sa femme, l'entretien du tsar et du petit tsarévitch
Feodor. Et enfin que la fin est remarquable, avec la vie du héros qui "s’éteint
dans les chants liturgiques", et le tsar qui « vient contempler le tas de
cendres dont il est responsable».
Elle a des trouvailles dans les dialogues, et
elle remet tout à sa place, par rapport au texte français. Je sens d’ailleurs
qu’elle a commencé à accrocher au livre, qu’elle l’ait lu jusqu’à la fin en est
un signe.
De son patron pas de nouvelles, je
ne l’intéresse plus depuis que j’ai refusé de continuer Epitaphe avec lui, et
de reprendre Yarilo de la même manière, ce qui aurait pris deux ans et m'aurait coûté je ne sais combien. Quand je pense qu’il l’a caractérisé de
conte dans l’esprit du tsar Saltan avec beaucoup de dorures ! Alors que
finalement, j’ai écrit sobrement, et s’il y a parfois de l’humour, de la
poésie, de la couleur locale, c’est un livre profondément tragique, et actuel. Mais il l'a à peine survolé...
Enfin ce qu’il m’importe, c’est que tout soit
rapidement achevé. Avec la dictature sanitaire qu’on essaie d’installer en
Russie, je risque de ne pas être en mesure d’aller faire des présentations à
Moscou. Encore que d’avoir été malade me donne un sauf-conduit de six mois, merci mon Dieu.
L'urologue de Iaroslavl, Marina Sergueïevna, m'a dit que d'après la tomographie, comme je le ressentais, les cailloux voyagent et sont descendus, et que les pulvériser ne serait pas possible, mais qu'il y avait de bonnes chances de s'en débarrasser naturellement avec un traitement, beaucoup de marche à pied, d'exercices consistant à piétiner sur place ou laver les sols (ce que je fais souvent à cause des chats), de bains chauds ou à défaut, de séances au bain de vapeur russe. Son traitement reprend plus ou moins celui de Mikhaïl, le copain de Skountsev, le problème est que cela me surmène terriblement tout le reste, mais que faire? Heureusement, j'ai tellement perdu de poids, que mes articulations supportent bien la marche à pied, maintenant.
Je suis allée à Iaroslavl avec un taxi très pittoresque, Constantin. Il m'a fait d'admirables diatribes contre la tyrannie du masque, des piquouzes obligatoires et des QR codes. "Je compte beaucoup, lui dis-je, sur la résistance passive des Russes...
- Si ça continue comme cela, la résistance, elle ne sera plus passive du tout, ils seront balayés avant d'avoir compris ce qui leur arrive. On dirait qu'ils cherchent à nous pousser à bout. Je suis entré dans une cantine à Pereslavl, où je vais d'habitude acheter des pirojki. Et la vendeuse, qui faisait le ménage, me demande mon QR code! Je lui crie: "Et tu vas le vérifier avec quoi, avec ta serpillère?" Le QR code dans les transports en commun, quand les gens sont loin d'avoir tous un smartphone, vous imaginez les bus de campagne, avec les vieilles qui ont de vieux téléphones à touches, et encore pas toujours?"
Il déteste les moscovites qui se conduisent et conduisent comme des cochons, et traversent Pereslavl, nous provoquant des encombrements perpétuels, parce qu'ils ont la flemme d'emprunter la déviation. Il m'a dit que lorsque les gens ont une entreprise ailleurs que dans leur ville de résidence, ils en paient les impôts à celle-ci. De sorte qu'à Pereslavl, comme dans tout le reste de la Russie, les restaurants, magasins, pompes à essence, usines ou tout ce que vous voudrez achetés par des moscovites, rapportent de l'argent non à la ville où ils sont situés, mais à celle de Moscou, qui est déjà une tumeur obèse suintant le fric et attirant les mafieux. Alors que la province se meurt, vidée de sa substance par ce vampirisme.
J'ai beaucoup de chance avec les taxis, ces temps-ci, et je serai la cliente régulière de Constantin, dans la mesure où j'aurai besoin de ses services, car si j'y ai eu recours, c'est que je n'ai pas eu les forces d'aller avec ma voiture chausser les pneus d'hiver. Spirydon, qui est belge et non français, et m'avait commandé le sable de la tombe de l'higoumène, m'écrit: " Jamais, je n’aurais imaginé que notre Saint Père Boris vous enverrait un taxi pour vous amener chez lui! Notre vie est une succession de miracles." De fait, je reste sous l'impression de l'évènement, de cette rencontre avec l'higoumène, inscrit dans tout un contexte spirituel local. Comme si en vérité, c'était lui qui m'avait envoyé ce taxi, parce que je tardais à venir le trouver. Il débarque dans mes prières, il est présent.
Mon équipée à Moscou n'a pas du tout pris le tour que je prévoyais. D'abord, j'avais mal compris les instructions de la fille qui m'avait appelée de l'hôpital, et je n'arrivais à trouver ni le local, ni le médecin, qui est juste un consultant externe, que personne ne connaissait, et qui n'avait pas de bureau attitré. J'ai donc couru d'un pavillon à l'autre pendant des heures, fait plusieurs fois la queue à différents guichets. J'ai appelé le numéro qu'on m'avait donné en cas de problème. Une bonne femme m'a répondu qu'elle n'était pas au courant. Finalement, quelqu'un a eu l'idée de m'orienter sur le bon cabinet, où la jeune femme qui m'avait donné les instructions, très embêtée, a commencé à remuer ciel et terre. Sa collègue n'avait pas eu l'idée de lui passer le téléphone, quand j'avais appelé.
Le consultant lui dit de m'arranger un rendez-vous payant avec un urologue de l'hôpital. J'ai retraversé à nouveau toute la cour immense et l'urologue m'a laissé moisir une heure dans un couloir avant de me recevoir. Je pensais qu'on allait me prendre et me faire tous les examens utiles sur place, mais non. L'urologue m'a dit qu'il fallait faire une tomographie à la polyclinique du quartier, où je ne suis pas inscrite, puisque je viens de Pereslavl Zalesski, où l'on ne peut pas me la faire. Alors il me fallait payer pour la tomographie. J'étais bien sûr d'accord, mais il fallait attendre une semaine pour avoir un rendez-vous. J'étais si épuisée et si découragée, que le type s'est un peu radouci. Il m'a dit que poser un stent dans mon cas n'avait pas de sens, qu'il fallait probablement, à confirmer après la tomographie, soit pulvériser le caillou gênant, soit opérer. "Vous opérer en ce moment, je ne le ferai pas, car vous venez d'avoir la covid, vous êtes affaiblie. Et d'ailleurs pulvériser serait mieux, mais nous n'avons pas d'appareil pour le faire.
- Ils en ont un à Iaroslavl, vous me conseillez d'aller à Iaroslavl?
- Oui, s'ils sont équipés à Iaroslavl allez là bas, faites votre tomographie, préparez-vous tranquillement, reprenez des forces. D'après ce que je vois, votre rein n'est pas en mauvais état, votre situation n'est pas critique; vous avez le temps."
Sur les conseils de Liéna, la fille du père Valentin, j'ai pris rendez-vous pour une tomographie dans un centre de diagnostic payant, à l'aube. La dame du taxi qui m'avait amenée était prête à m'emmener à Pereslavl, car elle vivait elle-même à Serguiev Possad. Nous avons bavardé en chemin, elle était très agréable. Elle avait une entreprise, ruinée par le confinement covid de 2020, et elle s'était reconvertie dans le taxi, après avoir retrouvé le moral sur le tombeau de l'higoumène Boris. "Ah m'écriai-je, justement, un orthodoxe français m'a demandé d'aller prier sur ce tombeau pour sa femme Anastassia, et d'y ramasser du sable pour le lui envoyer, mais je n'ai toujours pas trouvé le moyen de m'y rendre.
- Qu'à cela ne tienne, je vous y emmène".
Nous sommes entrées dans une chapelle au bord de la route d'Ouglitch et j'ai inscrit le nom d'Anastassia, et aussi le mien et celui de Dany sur les intentions de prières. J'ai imploré l'higoumène Boris d'intercéder pour nous. Sa tombe est très simple et très jolie, et j'ai ressenti de l'espoir et de la grâce. La vieille dame qui garde la chapelle nous a invitées à prendre le thé. Elle m'a donné un livre sur l'higoumène, trois photos de lui, et un sachet du précieux sable. Nous avions des connaissances communes, l'iconographe Ioulia, rencontrée au monastère saint Nicétas, dont l'higoumène Dmitri est le frère du père Boris. Ioulia a longtemps vécu en France, et parle français. Et puis aussi l'higoumène Gabriel, du monastère Pogost Krest, entièrement rebâti grâce au père Boris. Il avait été édifié au moyen âge, à l'emplacement où l'on découvrit la fameuse croix miraculeuse de Godenovo, actuellement au village du même nom, et ceci depuis la révolution. Le père Gabriel m'avait fait grande impression, et j'avais été frappée par l'harmonie et de la simplicité de son monastère, par l'impression de joie sereine que dégageaient ses moines.
L'higoumène Boris n'est pas canonisé, mais jouit d'une grande réputation de sainteté, son tombeau est très visité. Il s'est dépensé sans compter pour restaurer et faire vivre les églises à l'abandon, et son frère continue son oeuvre. La vieille dame en parlait avec une vénération et un amour touchants. Je sentais qu'elle n'était positivement pas séparée de lui, elle restait complètement en contact. "Vous avez, me dit-elle, des yeux bleus comme j'en ai rarement vus. Ils sont d'un bleu si intense, je crois que les seuls yeux de ce bleu-là que j'ai connus, ce sont ceux du père Boris. Une jeune femme russe était venue le voir avec son mari espagnol, et ce dernier, en rencontrant le regard de l'higoumène, s'était exclamé: "Je veux devenir comme vous"!
Quand nous sommes parties, elle m'a demandé si j'étais pour longtemps en Russie. "Oh oui, lui repondis-je, j'ai un permis de séjour, et où irais-je encore?"
Elle m'a fait un sourire absolument radieux.
Je suis rentrée mystérieusement encouragée par cette lumineuse rencontre du tombeau et de sa gardienne. Demain, je vais donc à Iaroslavl, avec tous les examens nécessaires, en principe.
Il a neigé tout le long de la route, toutes les disgrâces s'en trouvaient effacées. Il me semblait qu'entre cette viste inattendue à la tombe du père Boris, qui me remettait dans l'aura de la croix miraculeuse, et de tous ceux sur lesquels elle veille, et cette blancheur qui transfigurait les forêts et les villages, je recevais un signe, un encouragement, et c'est que pensait aussi ma nouvelle copine taxi, Natacha. Qui aurait cru que ma tomographie m'amènerait à ce pèlerinage?
l'higoumène Boris
le monastère de Pogost Krest, rebâti par les soins de l'higoumène Boris. photo Alexandre Matrossov