Tintement sporadique des mésanges, les gouttes dégouttent et chuchote le vent froid, sous la brusque caresse du soleil, entre les failles du ciel. Les chats sur le perron cherchent son souffle d'or qui toute vie réchauffe et comble, même la mienne, pourtant déclinante et mitée. Il faut déjà se hâter de faire ses valises, et j'ai du retard. Il faut gagner ce dernier quai, devant l'horizon ténébreux, ses gouffres éventuels et les lueurs des aubes promises.
J'ai redouté cette guerre pendant trente ans et la voilà. Quand je dis la voilà, elle n'a en fait pas cessé. La troisième découle de la deuxième qui résultait de la première. Derrière tout cela, les mêmes rats à la manoeuvre, les mêmes démons infatigables. Je suis contre eux, quels que soient les oripeaux dont ils se déguisent et les discours dont ils excitent les pires sentiments des foules.
Une lassitude me prend, un dégout incommensurable devant l'ampleur de la propagande, de la calomnie, tous les coups sont permis, les faux drapeaux, l'utilisation des images du Donbass pour attribuer les crimes des Ukrainiens aux Russes, toutes les techniques ignobles de la caste ploutocratique transhumaniste, telles qu'on les a vues à l'oeuvre en Yougoslavie et en Syrie. La bêtise et l'aveuglement de je ne sais combien de crétins diplômés, parfois de professeurs de russe, de théologiens orthodoxes, de descendants d'émigrés. J'en vois un s'agiter sur les sites orthodoxes et prétendre que les cosaques comptent des sympathisants du nazisme, comme les bataillons punitifs ukrainiens chers à son coeur. Il a dû bien les chercher, car depuis le temps que j'en fréquente, et j'ai participé au festival du Bouclier d'Or, j'ai beaucoup d'amis folkloristes cosaques, plus la formation des cosaques de Pereslavl, jamais je n'en ai vu un seul avoir des sympathies fascistes, à la limite stalinistes, mais fascistes jamais. Ici, c'est rédhibitoire, c'est d'ailleurs assez étranger à la mentalité russe, même si l'on admet que des cosaques ont soutenu Hitler contre Staline pendant la deuxième guerre mondiale. Ils l'ont fait pour libérer leur pays du communisme, pas par adhésion à l'idéologie nazie. Cependant, je commence à avoir la flemme de réagir, si tous ces orthodoxes n'ont pas le discernement d'aller voir d'un peu plus près ce qui se passe, qu'ils se débrouillent avec leur conscience et avec ceux qui la leur brouillent, pour moi, je me réjouis d'être ici, grâce aux conseils clairvoyants du père Placide. Le métropolite Onuphre et le métropolite de Vinnitsa prennent plutôt parti pour ceux qui les ont persécutés, mais leur situation est difficile, je ne les jugerai pas, et d'ailleurs ils n'ont pas non plus à alimenter la discorde. En revanche, l'exploitation de leurs déclarations par ceux qui les ignoraient et les piétinaient depuis longtemps m'écoeure quelque peu. Les prêtres que je connais et qui sont de là bas ne commentent pas, même à titre privé. Je ne commente pas non plus, je fais comme eux, j'observe un silence gêné et attentiste. Car si l'on ne peut qu'être consterné que les choses en fussent venues là, je ne vois pas très bien comment on peut demander la fin d'une intervention en sachant qu'elle laisserait sans défense toute la population si éprouvée du Donbass, et livrerait aussi les croyants de l'Eglise Orthodoxe traditionnelle à la curée finale.
Une créature des ténèbres, Elena Volochine, prénom et nom de famille russes, correspondante de France 24, crache son venin avec une grande émotion, aussi bonne actrice que mauvaise journaliste. Tout ce qu'elle dit est absolument faux. Nous vivons tous normalement et nous nous exprimons normalement. Tout est calme. Personne n'insulte les occidentaux qui sont ici, personne ne tague ni ne boycotte notre café français, Silouane, émigré américain récent, béni le Ciel d'avoir eu le temps de partir. Ce matin, quand je suis allée chercher une commande, le jeune homme de service m'a dit "au revoir" en français, pour me faire plaisir. Et je lis qu'en France, des enfants d'origine russe sont insultés dans leurs écoles par tous les crétins masqués et les Charlie qui proclamaient devant les cadavres de leurs compatriotes au Bataclan que leurs assassins n'auraient pas leur haine et qu'ils ne feraient pas d'amalgame... Cela s'appelle de l'inversion accusatoire, misérable Elena Volochine, et du mensonge pur et simple, à moins que des Russes n'aient insulté en vous une représentante de la presse pourrie universelle, et ça, c'est normal, les truckers canadiens ou les gilets jaunes français feront aussi bien de même.
Certains diront que "la propagande existe des deux côtés", mais non, mais non. Je dirais que votre propagande existe aussi ici, celle qui consiste à nier les faits et à pratiquer l'inversion accusatoire, chez ceux qui vous soutiennent et vous servent . Mais du côté russe, la propagande est dans l'interprétation des faits, pas dans leur négation ou la fabrication de faux reportages, les Russes voient tout cela à travers le prisme soviétique de la deuxième guerre mondiale, ce qui n'est pas toujours juste, et certains en profitent pour justifier Staline, c'est vous qui leur en donnez l'occasion, l'OTAN a plus fait pour restaurer son image que n'importe qui d'autre. Je crois plutôt qu'ils ont arrêté de prêter attention aux flots de calomnies délirantes qui s'abat sur eux, et qui s'abattra quoiqu'ils fassent, jusqu'à l'extermination éventuelle du dernier d'entre eux. La situation me rappelle celle qu'on peut voir dans les écoles, quand un garçon harcelé costaud finit par répondre à coups de poings aux voyous qui le persécutent, et qui vont alors piailler auprès des autorités qu'il les a agressés.
Katia, venue inuagurer la table "transformer" que j'ai achetée sur Avito pour la moitié de sa valeur, m'a dit en prenant le thé que les démons ne lâcheraient pas l'affaire, que ce serait une lutte à mort. Nous avons peur, et en même temps, nous sentons le vent tourner, à travers la violence et la vilenie des réactions d'en face. Il faut garder la foi, me dit-elle, et c'est exactement ce que je pense, vivre au jour le jour, en nous confiant à Dieu, quelles que soient nos faiblesses. En nous confiant à Dieu, et en nous aidant mutuellement, en restant proches et attentifs. Le père ukrainien Andreï Tkatchev dit que les Russes ne sont pas forcément mieux que les autres, mais que Dieu peut les utiliser dans sa colère pour châtier ceux qui sont les pires et détruire leurs plans sinistres. C'est en cela que je crois plus qu'en Poutine lui-même ou en son équipe.
Elle m'a conseillé d'aller me promener sur le lac, tant qu'il est encore solide. Je l'ai fait, j'ai suivi la rivière, et me suis éloignée, pour avoir un beau point de vue sur l'église des Quarante Martyrs. Tout était si paisible, si pur, si translucide, la glace prenait la lumière à travers la fine couche de neige qui la recouvrait, et mettait sous mes pas des phosphorescences dorées, le clair soleil chauffait sous sa mante d'azur. Malheureusement, les tumeurs architecturales ne cessent de proliférer sur le rivage, mais que faire? La beauté encore intacte de la France grouille de trop de démons, à commencer par le pire d'entre eux, son président maléfique et fourbe.