Préparation fiévreuse de mon exposition avec Larissa Fikman, sur fond de travaux dans la maison et de pagaille fantastique. Je suis allée la retrouver chez une dame qui fait des encadrements, mais aussi imprime des cartes, affiches, dépliants et tout ce qu'on veut, très gentille, assez marrante. En chemin, j'ai vu avec horreur que le magnifique tilleul qui poussait derrière chez moi avait été coupé. Au printemps, il embaumait tout le quartier, c'était l'ornement de ce chemin qui est de plus en plus moche, avec son baraquement écroulé, ses tas d'ordures et ses constructions neuves sans proportions ni caractère. Un gnome a construit auprès de lui une maison affreuse, banale, incongrue comme un pack de lait usagé dans un parterre de fleurs, avec un jardin sinistre, uniquement destiné à la culture des patates, et ce bel arbre vivant était sans doute une insulte à la laideur de cet édifice et de l'âme racornie de son propriétaire. C'est significatif, le massacre de la nature environnante est le premier souci des bâtisseurs de cubes. Ils ne peuvent pas la voir: tout ce qui est beau, souple, naturel et lumineux les fait entrer en convulsions. Et malheureusement, il y en a beaucoup, en Russie, comme partout. Dans le quartier, Ania, son mari et leur fils sont normaux, l'oncle Kolia, l'était, il emmenait Rosie à la pêche, il avait planté le joli bouleau que sa brute de voisin a saboté cet été.
Le deuxième objet de leur exécration, ce sont les animaux qui ne sont pas enfermés, car tout ce qui existe doit être sous contrôle. Ainsi le bonasse Nounours a été l'objet de l'ire du facteur, parce que tout content de le voir, il prend amicalement sa main dans sa gueule. Il me le fait aussi, et si jamais il serre un peu trop fort, je lui dis sévèrement "doucement", et c'est terminé. Je n'imagine même pas comment on peut avoir peur d'une pâte comme Nounours. Rosie était plus inquiétante, et le facteur n'y trouvait rien à redire. Du coup, le problème devient aiguë. Les patrons de sa mère me disent qu'il faut le mettre à la chaîne, mais quand ils ont essayé, il a tout arraché. Ou alors il faut le tenir enfermé, mais il a creusé un tunnel sous mon portail. Le tenir bloqué dans la maison, ce sera l'enfer, et il ne veut absolument pas entrer. Bref, je n'arrive pas trop à m'en sortir avec Nounours, qui considère leur maison comme la sienne, et je pensais qu'eux aussi, mais non.
Aux dernières nouvelles, par l'effet de je ne sais quel mystère, le facteur s'est calmé quand la voisine lui a déclaré que le chien était à moi... Elle pense que j'ai la cote avec lui, et pas elle.
Au delà de ces problèmes de cohabitation avec les produits de la modernité, que seul un isolement farouche dans un village abandonné peut désormais nous éviter, le bruit court avec insistance d'un false flag nucléaire bien affreux qui se prépare en Ukraine. Avec la complicité de toute notre classe politique et de toute notre presse, évidemment. Certains s'étonnent du calme des foules au bord de l'abîme. Les foules sont calmes, parce qu'elles font en partie l'autruche, et ceux qui y voient clair et ne sont pas en majorité, ont un tel sentiment d'impuissance qu'ils vivent au jour le jour.
Les libéraux que je connais se carapatent en Géorgie. L'artiste-peintre qui, arrivée à Rostov sur le Don, clamait "gloire à l'Ukraine, gloire aux héros", ne s'est pas rendue à Kiev, mais à Tbilissi. C'est plus calme.
C'est fou ce que cette expo me demande de concentration et de travail, et comme tout est chez moi bouleversé, c'est encore pluys difficile... Il me faut photographier, encadrer, répertorier, trouver des titres, donner des prix, imprimer ceci ou cela. Je fais faire des cartes postales pour les vendre au café, et je vais essayer de fourguer des livres, maintenant, toutes les manifestations auxquelles je participe en deviennent le prétexte.
saules d'automne
astilbes
sapins
J'ai vu une émission très intéressante sur les fols-en-Christ, avec Evguéni Vodolazkine, l'auteur des "Quatre vies d'Arseni", livre que j'ai dévoré malgré les difficultés que j'ai désormais à lire, et qui a été pour moi une révélation littéraire et spirituelle, et deux autres intellectuels. En dépit de la lèpre galopante de la connerie et de la laideur, je puise ici un grand réconfort dans l'existence de gens comme ces trois interlocuteurs qui s'intéressent encore à l'essentiel, au vital, au sacré, et dans le fait même que le livre de Vodolazkine ait pu être écrit de nos jours, et qu'il ait bénéficié d'un grand succès. L'auteur ne m'a pas déçue. Il pense que le rationnalisme rétrécit la réalité, et c'est ce que suggère son roman qui nous rend justement une réalité beaucoup plus vaste, celle du moyen âge, qu'il considère aussi comme une période plus humaine que la nôtre, ce dont je ne doute pas non plus. Pour ces trois hommes, la folie en Christ est une forme de sainteté emblématique de la Russie, bien que beaucoup de fous en Christ aient été étrangers. Les Russes, ont toujours été, et restent encore malgré tout, sensibles à l'irrationnel et au surnaturel, grâce, dit Vodolazkine, au "diapason irrationnel de l'orthodoxie" . L'un d'eux racontait qu'un moine orthodoxe français qui s'était mis dans l'idée de venir vénérer une icône miraculeuse de la Mère de Dieu, avait passé la frontière sans visa, parce que les douaniers, de façon inattendue et bien qu'ils ne fussent pas particulièrement croyants, avaient réagi comme Ivan le Terrible devant saint Basile le Bienheureux ou saint Nicolas de Pskov. Ils ont tous trois souligné que dans la ville européenne idéale de Saint-Pétersbourg, le personnage le plus emblématique était la folle-en-Christ Xénia, de même que dans la capitale communiste qu'était devenue Moscou, c'était sainte Matrona qui continuait à déplacer d'énormes foules de pèlerins.
Ce côté irrationnel de la Russie est ce qui la sauve encore. "Un moyen âge déboussolé" disait un de mes amis, et mon père Valentin m'a toujours parlé de sa patrie comme d'un "pays fantasmagorique". J'étais particulièrement intéressée, parce que la suite de Yarilo parle beaucoup de ce thème, Ivan le Terrible était fasciné par les fols-en-Christ, je pense d'ailleurs que son fils Fiodor en était un.
La réalité est un concept variable, notre réalité n'est pas celle de nos ancêtres, ni la réalité des Russes, celle des occidentaux. Quand j'étais enfant et adolescente, on me reprochait de ne pas admettre la réalité, mais ce qu'on appelait la réalité n'était justement pas réel, pour moi. Quand je suis venue en Russie, même au temps de l'Union Soviétique qui faisait tout pour la rétrécir, j'ai senti que la réalité était ici différente de la nôtre, qu'il s'y passait des choses qui chez nous ne peuvent presque plus se produire, de brusques jaillissements de grâce et de lumière, ou au contraire, des brèches ouvertes sur les ténèbres, sur les arrières plans et sur les profondeurs des apparences et les illusions du temps, son élasticité, sa relativité, ses prolongements éternels.
Génia Kolesov a réussi à organiser la venue de Skountsev et de son équipe au bar du café la Forêt. Grand événement! Programme de chansons patriotiques cosaques traditionnelles, car c'est la veille de la fête de l'unité russe, qui commémore la libération de l'occupation polonaise au XVII° siècle.
Hier, j'ai déjeuné au restaurant de Boris Akimov; avec Katia, au village miraculeusement préservé de Kniajevo. Il sert des produits naturels de sa ferme cuisinés dans un poële russe. En attendant de déjeuner, nous avons fait un tour par la rue principale, et rencontré l'ânesse Doussia et deux petits taureaux, et tout ce monde s'est mis à nous suivre en cherchant des caresses...
On me rapporte le
téléphone ce soir. En attendant, je suis un peu coupée du monde. Je me suis
attelée à la lecture de « la Pesanteur et la Grâce », que je voulais
lire depuis longtemps, et je l’avais dans ma
bibliothèque, ce que j’avais complètement oublié, j’avais dû l’acheter en
France avant mon départ. Je n’accroche absolument pas. Et pourtant, j’aime
beaucoup Gustave Thibon, qui aimait beaucoup Simone Weil. Je m’étonne qu’un de mes amis se trouve tant de
parenté avec un univers intérieur que je trouve sinistre, désincarné et
totalement dénué de poésie, extrêmement intellectuel, et me passant de ce fait,
d’ailleurs, loin au dessus du bonnet. Je ne suis pas du tout aussi cultivéeni aussi intelligente que Simone Weil et
honnêtement, il m’arrive de ne simplement pas comprendre ce qu’elle exprime. Je
me demande avec angoisse si ce qu’elle expose là est la condition sine qua non
de la vie spirituelle, et à quoi ressemble le paradis auquel on accède de cette
manière. Pourtant, j’ai lu des textes spirituels, dans ma vie, qui ne me
faisaient pas cet effet-là. Je devrais
les relire.
La grâce n’arrive
que lorsque on a tout détruit en soi, qu’on est au fin fond du désespoir et que
l’on est détaché de tout. Curieusement, j’ai eu des états de grâce, moi qui ne
suis détachée de rien et qui aime la vie, à des moments parfois difficiles,
mais en des moments non moins difficiles, je ne les ai pas eus : quand je
m’occupais de maman, ou quand j’étais à l’hôpital. A l’hôpital, pourtant, je me
sentais vraiment en enfer, prier m'a probablement gardée de péter les plombs, mais ne m'apportait pas de grâce dans ma déprime. Cette question m’a poursuivie toute ma vie. Je lui
consacre deux chapitres dans Yarilo, où Fédia pose mes propres questions au
moine Gérasime puis au métropolite Philippe, ce sont des questions d’être
créatif et extatique, qui vit dans la dimension poétique et a une appréhension
sensible et sensuelle du monde. A savoir que si Dieu nous a équipés pour
ressentir les choses de cette manière, j’ai du mal à comprendre pourquoi il
nous demande d’y renoncer, ce qui est extrêmement difficile à qui n’est pas de
naissance un être frigide sur tous les plans. Je pense que lorsqu’un curé, au
catéchisme, m’avait violemment traitée de païenne, j’avais dû plus ou moins lui
parler de cela et je n’ai toujours pas résolu ces contradictions. Cela dit, je
respecte les tourments mystico-philosphiques de Simone Weil et son engagement
absolu, mais son expérience religieuse m’est assez étrangère.
Au fond, je ne
suis pas du tout aussi absolue qu’on pouvait le penser dans ma famille. Je
dirais même que l’absolu me fait froid dans le dos. C’est embêtant, je pourrais
passer à côté de la porte, mais la porte vers quoi ? Certains textes ascétiques me donnent l’impression
de manquer d’air. Les vies édifiantes aussi, bien souvent, d’ailleurs.
Evidemment, je me
reproche de ne pas prier assez assidument, mais qu’est-ce que prier ? Si c’est
lire des prières, les réciter, du matin au soir, je ne le fais pas, parce que j’ai
vite un espèce d’overdose de bondieuserie. Je le fais, mais pas du matin au
soir, et je ne cherche pas la souffrance et l’autoanénatissement. J’écris, je
témoigne, je fais de la musique, je contemple, je dessine... Je disais à mon
père Valentin : « Après mes souvenirs d’enfance, je n’écrirai plus
rien que des vers, écrire et promouvoir des livres me prend trop la tête, et je ne m’occupe pas de prier
et contempler...
- Si vous avez un
livre qui vous vient en tête, vous serez bien obligée de l’écrire... » m’a-t-il
répondu.
Voilà....
Entre parenthèses,
ce que je fais avec mon blog et mes livres, c’est un vrai travail, littéraire
et même technique, le nombre de fois où je dois traduire, et puis aussi le
temps et les crises de nerfs que réclament la publication des photos et vidéos
qui ne passent pas, on ne sait pas pourquoi... Il y a des moments où je me demande
pourquoi je le fais, certainement pas pour l’argent, cela me coûte
considérablement plus que cela ne me rapporte ! Peut-être que l’essentiel
est justement de faire ce qu’on doit et peut faire d’une façon assidue et
désinteressée ? De poser sa petite pierre dans la grande cathédrale, sans
saloper le boulot des autres ? De donner son petit coup de triangle dans
la grande symphonie sans y créer de facheux couacs?
J'ai vu sur Facebook des cartes postales des illuminations de Moscou pour le couronnement de Nicolas II. Et des photos d'un quartier tel qu'il était autrefois. Ce n'est pas si vieux, et pourtant, ces images arrivent comme des fantômes d'un monde fabuleusement beau dans le chaos tonitruant qu'est devenu le nôtre... Il y aurait beaucoup à penser et à dire. Cette église qui plane comme une vision sur ces maisons de bois, avec ses coupoles renflées, un aéronef pour les âmes. Je pense qu'elle a été détruite et si elle ne l'a pas été, on l'a probablement enfermée entre des monstres de béton qui s'occupent d'empêcher à jamais l'espèce humaine de planer, ou qui, s'ils n'y parviennent pas tout à fait, s'efforcent inlassablement de le faire. C'est la civilisation carcérale planétaire dont a accouché le siècle des "Lumières"....
Il s'est mis à faire froid, disons que là, c'est l'hiver français. Pourtant, j'ai trouvé une framboise qui a réussi à mûrir. Les "octiabrines" commencent à fleurir, ce sont de grands asters mauves, nos dernières fleurs avant la neige. Je les regarde depuis ma fenêtre.
Je continue les travaux, finalement, je refais un studio indépendant dans la pièce que j'ai abandonnée, côté voisin et sa terrasse. On ne sait jamais, je devrai peut-être louer. C'est un tadjik qui me fait tout ça, avec son gentil neveu. Il est efficace, clair, et demande un prix normal. Il ne cherche pas à me tirer le maximum pour me faire n'importe quoi, et ne laisse pas derrière lui de boulot à moitié fini. C'est ma voisine Ania qui me l'a recommandé. Mais c'est toujours pénible d'avoir ce chambardement chez soi, j'ai hâte que ce soit fini. D'autant plus que je vais avoir des visites, à partir de début novembre.
Ania est ma lectrice numéro 1. Elle lit Yarilo à petites doses, à cause de son travail et de son ménage, et sous les plaisanteries de son mari, qui attend son tour. "Je ne m'intéressais pas à Ivan le Terrible, me dit-elle, je le trouvais trop terrible, mais dans votre livre, je l'aime et je le plains!" Elle m'a dit qu'elle viendrait au vernissage de mon exposition, pour se charger d'en vendre quelques exemplaires.
Je m'occuppe maintenant de la préparer, car elle a lieu au mois de Novembre. J'ai fait des pastels, je fais des esquisses en plein air, ou bien je m'appuie sur des photos que je prends, car rester assise en équilibre et me battre avec les éléments déchaînés n'est pas toujours facile. Dessiner me vide la tête, et j'en ai bien besoin. a cause de tout ce qui nous angoisse à juste raison, et à cause aussi de l'informatique et de l'électronique, car je constate que tout cela, destiné soi-disant à nous simplifier la vie, nous la complique de plus en plus. Comme tout le monde, j'ai été contrainte de passer à Windows 10, beaucoup plus difficile à gérer que le précédent, et qui oblige à ouvrir des dossiers en ligne, je tremble en voyant qu'on nous incite à passer à Windows 11, et me demande s'il est encore possible de revenir à la machine à écrire. Maintenant, c'est l'imprimante qui marche forcément en ligne. Et à chaque fois, il faut ouvrir des comptes, donner un mot de passe, et le mot de passe ne suffit plus, il faut un code, envoyé sur votre téléphone, et cela pour n'importe quoi. Bientôt il faudra un code pour vérifier le code.
Un Russe m'a écrit que ces paysages n'étaient pas russes mais français, à cause de leurs couleurs. Mais ces couleurs, je les vois.
J'ai comme tout le monde été plongée dans un grand malaise par l'assassinat horrible de cette petite fille française, et cela m'a empêchée de dormir, car au delà de ce cas particulier, je sens planer toutes sortes d'affreux nazguls sur mon pays d'origine. Je pourrais m'écrier que l'immigration est criminogène etc... et dans une certaine mesure, je le pense, mais il me semble que les gens au pouvoir chez nous attirent toutes sortes de bandits et de sadiques, qu'ils ont une prédilection pour eux, et leur créent des conditions idéales d'existence et de réalisation de leur horrible nature, ce qui les fait accourir au galop. Car ici, nous n'avons pas les mêmes problèmes, pas à ce point-là, ni avec les musulmans d'Asie Centrale et du Caucase, ni avec les réfugiés ukrainiens, dont beaucoup se plaignent en Europe, pour leur arrogance et leur agressivité. Le gouvernement français n'accordait pas de visas aux chrétiens d'orient, il n'en donnait pas aux interprètes afghans de l'armée française, mais il adore les coupeurs de tête, les violeurs, les malandrins, les maffieux et les intrigants, il les choie, il les favorise, sans doute parce que, à la façon des bolcheviks, il les trouve "socialement proches", en un mot, qui se ressemble s'assemble.
Sur facebook, j'ai vu une capture d'écran. Un Français écrivait en commentaire que les Ukrainiens bombardaient les civils au Donbass. Aussitôt, un autre Français lui répond: "Quoi? Les Ukrainiens bombardent les civils au Donbass? Donne-moi ton adresse, où tu habites? Tu as une femme et des enfants que je vienne avec des copains?"
Quelqu'un a dit que toute l'Europe était en train de devenir une gigantesque Ukraine stupide, corrompue, fourbe, impudente et violente. Et en effet, je sentais depuis longtemps que l'Ukraine était le laboratoire de ce qui nous attendait tous. Les Russes qui glapissent "contre la guerre" et se fichent éperdument de ce qu'on faisait de leurs compatriotes pendant huit ans et de ce qu'on comptait en faire dans l'avenir, sont devenus comme les Ukrainiens, des antirusses, qui détestent si fort leur pays qu'ils sont prêts à croire sur lui n'importe quelles horreurs, ils ont soif d'injures à son égard, ils trouvent dans sa détestation une sorte de prestige particulier. Et les Français, devenus si facilement des concombres masqués bleus et jaunes, sont exactement de la même espèce, c'est une peuplade universelle glaçante, des golems en plastique, comme la meurtrière de Daria Douguine et celle de la petite Lola. Leurs maîtres utilisent selon le contexte ici des néonazis au front bas, là des islamistes, ou encore des antifas. Ce ne sont jamais que des hommes de main, conscients ou non de leur rôle; des éxécuteurs des basses oeuvres.
Iouri Iourtchenko a sorti une vidéo où il interviewe un professeur de l'Université de Moscou qui décrit en long en large et en travers comment dans cette vénérable institution, on dresse de petits cons à devenir ce que sont devenus les Ukrainiens, ou pour ne pas injurier toute une population, les ukronazis. A la différence qu'on leur apprend a haïr leur pays au lieu de l'idôlatrer sous une forme complètement dénaturée. Ou chez nous les gauchistes. Quand j'étais en fac, dans les années 70, j'observais la même mentalité et la même technique: se gausser de toute notre culture, qualifier les sentiments humains de "sentimentalité petite bourgeoise", faire l'apologie de toutes les déviances, de toutes les profanations, de toutes les vulgarités, cracher sur les patriotes et généralement tout ce qui était français. Et aussi, sélectionner les gens d'après leur conformité à l'affreux modèle proposé. Persécuter les autres, pour les chasser des facs et autres écoles et domaines culturels, presse, édition. Offrir pour cela à l'étude des thèmes toujours politisés qui permettent d'identifier les réfractaires et les mal pensants. Tout cela se passait dans un contexte de paix, de sécurité et de prospérité, de sorte que personne n'y prêtait assez attention, tout le monde était occupé à faire la fête, on nous le proposait de tous les côtés. Le poisson pourrit par la tête...
Ces gens glapissaient à tous les échos, jusqu'à l'hystérie; à les entendre, de Gaulle était un tyran, nous vivions en dictature, mais ce qui me paraissait totalitaire, c'était leur mentalité, leur tempérament, leur médiocrité ulcérée, leur rejet de tout ce qui ne s'intégrait pas dans leur secte. Ils se montaient tous le bourrichon entre eux et finissaient par vivre dans une sorte de délire, or c'est exactement ce que j'observe chez le libéral russe, pendant du bobo français. La grande différence, c'est que moins d'eau sale a coulé sous les ponts, et que nous avons maintenant une situation qui menace l'existence même de la Russie. En cela, peut-être lui sera-t-il donné d'interrompre l'affreux processus à temps. Je n'ose même pas penser à ce qu'il adviendra de nous tous si ce n'est pas le cas.
Pour finir, je citerai Alexandre Douguine, qu'on nous présente comme un facho nationaliste:
Le concept de nation est capitaliste, occidental. Autrement, l'Eurasianisme fait appel aux différences culturelles et ethniques, et non à l'unification sur la base de l'individu, comme le présuppose le Nationalisme. Notre conception se distingue du Nationalisme parce que nous défendons un pluralisme des valeurs. Nous défendons des idées, pas notre communauté ; des idées, pas notre société. Nous défions la postmodernité, mais pas au nom de la seule nation Russe. La postmodernité est un abîme béant. La Russie n'est qu'une partie de cette lutte mondiale. C'est certainement une partie importante, mais pas le but ultime. Selon nous en Russie, nous ne pouvons pas l'atteindre sans sauver le monde en même temps. Et de même, nous ne pouvons pas sauver le monde sans sauver la Russie.
Ma présentation à
Moscou a eu lieu, mais c’est un coup d’épée dans l’eau. Même mes amis ne sont
pas venus en masse, ca se bousculait moins que pour mes anniversaires. Volodia
avait oublié, et il est venu avec beaucoup de retard, je n’ai pas vu les autres
cosaques. Aucun représentant de la famille Asmus ni du clergé de Krasnoselskaïa, trop fatigué par les services dominicaux. A part un journaliste, tous ceux qui m'avaient interviewée, ou pour qui j'avais même un peu travaillé, ne se sont pas dérangés. L’éditeur Slava m’a dit qu’il fallait appeler les gens un par un, qu’ils étaient
très difficiles à bouger. Il me propose de tout m’éditer et de traduire
lui-même Epitaphe, mais je ne sais pas comment je pourrai financer... enfin je pourrais, mais il faudrait que ce fût un minimum rentable pour ne pas finir dans une cabane à déplacer des casseroles sous les fuites d'eau. Et faire la promotion me prend une énergie et un temps que je ne consacre pas à la création...
Liouba a fait
tout un discours sur mon livre, sur le chemin spirituel de Fédia qui, déjà débauché, aspire à la pureté et à la beauté, et finit dans un épuisement
lumineux, comme une espèce de jeune starets. Elle a parlé de mon amour pour le
folklore et la culture russes ; de mes liens avec l’orthodoxie, le métropolite
Philippe. De ma psychologie étonnante. Comment avais-je pu me mettre dans la
peau de personnages aussi différents de moi ? J’ai répondu que je pensais ce que
dit le tsarévitch Feodor à Fédia : que l'on sait tout de façon génétique, qu'à un certain niveau de l'âme, on entre en osmose avec toute l'humanité. D'ailleurs, pour ce qui est de Fédia, il m'est très proche, si j'avais eu son histoire, j'aurais peut-être réagi comme lui.
Iouri a dit que j’avais
en français une langue extraordinaire, et qu’il se demandait d’où ça pouvait me
venir. « Comment ça ? me suis-je étonnée.
- Eh bien oui,
une bonne femme, comme ça, qui vit dans sa maison avec des tas de chats, et on
s’aperçoit qu’elle a un style incroyable... C'est inattendu. »
Je ne sais pas
comment il faut vivre ou être quand on a un style incroyable ; visiblement,
la mère Gallimard se posait aussi ce genre de questions. Je n’avais pas la
gueule de l’emploi.
Je me suis sentie entourée d'une grande affection. On m'a dit que grâce à moi, beaucoup de Russes commençaient à s'intéresser à leur propre culture. Mais ce qui m’a
le plus touchée, c’est ma voisine Ania : «Votre livre est tellement plein
d’amour, un amour qui laisse un goût de miel amer. Il faut avoir connu beaucoup
d’amour pour l’avoir écrit, ou peut-être en avoir beaucoup manqué. Parfois, en
le lisant, j’ai envie de pleurer. »
J’aurai du mal à
faire la promotion de ces livres qui plaisent beaucoup à ceux qui les lisent,
mais qui ne bénéficient d’aucune publicité.
Iouri lit un extrait
Rita est de plus en plus tyrannique. Les mondanités l'énervent, et puis je suis occupée par des tas de gens et ne lui accorde pas assez d'attention. Elle grogne sur tout le monde, même ceux qu'elle aime bien. A la fin d'une chanson de Skountsev, elle s'est mise à hurler, juste sur les dernières notes, on aurait cru que nous avions répété.
Le jour de la riposte russe sur l'Ukraine, j'ai reçu comme réponse à mon annonce pour la présentation de mon livre, d'une dame que je connais la déclaration suivante: "Les nôtres bombardent Kiev, tout est fini, je ne ferai pas de commentaires". Suivait une vidéo, où un hiérarque ukrainien faisait un sermon apocalyptique sur la nécessité de se repentir d'urgence, de pardonner et autres conseils spirituels tout à fait valables, mais dont le caractère pressant et alarmiste indiquait que nous étions à la veille d'un Armaggedon retentissant, et j'ai failli m'épouvanter, mais j'ai quand même pour cela attendu la suite. Bon, pour l'instant, nous n'en sommes pas là. Attaque surprise sur les infrastructures, en riposte au sabotage de Nord Stream, à l'attentat du pont de Crimée. A chaque jour suffit sa peine.
J'en discutais aujourd'hui avec Lika au café, elle me disait qu'il y avait comme cela des gens qu'il fallait tenir à distance, car la propagande consiste à agir sur les émotions, et à semer la panique et le doute. Ceux qui marchent là dedans deviennent toxiques pour les autres.
Pénétrée de la vérité de cette assertion, j'essaie de ne pas céder à l'angoisse. L'avant-veille de la riposte, chose curieuse, j'ai reçu un coup de fil de cette femme francophone très orthodoxe que j'avais rencontrée au monastère saint Nicétas, et qui m'avait emprunté un livre du père Placide. Elle vit maintenant très retirée dans un village perdu, loin des réseaux sociaux, comme une ermite, et voulait me racheter ce livre, dans lequel elle trouve sa nourrriture spirituelle. "Comment allez-vous? me demande-t-elle.
- Pas mal, la situation m'angoisse un peu.
- Il ne faut pas, voyons! Tout va bien, tout se déroule selon le plan. Et le pays commence à se purifier, c'est très positif. Tout ira bien! Ne vous faites pas de souci. Moi, j'ai confiance."
Ma voisine Ania n'était pas au courant, je lui ai appris les événements. "Enfin"... a-t-elle soupiré. Nous avons parlé des Français endoctrinés et des Russes qui ne comprennent rien: "Ce sont des gens instruits, me dit-elle, à croire que leur cerveau ne leur sert à rien, et ils nous prennent pour du bétail".
Les Messerer sont passés me voir, ils se rendaient à Ferapontovo, où, disent-ils, l'enlaidissement général se manifeste aussi maintenant, et pourtant, c'est un endroit classé où il était théoriquement interdit de construire n'importe quoi. Sacha ajoute même que dans leur village, qui avait tant de charme, il n'y a plus rien à dessiner, que tout est défiguré, peinturluré, plastifié.
Avec Sacha Messerer, dans l'entrée refaitede ma maison
A ce propos, Boris Akimov a interviewé un garçon qui a visité toute la Russie, en quête de ce qu'il y restait encore de poésie. Il faut aller toujours plus loin, et ce qu'il subsiste est de plus en plus délabré. Le jeune homme s'étonne comme moi qu'un peuple qui créait spontanément tant de beauté puisse à présent ne plus en avoir aucune idée, aucun besoin, aucun respect. Cela lui semble un symptôme très inquiétant, car si la beauté vient de Dieu, la laideur vient du diable, elle reflète le chaos et l'absence d'harmonie, une harmonie qui est inhérente au cosmos, et à laquelle l'homme était autrefois relié. Il explique que les lois de la beauté sont partout les mêmes, qu'on construise une isba ou le Parthénon, elles sont naturelles, elles sont organiques. La disparition de la beauté est le signe que l'humanité disparaît et que Dieu se retire du monde ou que nous l'en chassons. Restaurer l'harmonie est un acte thérapeutique de réconciliation avec Dieu, sa création et notre vocation humaine, ce qui répond à la fameuse phrase de Dostoievski citée à tort et à travers:"la beauté sauvera le monde". Et a contrario, la laideur est en train de le perdre. Boris Akimov se propose de participer à la restauration de la beauté partout où c'est possible, et de toutes les manières: rénovation de maisons, d'églises, renaissance du folklore, car c'est dans le lien à tout cela que notre être s'inscrit dans la mémoire universelle, et que notre âme trouve le terreau nécessaire à son épanouissement. J'étais heureuse de trouver dans ce documentaire deux êtres qui partageaient ma souffrance devant cette catastrophe de la disparition de la Russie. Car si la beauté s'en va, le génie russe aussi, le génie humain. Après la dékoulakisation, qui n'a pas eu lieu seulement en Russie, mais, de façon diverse, dans tout l'occident progressiste, matérialiste, dévoyé et avili, après l'assassinat de la civilisation paysanne, on procède à la déshumanisation, pour arriver, dans la cervelle malade de la caste dominante, au transhumanisme.
Le jeune homme de la vidéo dit que le besoin de beauté, et l'instinct créateur, se sont poursuivis jusqu'au milieu du XX° siècle et en effet, ils ont continué sur la lancée des générations nées dans l'ancienne Russie ou élevées par ceux qui en gardaient l'esprit. En ce sens, le communisme s'inscrivait bien dans cette mentalité moderne bassement utilitariste qui a fait de l'occident un asile de fous, modèle que les Russes actuels rejettent partiellement, sans toujours comprendre que ce sont les deux faces d'une même médaille. Douguine le comprend, et certains l'accusent de vouloir retourner à l'époque des "paysans en lapti", paysans qui avaient finalement assez de temps et d'énergie vitale pour produire constememnt de la beauté autour d'eux, alors que leurs descendants qui les méprisent, sont soumis dès les bancs de l'école à un conditionnement qui ne laisse aucune place à l'épanouissement personnel ni à aucune espèce de créativité, de vie intérieure, de transcendance. Abrutis par la télé, la musique au rabais, grandis dans le béton et le mauvais goût, ils expriment dans ce qu'ils édifient autour d'eux toutes les disgrâces de leurs âmes contrefaites et sous alimentées. Il faut déployer de grandes forces pour surmonter tout cela et sortir de ce système, et plus encore pour trouver une forme de spiritualité. De ce cercle infernal; nous sommes tous prisonniers, et nous arrivons au fond de ce maleström, qu'on nous présentait comme ascensionnel et qui ressemble de plus en plus à une descente dans les cercles de l'enfer. La question que je me pose, c'est la Russie aura-t-elle encore assez de sève pour reverdir?
Aujourd'hui, j'ai fait un tour le long de la rivière Troubej, où l'on construit tellement d'horreurs, mais où deux ou trois maisons vont à contre-courant du disparate et du mal fichu.
maison en cours de réfection, avec son propriétaire
Tant que c'est possible, je me promène, j'ai même pu aujourd'hui rester au soleil sur la terrasse par un vent d'automne violent mais doux. La vie qui s'obstine et la vie qui s'endort mettent des éclats de couleurs dans le brun et le gris qui peu à peu s'étendent. On voit ici un pissenlit de la dernière chance, garni d'une abeille qui se dépêche de butiner encore un peu. Là quelques fleurs de chicorée. Des fleurs d'automne, comme les asters. Une libellule. Les feuilles volent en tous sens, mon poirier est presque nu, il y a deux jours, je regardais le ciel fuser à travers ses feuilles miroitantes qui vibraient comme des vaguelettes jaunes. Je profite du moindre instant de communion avec mon jardin avant que ne vienne novembre boueux, puis la neige pour de longs mois. C'est encore si beau... Quand je faisais de la musique avec Skountsev, j'étais hypnotisée par les branches, les feuilles dorées, les saules au loin, liquides, translucides. J'ai toujours été le cancre qui regarde par la fenêtre.
Hier, j'ai appris le matin que je chantais le soir avec les balalaïkers au bar du café la Forêt. Je suis arrivée en avance et j'ai trouvé Godefroid qui, par sa virilité revendiquée, me rappelle le mari de ma cousine, mon copain Patrick, et aussi son ami Olivier. A mon avis, ils se seraient bien entendus. Pour des garçons de cette trempe, l'occident devient vraiment indéchiffrable, il est vrai qu'on s'occupe dès la maternelle de fabriquer des lavettes, selon l'agenda de nos maîtres ténébreux.
Je me promène autant que je peux, et Nounours m'escorte, mais ne m'obéit pas du tout. J'essaie quand même, "Nounours ko mnié", et la friandise. Il veut bien de la friandise, mais quand il a mieux à faire, il s'éloigne en me faisant des pattes d'honneur. Cependant, si je siffle, il accourt. le sifflet semble beaucoup lui plaire.
Par delà les saules aux tresses d’or lâchées
S’ouvrent ces gouffres bleus,
Et par delà, que sais-je?
Car cet azur n’existe encore
Qu'au revers de mes yeux,
Déversant en mon coeur des nuées habitées,
Des êtres étranges, grandioses et muets,
De calmes et vastes feux allumés tous les soirs
Où la nuit en silence forge et jette ses astres
Que je cueille parfois, sur le seuil, du regard.
Est-ce là mon trésor, est-ce là mon salaire?
La chute des feuilles et les dernières corolles
Aux célestes barrières la lune abandonnée
Et le chant des oiseaux que personne n’écoute.
Or ceux-là qui sont sourds au vent discret qui passe
N’entendent point sonner les tambours de l’horreur.
Et ceux-là dont la lune ne touche pas le coeur
Ne peuvent discerner le bon grain de l’ivraie
L’ange du démon, le roi de l’imposteur,
Le chant du boniment,
La pure vérité du mensonge crasseux,
Ni du fourbe bellâtre le doux prince charmant,
Le clair chevalier des contes pour enfants.
C’est en vain que pour eux glissent au ciel les anges,
Que sonnent les trompettes des canards en partance
C’est en vain qu’au couchant les carillons trébuchent
Sous le fidèle éclat des croix sur les coupoles.
Rita prête pour la promenade
Mon orthodoxe m'a declaré qu'elle prendrait envers moi ses distances. Elle fait bien, j'avais la même intention. Que de bonne conscience aveugle et j'éprouve même un vrai sentiment de malaise. Elle est persuadée de tout ce que lui montrent ses médias de grand chemin, parce qu'au fond, bien qu'elle "fréquente des Russes depuis cinquante ans", elle croit spontanément, profondément et systématiquement que la Russie est une sorte de Mordor d'où ne peuvent venir que terreur et mensonges, ce qui fut vrai un temps, mais le diable a changé de camp, et même alors, combien ont témoigné et résisté? Ces Russes d'occident ont souvent d'ailleurs le même sentiment qu'elle et chutent parfois en des abîmes de vilenie. Je ne parle pas des pseudos dissidents dont le vrai pays n'est certainement pas la Russie qu'ils détestent aussi viscéralement que ceux qui ont fait la révolution d'octobre et installé leur pouvoir en massacrant ou contraignant à l'exil la précédente élite, puis en martyrisant chrétiens et paysans pour essayer d'obtenir une masse de prolétaires sans mémoire. Non, ce sont des Russes qui soit vivent dans un monde parallèle congelé où subsiste la Russie des années 30 absolument inchangée, soit des Russes qui ont des comptes personnels ou familiaux à régler. Certains de leurs commentaires ou réactions sont d'une telle bassesse et d'une telle stupidité que j'en ai honte pour eux. Mais à vrai dire, de tels Russes se rencontrent aussi en Russie, si avides de croire en tout ce qui peut justifier leur mépris de leur pays et leur rêve d'un eldorado civilisé qu'ils ne se fient systématiquement qu'aux sources occidentales d'information, lesquelles, depuis longtemps, ne s'occuppent que de désinformation et d'intimidation idéologique. Ces gens-là se trouvent très intelligents, plus intelligents que les esprits encore sains qui essaient de défendre leur peuple et leur culture, en Russie comme en France.
Qu'une partie de ces serviteurs zélés de Schwab et son Harari transhumaniste, d'Ursula la Hyène, de Soros, de BHL, de Glucksmann, de Biden et Macron, de tous les monstres de l'occident collectif soient de bonne foi ne change rien au fait qu'ils les servent, qu'ils servent Baphomet, et dans le partage qui s'opère en ce moment, ils vont avec les boucs, c'est une position périlleuse en ces temps apocalyptiques.
Un garçon profond, courageux, lucide et plein de talent que je recommande de suivre:
J’ai vu Ania
sortir de chez elle et je l’ai accompagnée jusqu’à l’arrêt du bus. Elle m’a dit
que cela lui avait remonté le moral. « A moi aussi, je suis souvent la
larme à l’oeil, de pitié et aussi d'appréhension.
- Si vous êtes
dans cet état-là, faites-moi signe, je n’ose pas m’imposer.
- Beaucoup de
gens n’ont pas votre retenue ! »
L’automne est
gris, je me souviens de celui de mon arrivée, quand je n’avais pratiquement pas
vu le soleil pendant trois semaines.
J’ai rencontré aussi la
voisine Olia, qui m’a fait comprendre qu’il faudrait mettre Nounours à la
chaîne, au moins le temps qu’il s’habitue, ou alors ce sont eux qui vont le
faire. Leur autre chien est mort. Je crois que je
vais devoir essayer d’attacher Nounours au moins ponctuellement, si on
n’attache ou n’enferme son chien ici, il a de grandes chances de mal finir.
C’est vrai que je n’ai pas trop l’élan intérieur pour me prendre la tête avec
ça, en ce moment. Je suis complètement débordée. Il me faut corriger et
rééditer Yarilo, et il faudrait faire pareil
avec Parthène et Epitaphe.
Ania m’a dit
qu’elle lisait lentement mon livre, parce qu’elle est si occupée, et elle
s’endort dessus. Mais elle l’aime beaucoup, elle le trouve inhabituel et
surtout plein d’amour, écrit avec un immense amour. Cet écho me touche
beaucoup. En effet, j’ai mis là dedans toute mon âme et beaucoup d’amour. Macha
me demandait sur quoi avaient porté mes discussions profondes avec Katia et
Sérioja, l’autre soir. Sur la Russie, et sur mon amour de la Russie, sur la
façon dont cela m’est venu, et tout à coup, j’ai réalisé le caractère étrange
de cet amour fou, que je n’ai malheureusement partagé avec aucun homme, mais j’ai
aimé la Russie, et les hommes russes, personnages historiques, héros littéraires,
amis, j’ai aimé les Russes. J’ai aimé Ivan le Terrible, j’ai aimé Alexandre
Nevski. J’ai aimé Fédia Basmanov. J’ai aimé le prince André. J’ai aimé Mitia
Karamazov et le prince Muichkine. J’ai même aimé Stavroguine. J’ai aimé
Essénine, Mikhaïl Boulgakov. J’ai aimé Slava, Génia, Micha, Sérioja, Vadim, j’ai aimé
Volodia Skountsev et tout le Cercle Cosaque. Je ne parle pas des prêtres,
saints et moines, du clergé de mes paroisses, de mon évêque, de mon père
Valentin, du métropolite Philippe que je prie régulièrement, j’ai aimé tellement
d’hommes russes, sans pouvoir m’en attacher un seul...Je me souviens qu’à
Novgorod, jetant à l’issue du festival de folklore ma couronne de fleurs dans
le lac, j’avais pensé : « C’est la couronne de mes noces avec la
Russie. » J’ai aimé et épousé la Russie, et tous ses hommes, qui sont les
plus beaux, les plus charmants, les plus touchants, les plus intéressants de la
terre, et je souffre chaque fois que je vois les photos des jeunes soldats
morts sous les coups de l’OTAN et de ses sbires, comme s’ils étaient le fiancé
ou le fils que j’aurais pu avoir. Je pense que la sainte Russie et ce qu’il en
reste aujourd’hui, après l’acharnement sur elle de toutes sortes de gnomes, est
chère à Dieu, et que dans le pire des cas, elle livrera debout son dernier
combat, quand tous les autres se sont déjà couchés,
Je suis toujours
poursuivie par mon orthodoxe et sa croisade, elle m’accuse d’être manichéenne,
alors que c’est pour elle un dogme que les atrocités d’Ukraine sont toutes
russes, comme le lui insuffle dans la cervelle sa presse « sérieuse ». En somme, elle ne varie pas de sa
ligne, mais ne comprend pas que je m’en tienne à la mienne. Là encore, de nous
deux, il y en a sans doute une qui est folle, l'histoire dira laquelle. Mais je fais largement plus
confiance aux gens que je connais depuis longtemps et qui depuis longtemps
essaient de réinformer, qu’aux orthodoxes français de base pleins de préjugés
antirusses qui remontent aux années 30.