Une personne qui m'est très chère est tombée malade, en France. En d’autres temps, je serais partie la voir, mais en ce moment, je crains de rester bloquée là bas, et avec ma floppée d'animaux, ce serait l'angoisse. Il est vrai que je le crains depuis longtemps, mais on ne peut pas dire que la situation s’arrange. Dans mon désarroi, j’ai appelé le père Valentin, qui m’a dit : « N’y allez pas, je ne fais aucune confiance à l’Occident. Priez pour elle mais n’y allez pas ».
Je pleurais hier soir comme une Madeleine, je sentais à quel point j'étais loin, comme disait une autre de ces personnes chères que j'ai laissées derrière moi. Evidemment, j’aurais pu y aller quand la situation n’était pas encore aussi explosive, mais avant l’intervention militaire, c’était le covid, les masques, les tests et les vaccins...
J’avais très mal à la tête, et ce matin, j’ai dû me pousser pour aller fêter la Théophanie, jour anniversaire de mon entrée dans l’Orthodoxie. J’ai dû me pousser, mais comme d’habitude, cela m’a fait beaucoup de bien, la Théophanie est toujours pour moi une fête pleine de grâce. J’ai communié, et je ne saurais dire la saveur qu’ont pris les saints dons dans ma bouche. J’avais encore mal à la tête, j’avais mal aux jambes, j’avais de la peine, et les larmes qui coulaient, mais je ressentais au fond de moi une espèce d’espace intérieur calme dans lequel résonnaient doucement des chants qui, par leur parenté pourtant regrettable avec la musique occidentale, me restituaient l’atmosphère du catholicisme naïf et préconciliaire de ma petite enfance annonéenne.
Cette situation
qui me sépare des miens est étrange et affreuse. Quoiqu’il arrive en Ukraine, c’est
la faute des Russes. La vérité commence à percer, mais tout est si fourbe et
embrouillé, par exemple, le métropolite Onuphre fait des déclarations
antirusses que me citent des orthodoxes français, alors même que ses
hiérarques, ses prêtres et ses fidèles sont abominablement persécutés, l'étaient auparavant, et le seront de toute manière, si les entreprises des démons ne sont pas déjouées. Le père
Valentin m’a dit avec fureur qu’on ne devait ni le critiquer ni même le
commenter, c’est aussi ce que recommande le patriarche. Et c’est ce que je
fais. La position des orthodoxes là bas est plus que difficile. On peut très bien massacrer tout le troupeau et ses
hiérarques, et trouver des justifications ou le passer sous silence, ou l'attribuer aux Russes. Les responsables de tout cela n’ont absolument aucun
respect de rien. Le père Andreï m'a dit: "Tellement de péchés invraisemblables se sont accumulés, et pas seulement là bas, mais aussi chez nous, il n'y a rien d'étonnant à ce qui nous arrive, et comme d'habitude, ce sont les meilleurs, les plus courageux, qui souffrent en premier. Mais ayez confiance, comme dit notre ancienne directrice d'école, "l'incendie se déroule selon le plan..."
Quand je lis les
nouvelles le matin, j’en ai les larmes aux yeux, j’ai tellement pitié des gens
normaux qui sont pris dans cet engrenage infernal et cette horreur
fantasmagorique, et aussi des Français qu’on ruine, à qui on pourrit la vie, et
qui seront peut-être demain achevés dans les guerres civiles fomentées dont on
leur a créé toutes les conditions. Je savais dès la guerre au Kosovo, que c’était
là le projet.
J’ai vu là au milieu un reportage sur un luthier paysan qui a décidé d’ignorer tout cela et de vivre normalement, pleinement, librement, il le proclame : la vie de paysan, dans sa rude simplicité, donne la liberté et la paix, et ce contact avec la vie qui irrigue l’être et l’enrichit. De quelle liberté, de quelle paix jouit le malheureux qui se précipite sur le métro tous les matins pour aller remplir une tâche imbécile et « travailler de toutes ses forces pour son patron », ainsi que le dit monsieur de Maesmaker dans Gaston Lagaffe ? De quel enrichissement intérieur, de quelle plénitude bénéficie-t-il ? N’y a-t-il pas derrière tout cela une escroquerie énorme ?
Dima Paramonov,
le roi des gousli, a vu cette émission deux fois, bien qu’il ne parle pas
français, et se demande où se procurer l’espèce de moulin à farine dont se sert
le luthier. A mon avis, on ne trouve plus cela que dans les brocantes, et
encore...
Au moment du covid, Dima est parti
vivre dans l’Oural, dont il est originaire, au village, où le folklore survit
encore. Il a fait un très joli disque de polyphonie au violon, c’est-à-dire qu’il
joue les différentes parties vocales de chants russes, et cela jette
sur ces chants un autre éclairage. Le violon était un instrument populaire
courant, avant la révolution, il le redevient peu à peu. Dima n’est pas
seulement le roi des gousli, au violon, il ne se défend pas mal non plus.
https://vk.com/music/album/-2000994847_16994847_0b7362c24751c58d4b