Je voulais montrer à Valérie le plateau large et magnifique qui domine la "colline d'Alexandre" et le lac. Un endroit qui donnait envie d'ouvrir ses ailes et de planer. J'en avais fait de belles photos en 17, quand le cosaque Boris me l'avait fait découvrir. Beaucoup de mes amis aimaient à aller y contempler le coucher de soleil. Mais nous n'avons pas pu passer, parce que des sauvages y construisent une zone pavillonnaire. Terminé. Le site est absolument fichu. Ce qui donnera prétexte à continuer joyeusement le saccage.
Je me souviens que le peintre Alexandre Pesterev m'avait dit, à Ferapontovo: "Ils détruiront tout." Oui, nous avons, en "éteignant au ciel des étoiles qui ne se rallumeront jamais", lâché des démons insatiables. Je n'ai plus les forces de partir plus loin, et continuerai donc, cernée par les barbares, à conserver mon microcosme fleuri, naturel et poétique, mon refuge pour les papillons, les mésanges, les couleuvres, les hérissons.
Pour nous consoler de cet affreux spectacle, nous avons suivi le circuit nature des bords du lac, qui reste inviolé mais payant, où l'on peut contempler une nature russe digne des illustrations de Bilibine, et du prince Alexandre, qui allait méditer à l'endroit que les cupides et les stupides, comme toujours dans le merveilleux nouveau monde, se sont alliés pour massacrer. Il y faisait frais, gris et venteux, l'eau prenait des teintes verdâtres austères et transparentes. Pauvre lac, pauvre ville, pauvre nature, pauvre Russie, pauvre de nous tous.
Petite déprime saisonnière, tout
me paraît insurmontable. De plus l’interminable déclin de ma vieille chatte
Chocha est difficile à vivre. Elle est très dépendante de moi, elle pisse
partout dans la maison, quémande sans cesse mon affection, se frotte contre moi
quand je travaille d’une façon obsessionnelle et j’en suis parfois complètement
horripilée. En même temps, je ressens cette épreuve comme une façon de racheter
mes défaillances avec maman, ma négligence avec mon petit chien Doggie, toutes
mes trahisons à l’égard de ces êtres qui m’aimaient avec la confiance la plus
totale.
Normalement, je devais aller à
un concert à Rybinsk avec Katia, mais avec la chatte et ma chienne Rita, c'est un peu compliqué. J’adore le groupe qui se produit, Ottava Io, mais
je me demande si je ne préfère pas désormais écouter tout cela tranquille chez
moi. Je n’ai pas envie de faire de la marche à pieds dans Rybinsk, par un temps
pluvieux, de passer plusieurs heures dans le bruit et une ambiance survoltée.
J’ai sans doute surestimé mes forces. Il
me faudra laisser Rita dans la voiture. Et puis il me faudra aussi laisser Chocha trois jours, et cela m’angoisse,
d’autant plus que la semaine suivante, je fais une présentation de livres à
Moscou. J’avais pensé, par la même occasion, faire le dimanche suivant la même
chose chez Iouri et Dany, mais cela me ferait rester quatre jours là bas, avec
cette chatte mourante qui n’arrive plus à rejoindre son coussin sans mon aide,
mange peu et souvent, je ne voudrais surtout pas la retrouver morte dans la
solitude, à mon retour.
Il fait un temps anormalement
doux, et naturellement pluvieux, bien qu’il y ait des éclaircies, et un pâle
soleil, dont je profite autant que je peux.
Avec Katia et son amie Elena, nous
avons discuté de la folie qui s’empare du monde et de l’étrange calme dont nous
jouissons ici, au milieu de cette tourmente générale. Slobodan Despot et ses
collaborateurs continuent à faire la tableau clinique de l’Occident hystérique
que le reste des nations regarde avec une appréhension grandissante. Il dit
que, contrairement à ce que lui dicte sa paranoïa, personne autour de lui ne
souhaite la chute de « l’occident collectif », car elle aura des
répercussions sur tous ses voisins.
En France, les gens commencent
à réaliser que leur pays dissous dans l’UE est une colonie anglo-sioniste où
ceux-là même qui hurlaient à la shoah pour nous sidérer depuis des décennies,
sont prêts à exterminer les Palestiniens jusqu’au dernier, comme l’ont fait des
indiens leur alter ego protestant américain. On a beau avoir été dressé à
avaler des couleuvres, elles prennent ces temps-ci des dimensions de boa
constrictor. Les Français regardent des sionistes éructer à longueur d’antenne,
vouer leurs ennemis, ou plus généralement leurs contradicteurs, aux gémonies,
et réalisent que ces gens constituent, en fin de compte, un état dans l’état,
que leurs intérêts sont différents des leurs et priment sur eux, cela les rend
nerveux, et du coup, les colons peuvent dénoncer l’antisémitisme à grands cris,
car s’ils ne nous aiment pas beaucoup, c’est clair, nous, nous sommes censés
les aimer, les servir, et mourir pour eux, et la moindre critique d’un membre
de la communauté, qu’il soit ou non pourri, mafieux et sanguinaire, implique,
dans leur narratif, un futur holocauste.
Katia et son amie psychologue observent la même chose ici, toutes proportions gardées, des intellectuels et journalistes juifs russes, jusque là calmes et de bonne compagnie, qui se mettent à éructer et à appeler au massacre. Naturellement, ce n’est pas chez la communauté en question une attitude monolithique, tout le monde n’est pas sioniste chez les juifs, certains juifs se sentent même avant tout français, russes ou même éventuellement soviétiques. Ce qui me désole, c’est la naïveté des Français qui se solidarisent, par crainte du grand remplacement, avec ceux qui se sont si volontiers proposé de le favoriser chez nous, et qui le mettent en oeuvre dans leur Terre promise en éliminant le peuple qui y vivait avant leur venue. Un tel propose que nous mettions tous une kippa par solidarité, les a-t-on vus porter la croix quand on a égorgé des prêtres ou brûlé des églises ? Tel autre envisage de vitrifier la Palestine avec une bombe atomique, et devant l’effet produit, même sur les plus serviles, parle de « métaphore ». Pardonnerait-on à Poutine de telles « métaphores », s’il se les permettait lui-même ?
.J'ai raccompagné Valérie à Serguiev Possad, chez la matouchka Alexandra. Nous sommes allées voir la magnifique exposition du peintre Constantin Soutiaguine, au musée local. Nous y avons été tellement bien accueillies par le personnel: d'abord, c'était gratuit pour les vieux, et puis, découvrant que nous étions françaises, c'est tout juste si l'on ne nous a pas déployé le tapis rouge. Partout, ensuite, à la Laure, dans les magasins, c'était l'enthousiasme francophile, malgré Macron et tous les idiots hystériques des médias fançais.
J'avais déjà vu les tableaux de Kostia consacrés à la Bible et l'Evangile, mais il y en avait quelques uns de nouveaux, de merveilleux rois mages à cheval, guidés par une extraordinaire étoile de Noël palpitante dans un air que l'on devinait frais et qui semblait pétiller de lumière. Kostia, qui est fondamentalement bon, simple, joyeux et bienveillant, met de la lumière, une lumière spirituelle, inspirée, dans tout ce qu'il regarde et peint, son appartement, communautaire, la fenêtre neigeuse, le bouquet de lilas sur la table, auquel fait écho un lointain lilas dans la rue, et je songeais qu'il fallait juste faire pareil, envers et contre tout, dans notre monde apocalyptique.
La salle suivante était consacrée aux oeuvres des élèves iconographes de la Laure, mais si tout cela était bien doré et bien peint, je n'y sentais pas la lumière de Kostia, qui n'est pas iconographe, je n'y sentais à vrai dire pas grand chose, je préfère carrément les icônes naïves, celles que j'ai dans ma cuisine, par exemple. Quand je pense à l'effet que produit sur moi n'importe quelle icône du musée de Pereslavl, pourvu qu'elle soit du XVI° siècle maximum, parce que dès qu'on passe au XVII°, c'est fini, tout devient opaque. Et alors le XVIII°... Mais dans toute l'Europe, c'est le début de la fin, et justement les Romanov ont décidé à ce moment-là d'accrocher leur wagon à ce mauvais train.
Constantin Soutiaguine, les trois Anges à la table d'Abraham |
Constantin Soutiaguine, les lilas |
La mère Alexandra me demande comment ça va, et m'interrompt: "Dis-moi plutôt: ca va comme en novembre. Comment peut-on aller, en novembre?"
Et lorsque je lui parlais de mes diverses douleurs: "J'ai la solution, tu ouvres ton passeport et tu regardes ta date de naissance. Eh bien voilà, tout est clair, pas besoin de médecin!"