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mercredi 12 juin 2019

au lac Nero


Encore une journée passée avec Katia, hier. Nous sommes allées à Rostov, où nous devions rejoindre Liéna pour la reprise de nos répétitions de folklore. Nous voulions nous baigner dans le lac Nero avant de dessiner, mais nous nous sommes contentées du dessin, la baignade est interdite dans ce beau lac, pollué par les égoûts…

Je pensais aux générations de Russes qui avaient dû s’y baigner et pêcher, nous vivons vraiment une époque formidable.
Le long du chemin qui borde le lac, il y a encore beaucoup de jolies maisons traditionnelles, qui épousent les courbes du terrain et accompagnent les fantastiques architectures du kremlin, ses tours et ses coupoles. Mais déjà, une affreuse baraque prétentieuse est tombée  là au milieu avec arrogance, comme un OVNI. Je ressens une vraie souffrance morale au spectacle de cette laideur contemporaine, de cette disgrâce vulgaire qui écrase tout, qu’elle soit visuelle ou sonore, d’ailleurs.  Je dois dire que si Rostov est assez délabrée, elle est moins ravagée par la modernité que mon pauvre Pereslavl.
Les gens y sont très gentils, spontanés, communicatifs et serviables, comme presque toujours en Russie, à part dans els administrations, mais c’est souvent aussi un rituel que de faire la gueule pour avoir l’air sérieux, et après, on se montre parfois tout à fait compréhensif.
Nous avons passé Rita en contrebande dans la maison des Pionniers, et elle s’est tue au fond de son sac comme un vrai partisan. Liéna avait convié deux autres apprenties folkloristes, et un homme aussi, qui n’est pas venu. Avant, j’étais toujours avec un ensemble d’hommes, avec mes cosaques bien aimés,  et maintenant, je suis entourée de nanas. Mais d’un autre côté, les hommes et les femmes, dans la tradition russe, ne chantent généralement pas les mêmes chansons, parce qu’ils n’avaient pas le même genre de vie. Il y a des chansons mixtes, et ils chantaient ensemble aux champs, certainement, et pour les fêtes, mais quand même, une grande partie du répertoire est « regrettablement genré », comme on dirait chez nous aujourd’hui : les femmes chantaient en filant, tissant, brodant, il y avait les déplorations de noces, les déplorations funéraires, les hommes chantaient à cheval, à la guerre, et tout cela imprimait aux chants une marque particulière. Donc, je me trouve avec  des bonnes femmes en train d’apprendre un répertoire de bonnes femmes. Et puis, à vrai dire, elles sont extrêmement bonnes. Liéna est la douceur même, et Katia a tant de points communs avec moi que j’en suis sidérée. Elle trouve l’amour purement physique décevant et pas seulement sur le plan affectif. Un prêtre lui avait dit : «On sait d’instinct ce qu’il faut faire, quand on aime, et on n’a pas besoin de toute cette pornographie, ces kama soutra et autres », et c’est bien aussi mon avis, même dans l’amour les gens ne savent plus être vrais et simples, et abandonnés. Ils ont théoriquement « le choix » et ne choisissent presque jamais, se mariant peut-être  encore plus mal que du temps des mariages arrangés,  par lassitude, conformisme, faiblesse ou intérêt.
Donc Katia et moi avons la même croix, et nous en sommes venues à la conclusion que nous étions victimes de l’époque qui a complètement bouleversé et anéanti les rapports entre les sexes.
Nous avons parlé aussi de l’éducation, des écoles confessionnelles qui semblent, d’après ce qu’elle dit, offrir le même risque de dégouter à jamais les gosses de la religion que les écoles  catholiques. Nous avons évoqué le cas d’un lycée orthodoxe où les enfants sont élevés loin de tout comme au XIX° siècle, avec la perspective d’affronter à la sortie le monde post-moderne dans toute sa démence et sa perversité. Cependant, les écoles non confessionnelles deviennent de plus en plus le théâtre de toutes sortes d’expériences  déconstructrices et de pressions perverses, et ne préparent plus des êtres humains, mais des individus atomisés en compétition les uns avec les autres pour la meilleure place possible dans une société aliénante, déshumanisée que toute personne normale ne peut avoir qu’en abomination.  Et moi qui étais contre l’école à la maison, essentiellement pour des raisons de socialisation, j’en viens à considérer maintenant que c’est une mesure salutaire dans le contexte, quand on peut s’en charger, ce qui est loin d’être toujours le cas. «Pour te dire le fond de ma pensée, Katia, je crois que l’école n’est pas quelque chose de naturel, et je l’ai ressenti dès mon enfance. J’étais en révolte complète contre l’école, et comme je ne suis pas quelqu’un de violent, cela se traduisait par une sorte de résistance passive, d’émigration intérieure. A part les conformistes et les malléables que sont les premiers de classe, quel sens peut avoir l’école, pour un enfant ? On l’arrache à sa famille et on le colle dans un établissement où des gens qui ne lui sont rien le soumettent à un formatage social décrété par un ministre dans son bureau, c’est-à-dire par un individu nuisible et dénaturé. J’ai ressenti cela très tôt, et si je faisais un léger effort pour passer d’une classe dans l’autre, c’était uniquement pour plaire à ma mère, et parfois à certains professeurs, car c’est comme cela qu’un enfant fonctionne, par amour, par respect. L’éducation normale, pour moi, c’estl’éducation traditionnelle. Selon les hasards de la vie, un enfant naissait chez les paysans, les nobles ou les artisans, et sa destinée était, sauf exceptions, tracée : remplir sa fonction là où il avait été placé, de la meilleure manière possible. Naturellement, il arrivait toujours qu’un artiste ou un guerrier, ou un mystique naquît à une place qui n’était pas forcément la meilleure pour lui, mais cela se corrigeait généralement de soi-même, car quelqu’un le remarquait, où il fichait le camp lui-même pour s’enrôler, ou se faire embaucher ou étudier, ou entrer au couvent.  Autrement, l’enfant apprenait au fur et à mesure qu’il grandissait ce dont il avait besoin pour survivre et s’inscrire dans son milieu et communiquer avec les autres, y compris le répertoire de contes, chants et danses transmis de génération en génération. Il participait, il était responsabilisé, et il apprenait très tôt toutes les ficelles de son métier.  Il en était récompensé par l’estime et l’affection de sa communauté familiale ou élargie, et même s’il n’était pas bon à grand-chose, on lui trouvait quelque chose à faire, il ne finissait pas SDF sous les ponts, à moins d’une guerre, de la peste ou autre cataclysme.  A « l’âge ingrat », il était capable de fonctionner, d’assumer et même de se marier. Il ne passait pas son temps à geindre et à fumer des joints en écoutant une musique d’abrutis, ou en regardant des films pornos, pétrifié d’horreur devant l’existence absolument insensée  dans laquelle on lui demande de s’insérer coûte que coûte.  L’être humain n’est pas fait pour fonctionner dans des structures anonymes dont il n’est qu’un rouage. Je me souviens que l’école de la république se vantait des « petits paysans qui deviennent ministres », ce qui à mes yeux n’est pas du tout une promotion, un paysan valant beaucoup mieux qu’un ministre, mais si cela se produisait, c’était grâce à tout cet héritage que la république s’est employée à déconsidérer et à supprimer.  Mon beau-père n’avait jamais pu entrer dans ce système, bien qu’il eût étudié et obtenu son bac latin grec, mais il avait besoin de la liberté de la terre, et de sa vérité. Il ne pouvait partir, dans un sens, avec les animaux et tous les impératifs de son métier, mais à l’intérieur de son royaume qu’était la ferme, il était son propre maître. Maintenant, il n’y a plus de possibilités de vivre de cette manière, c’est pour tous un esclavage qui ne dit pas son nom, et ce qu’il reste de paysan a appris le métier auprès d’abrutis déconnectés dans des lycées agricoles, au lieu de le recevoir de leur père qui l’avait reçu de son propre père. Je ne parle pas de toute la culture qui allait avec, remplacée par ce qu’on appelle maintenant « la culture populaire » soit la culture de masse fabriquée en série, comme tout le reste, pour remplir les poches de quelques uns en décervelant tous les autres. »
Je remercie Dieu de m’avoir fait rencontrer toutes ces jeunes femmes. Elles sont de bonne qualité humaine, et nous avons en plus, avec Katia et Liéna, la possibilité de monter quelque chose ensemble, un groupe de chant traditionnel qui nous unit et peut faire boule de neige. Le fils des voisins, Aliocha, a dit à sa mère : « J’ai entendu Laurence chanter avec une amie, c’était si beau, mais je n’ai pas osé aller écouter… »
Rita adore Katia. Quand elle arrive, elle se met à moduler des sons extatiques jusqu'à ce qu'elle la prenne dans ses bras.
C'est un détail, mais virez l'isba du premier plan pour mettre un château américain, un cottage pseudo normand ou un hangard en plastique, et cette harmonie russe à la fois poétique, modeste et fantastique sera perdue à jamais.




dimanche 9 juin 2019

Procession sur le lac

C'était aujourd'hui le jour de la procession sur l'eau qui fête un événement fort ancien. Le prince Dmitri Donskoï avait cru mettre en sécurité à Pereslavl, sa femme bien aimée, la princesse Eudoxie et leurs enfants, pendant qu'il allait guerroyer contre les Tatars. Or ceux-ci sont remontés jusqu'à Pereslavl, et la princesse est allée se réfugier, avec sa famille, en barque au centre du lac qu'a recouvert un brouillard providentiel. En signe de reconnaissance, la princesse avait fait bâtir une église sur l'emplacement de laquelle se dresse à présent l'église neuve du Signe. 
On m'a signalé à la fin de la liturgie dominicale, qu'à cette occasion, une procession partirait de l'église consacrée à la princesse, devenue moniale et sainte sous le nom d'Euphrosyne, au monastère-musée Goritski, à midi, et arriverait à une heure à l'église des Quarante Martyrs de Sébaste, à l'embouchure de la rivière Troubej, puis le clergé irait en barque jusqu'au centre du lac pour en bénir les eaux.
Je n'ai même pas essayé, instruite par l'expérience, de suivre cette procession, comme me l'a dit Nathalia Mikhaïlovna, qui marche avec une canne comme la marquise de Grand-Air, "où voulez-vous aller avec vos jambes pleines d'arthrose? Vous croyez que je fais ça avec mes hernies discales?"
Je me suis donc rendue directement à l'embouchure, sur mon vélo. Mais les prêtres étaient déjà en train de voguer au loin, et pourtant, je n'étais pas en retard. Katia, qui voulait louer une barque pour les suivre, n'avait pas eu le temps non plus. Elle m'attendait avec une amie de Moscou, Sophia. 
La barque ne me paraissait pas stable du tout, et j'avais peur de verser avec mon sac et mon passeport dedans. Deux bonshommes se sont offerts pour faire une démonstration aux jeunes femmes censées ramer. L'un d'eux a cueilli une sorte de nénuphar pour chacune de nous, puis, de la rive, nous faisait des pouces levés pour exprimer son enthousiasme et ses encouragements. Je lui ai demandé si on pouvait se baigner sans problèmes dans la rivière, si elle n'était pas trop polluée: "Elle est très bien, et en plus, on vient de la bénir, qu'est-ce que vous voulez de plus?"
La procession revenait déjà, je voyais les croix, les chasubles, les icônes, derrière les naïades russes plantureuses en maillot, et les gosses qui sautaient partout. Nous ne regrettions plus d'avoir été en retard, car à la rame, nous ne serions de toute façon pas allées bien loin.
En réalité, l'eau de la Troubej est beaucoup moins inspirante que celle de la Vioska, mais il y a des canards, des mouettes, des libellules, et nager juste sous l'église, et devant le large du lac, ce n'est pas mal non plus. Des types nous ont aidées tout le long de notre parcours: "Dites, les filles, vous n'avancez pas beaucoup là...Vous voulez un coup de main?"
Et hop, un jeune homme baraqué saute dans la barque et nous conduit à grands coups de rames efficaces à bon port...
En revenant à ma voiture, j'ai croisé le cosaque Alexandre qui m'a sauté au cou: "Christ est ressuscité!
- En vérité, Il est ressuscité, mais je croyais qu'on ne le disait plus, on a clôturé la fête de Pâques...
- Mais si, on peut encore!" 
Et de me coller trois baisers sur la joue. C'est un paroissien de la cathédrale, qui a une femme et plein de petits cosaques. 
Après la liturgie, j'étais allée au café français, où j'avais vu mon pâtissier français préféré. Sa gentille épouse sud américaine reprend le restaurant japonais d'en face pour en faire un restaurant un peu toute orientation, simple et décontracté. Il m'a dit qu'il avait trouvé une autre fille qui travaillait pas mal, pour seconder Dacha qui, elle, a survécu a tout et est montée en grade, mais qu'elle avait déjà pris un congé parce qu'elle avait un pet de travers. "Ecoute, étant donné le contexte, peut-être que tu pourrais t'accommoder de ses absences, si elle travaille bien?
- Non, a dit le jeune décorateur des lieux, si on commence à tolérer des choses pareilles, ça va tourner à l'anarchie!
- Voilà pourquoi, ai-je conclu, je ne pourrai jamais diriger un business!"

on voit bien sur cette photo, comment la baraque façon hangar en plastique
dépare les abords de l'église autrefois bordée d'isbas pittoresques...

contraste!






Katia



Katia et Sophia

samedi 8 juin 2019

La ruche


J’ai regardé un documentaire intitulé « la Mission de la Russie », où un intellectuel élevé par le communisme, auquel il adhérait pleinement, et converti ensuite à l’Orthodoxie, exposait les idées qu’il a développées dans un livre du même nom.
Il expliquait qu’il avait autrefois l’impression d’appartenir à un pays unique et puissant dont il était fier, et que l’idée socialiste était inscrite dans le tempérament russe et dans le christianisme, son propos est donc de faire la synthèse des deux pour sauver son pays du capitalisme destructeur.
Que le capitalisme soit destructeur et prenne un tour absolument monstrueux, c’est à présent une évidence absolue. Pour dire le contraire, il faut soit participer à l’horreur capitaliste parce qu’elle vous est profitable, soit en être resté au capitalisme de papa, qui y participait aussi sans le savoir, d’ailleurs, dans la foulée de ce que j’appellerai l’économie traditionnelle. Qui plus est, ce capitalisme a le pouvoir pervers de prendre toutes sortes de formes, et on le voit à présent soutenu chez nous par la gauche, sous celle d’une espèce de libéral-bolchevisme acharné à détruire ce qu’il nous reste de beauté, de noblesse, de ferveur, d’authenticité, en bref, de sentiments humains, insupportables aux « Démons » qu’a si bien décrits Dostoïevski.
Cet homme, au demeurant sympathique et plein de bonnes intentions, a de l’URSS de son enfance une série d’images d’Epinal dans la tête. Mais dans un sens, je le comprends : tout le monde avait sa place dans  une société stable, c’étaient en quelque sorte les trente glorieuses des soviétiques : pas de guerre, plus d’arrestations pour un oui ou pour un non, l’ordre, une certaine vertu sociale, du moins dans les modèles familiaux et patriotiques proposés.  Personnellement, je pense que les destructions humaines et culturelles n’en valaient pas la chandelle, car si la révolution n’avait pas eu lieu, un pays qui avait les ressources de la Russie pouvait connaître un essor économique et civilisationnel remarquable. Sa population n’aurait pas été saignée par la guerre civile, les répressions, puis la guerre de 40, enfin en principe. Car il est possible que l’occident ait trouvé un autre moyen que la révolution pour abattre cet empire  trop différent.  Ou qu’il l’ait favorisée plus tard.
La question de savoir si l’occident capitaliste laisse le choix aux sociétés qui ne partagent pas ses valeurs est un autre vaste débat.  Pour l’heure, je me suis penchée sur celui que soulevait mon intellectuel à propos du présent de la Russie et de son avenir. Tout cela a eu lieu, il faut faire avec.
Le communisme est-il inscrit dans le tempérament russe ? Le tempérament russe est communautaire au sens où on l’était au moyen âge. Pas au sens de la fourmilière ou, comme le dit cet intellectuel, de la ruche, car la communauté humaine chrétienne est un ensemble de personnes distinctes. Mais en même temps, son image de la ruche n’est pas dénuée de vérité : elle représente un peuple de créatures unies par des liens familiaux autour de leur reine, ce qui n’est ni plus ni moins qu’une monarchie, où n’existent pas de partis, car tous, mus par ces liens fraternels mystérieux, coopèrent, et la reine est le cœur de cet organisme, garante de sa vie et du bien commun. Je suis bien persuadée qu’en effet, c’est bien un modèle social auquel les Russes aspirent. L’intellectuel dit alors que dans les ruches peuvent apparaître de fausses reines, qui engendrent des parasites, pour lesquels les ouvrières s’épuisent à travailler, et que Poutine est un leurre de ce genre.  Les gens croient voter pour un patriote, et la politique de son parti consiste à poursuivre la destruction du pays.  C’est une hypothèse que je n’exclue pas, la seule autre hypothèse plausible à mes yeux étant qu’il puisse être soumis à des chantages que nous ignorons. Mais peut-être que cela ne change rien au problème, car des termites sont manifestement au travail dans la société russe, et personne n’entreprend de désinfection.
Cependant, je ne crois pas à une restauration tsariste, ni même à celle d’un modèle traditionnel du passé, même si j’estime qu’on pourrait y trouver des directions et des idées.  Et je ne souhaite pas non plus une restauration communiste, je ne la crois d’ailleurs pas possible dans sa forme initiale. De ce côté-là, mon intellectuel non plus, car il regrette les persécutions religieuses inouïes qui ont eu lieu alors, pas seulement religieuses d’ailleurs. Pour ce qui est des modèles du passé, Soljenitsyne s’était penché sur la question dans son livre « Comment restaurer notre Russie ».  Je crois en tous cas que le capitalisme libéral est incompatible avec l’esprit russe, je pense qu’il est incompatible avec tout esprit traditionnel normal, et qu’en effet,  si la Russie ne doit pas devenir un espace démembré et chaotique de colonisation sino-occidentale, et survivre encore dans un état décent juqu’à la fin des temps, il est nécessaire d’opérer une réconciliation nationale qui fasse à nouveau du pays ce tout organique qui est son état naturel et le modèle qu’il peut offrir au reste du monde.
Cette réconciliation nationale, j’en avais vu la manifestation dans les premiers défilés du régiment immortel, où la nation toute entière communiait dans la fierté de la célébration de la victoire, par delà les clivages politiques et les ressentiments. Mais ce phénomène est largement récupéré par des néostaliniens de plus en plus virulents, qui justifient les pires horreurs du communisme pour blanchir leur idole moustachue. Or qui dit pardon, dit repentance, comment pardonner à ceux qui  profanent la mémoire d’innombrables victimes innocentes, toutes censées être des traîtres ou des erreurs de parcours sans importance ? S’il y a une chose que je n’admettrai jamais, c’est de clamer avec tous ces gens que ces victimes méritaient leur sort. C’est aussi impossible à mes yeux que de donner au Christ le baiser de Judas.
Il est un travers dans lequel il est tentant de tomber et auquel je ne peux succomber jusqu’au bout, c’est de fermer les yeux sur ce qui paraît nuire à la défense d’une cause. C’est ce que font l’ensemble des gens qui épousent une cause politique. C’est ce que j’appelle la pensée systématique, source de bien des malheurs.
Or donc, il faudrait débarrasser la Russie (et à mon avis le monde entier) du capitalisme libéral et de tous ses avatars, mais comment, et qui va jouer le rôle de la Reine ? Et quelles seraient les règles du jeu de la nouvelle ruche ?
Il se peut que la transformation de la Russie en un grand Donbass assiégé fasse émerger ce nouveau modèle social. Or c’est une éventualité que je n’exclue pas non plus.  C’est en tous cas ce que ses ennemis cherchent à obtenir. Et je me demande si la population réagira comme au Donbass, beaucoup de gens autour de moi pensent que oui.
A moins qu’on n’arrive à la pourrir complètement de l’intérieur, en choyant les parasites et en épuisant les ouvrières, mais je pense que cela risque quand même de ne pas être si simple.




vendredi 7 juin 2019

L'été...

Ce matin, n'ayant plus rien à donner à manger à Ritoulia, je lui ai fait bouillir des pelmeni. Elle adore ça. Elle est même allée en planquer quelque part qu'elle a ressorti par la suite. Mais je ne peux pas la nourrir de pelmeni et de poulet en permanence...
Il fait un vrai temps de plein été, 30°. J'ai pris Ritoulia et suis allée me baigner à la Vioska, au village de Koupanskoïé. L'endroit n'est pas spectaculaire, mais très agréable, avec du sable, de l'eau propre et profonde, et surtout vivante. Cette petite rivière qui sort du lac est encore un organisme sain. On y nage parmi les poissons, les serpents d'eau, parfois, les mouettes et ce que je crois bien être des macreuses, du moins cela ressemble à ce que mon beau-père appelait ainsi sur les bords du Rhône. Et puis de superbes libellules, qui rappellent des bijoux art-nouveau. L'eau est fraîche, douce, brillante, les poissons y tracent de scintillants arcs de cercle, ils chassent ou ils jouent. Sur les berges, les roseaux ondulent au vent, les iris d'eau fleurissent encore un peu...
Rita n'était pas enthousiasmée par l'expérience. Je l'avais bien entendu trempée dans la rivière, pour la rafraîchir, et elle a subi cela avec résignation. Pendant tout le temps où j'ai nagé, elle me regardait depuis la rive avec autant de perplexité que d'inquiétude. Quand je suis revenue manger mon pique-nique, elle s'est roulée dans le sable et elle est restée à cligner d'un oeil, avec un air plein de désapprobation et d'adoration mêlées: que ne faut-il supporter pour rester avec sa patronne...
J'ai fait une petite aquarelle. Je ne dessine pratiquement plus depuis que je suis à Pereslavl, parce que j'écris beaucoup, et tout d'un coup, je réalisais le changement complet d'ambiance, entre mes aquarelles de Cavillargues et celle que j'étais en train de faire de cette rivière nordique, si plane, largement ouverte au ciel immense et à ses nuages blancs libres et erratiques, avec ses teintes vaguement violacées, ses forêts lointaines et sombres, et ses berges luxuriantes, ce n'était vraiment pas le saut du Sautadet ni les gorges de l'Ardèche.
Il y avait des gens, mais plutôt tranquilles et bienveillants, et en nombre tout à fait supportable.
Je pensais au moment où mon héros Fédia se baigne dans le lac pour la fête d'Ivan Koupala, qui aura lieu dans quelques jours, et à la couronne d'iris des marais que lui pose sur la tête la sorcière Paracha...
A l'époque, cela devait être si incroyablement beau, toute cette région, et si vivant, giboyeux, plein de chants et de carillons...
La Russie étant énorme, et les cours d'eau y abondant, il est encore assez facile de trouver de beaux endroits pour se baigner. En partant, j'ai ramassé un sac un plastique pour le jeter à la maison. Il me faudra essayer la prochaine fois la "plage moscovite", parce qu'il y a de grands arbres, que Rita pourra se mettre à l'ombre, et qu'il y a de beaux points de vue à dessiner. Katia veut m'accompagner. Nous planifions aussi le lac Nero, à Rostov, avec la vue sur le monastère...
Katia m'est si proche que j'en suis étonnée. Elle aurait pu être ma fille, par le caractère. En plus doux, quand même, il y a en moi une espèce de virilité que la mère Hypandia a bien senti dans mon livre. Elle me disait qu'elle avait des relations avec sa mère qui étaient autant amicales que filiales, oui, j'ai connu cela...
Pour l'Ascension, à l'église, on m'a remis un paquet de la dame qui m'avait reproché de ne pas être venue à la distribution de l'Artos par l'évêque: de petits cubes de pain bien découpés, bien secs, pour être consommés facilement au besoin. Le tout dans une boîte en céramique en forme de prosphore... J'ai eu honte de moi, car je la traite de dictateur, et en effet, c'en est sûrement un, mais très bien intentionné!

ma jungle...

on veut photographier les iris d'eau et un emmerdeur arrive...

la boîte en forme de prosphore. Merci, excellente Nathalia
Mikhaïlovna!

mercredi 5 juin 2019

Clôture de la fête de Pâques à Rostov.

Ces jours-ci, j'ai regardé une magnifique série télévisée russe sur les Démons de Dostoïevski. Les jeunes acteurs qui incarnent les personnages du roman de façon médiumnique ont été interviewés par la chaîne culturelle. Celui qui jouait l'abominable Piotr Verkhovenski a commencé par proclamer sa foi en l'esprit russe et en la renaissance de son pays. Il a expliqué qu'en jouant ce rôle, il s'était purgé de ses propres démons. Ces garçons étaient si profonds et si beaux, et abordaient de tels sujets, que je comprenais encore mieux, et avec émotion, pourquoi j'avais été fascinée dès mon jeune âge par leur pays, et pourquoi j'avais finalement décidé d'aller y finir mes jours. Et cela malgré les démons toujours à l'oeuvre, que je vois grouiller dans les commentaires des sites orthodoxes, trolls libéraux ou néostaliniens, ou néopaïens, égarés ou malfaisants, ricanants et haineux comme leurs équivalents néonazis ukrainiens, ou chez nous gauchistes, islamistes et antifas. C'est que nous ne sommes plus armés pour identifier nos démons, en France, même ceux qui croient en Dieu trouvent obscurantiste de parler du diable. Alors qu'en Russie, on ose en parler, et la lutte se poursuit. En Russie, ceux qui croient savent à qui ils ont affaire, et l'on ne se heurte pas sans cesse à des faux-semblants. A la limite, même les démons y sont plus francs et plus lucides sur eux-mêmes.
Jamais on n'aurait produit une telle série en France, et jamais on ne l'y montrera. Et jamais on n'y fera une telle émission, jamais je n'entendrai de jeunes acteurs discuter de cette manière. Je voyais apparaître des liens profonds entre l'acteur et l'écrivain, l'acteur comme l'écrivain, quand ils sont sincères, laissent arriver et se révéler en eux  les passions et les aspirations humaines à la façon d'un bain photographique, ils endossent les péchés des autres, comme Mitia dans les frères Karamazov, et comme Dostoïevski lui-même. Ils deviennent eux-mêmes un théâtre, celui de la lutte éternelle des ténèbres et de la lumière.
Je suis tombée il y a quelques temps sur cette citation du starets Sophrony:
Par la repentance, nous ne vivons pas notre propre drame individuel : Nous vivons, en nous-mêmes, la tragédie de toute l'humanité, le drame de son histoire depuis le commencement des temps.
Katia et Nadia m'avaient offert d'aller à Rostov pour la liturgie épiscopale de clôture de la fête de Pâques à la cathédrale de la Dormition. Elle date du XVII° siècle, et garde un très beau style russe original, comme tout le Kremlin qui est à côté. Elle est également dans un piteux état, mais en voie de restauration, comme en témoignent des échafaudages. Mais les chasubles flamboyantes du clergé, les lampes et les cierges, prenaient un éclat particulier sur ce fond ravagé, il existait entre ces restes malmenés par les démons et ceux qui les avaient récupérés pour y célébrer une harmonie organique, qui n'est pas toujours aussi apparente dans les églises mal restaurées, par exemple. Le choeur était de grande qualité, on m'a dit plus tard que c'était le choeur du séminaire de Yale, en Amérique. Je priais. Des tas de choses me traversaient l'esprit, mais sans m'empêcher de prier, au contraire, elles entraient dans ma prière, et je pensais à la citation du père Sophrony, je me sentais participante de la grandeur humaine et de sa terrible chute, je prenais en moi tout ce que j'avais vécu et aimé mais aussi détesté.
On a prié pour l'Ukraine, pour la réconciliation et l'arrêt de la guerre civile et de l'effusion de sang. Des gens hochaient la tête. autour de nous résonnaient des chants pascaux, car c'était la clôture de la fête, et les fidèles répondaient avec ferveur, pour la dernière fois de l'année, "en vérité, Il est ressuscité" aux appels des prêtres: "Christ est ressuscité". Et puis le bourdon s'est mis à sonner et c'est devenu inexprimable, quelque chose qui se passait à la fois aujourd'hui et hier, car c'est une cloche ancienne, pré révolutionnaire, avec une voix vibrante, profonde et pure, faite pour nous soulever tous, morts et vivants, une voix pareille à la trompette du jugement dernier, comme dans le vers spirituel russe:

Ils viennent, ils viennent, les derniers siècles
Les sources des rivières vont se tarir
Le soleil et la lune vont s’assombrir
Les claires étoiles tomber sur la terre
Et l’archange Michel va surgir
Il va sortir sur la haute montagne
Et jouer de sa trompette d’or :
Debout, les vivants et les morts…[1]

Autrefois, toute la Russie vibrait de cloches pareilles, qui assourdissaient les étrangers, dont le coeur n'était pas en résonance, les Allemands et les Anglais déjà coupés des sources lumineuses, mystérieuses auxquelles mon âme, ici, se désaltère. 
Ensuite, nous sommes tous partis en procession, portés par ce carillon incomparable, car Rostov est la capitale du carillon russe, c'est là qu'ils sont traditionnellement les plus beaux, à travers le kremlin féerique, et le long du lac Nero, vers le monastère saint Jacques. Je voyais encore beaucoup de très jolies maisons, non seulement des isbas, mais des immeubles du XVIII° ou XIX° siècle, tout cela est délabré, et souvent déparé par toutes sortes d'épaves, mais cette ville pourrait facilement redevenir un joyau. "Dire que toute la Russie devait être comme cela", a soupiré Katia. Elle portait Rita dans son sac, et elle m'a vite distancée, car la procession galopait littéralement, et je traînais la patte. J'ai remarqué qu'elles sont toujours menées au pas de charge, quand il s'agit de faire le tour de l'église, je ne les suis même plus, j'attends leur retour, mais sur deux, trois kilomètres ou plus... Pourquoi faut-il aller si vite, ne laissant pas le temps de prier, chanter, et contempler, aussi, sans compter que de nombreuses vieilles bonnes femmes comme moi ont du mal à suivre...




[1] Идут идут последние веки
Иссохнут, иссохнут источники реки
Солнце и месяц помелкнут
Ясные звезды на землю скатятся
Взойдет, взойдет Михайл архангел
Узойдет, на гору крутую
Затрубит трубу золотую

Le carillon de la cathédrale


dans la cathédrale

fresque d'origine au dessus de l'autel

l'iconostase 


sortie du clergé





le clocher




Katia me précède encore

Le long du lac, je ne suis plus du tout! Je n'entends même plus les chants et les prières...

Le monastère


une belle isba

et cet ornement ravissant


Ce bâtiment date de 1914. A l'époque, on avait du goût, et il s'intègre très bien.
Il était destiné à devenir une hôtellerie, il a été un hôpital militaire, puis la révolution a éclaté...
Il ferait un hôtel superbe, à côté du monastère, mais cela n'a pas l'air d'effleurer
qui que ce soit. Mieux vaut le laisser pourrir pour le remplacer par un hôtel arménien
affreux, comme à Pereslavl Zalesski.... 




samedi 1 juin 2019

Liturgie des ruines


Katia et Nadia sont venues hier soir. Elles sont extrêmement bonnes, je remercie Dieu de me les avoir fait rencontrer, mais on dirait qu'il prend soin de rassembler les âmes soeurs, en nos temps difficiles. J’ai chanté avec Katia dans le jardin, nous essayons de préparer quelque chose pour la fête de la Trinité à Serguiev Possad.  Nous chantons bien ensemble, et hier, nous arrivions à le faire avec la vielle, cela me donne de la motivation. Je vais peut-être trouver en Katia une partenaire régulière, car chanter ou jouer seul n’est pas naturelJ’ai beaucoup d’affinités avec Katia, elle est profonde, douce, franche, et malheureusement, seule. Avant, les filles comme elle, ou comme sa copine Nadia étaient le genre qu’on épousait, alors que maintenant, on les fuit, car il est si facile d’en trouver avec qui on ne s’engage pas, avec qui on peut se conduire n’importe comment, jusqu’au jour où l’on se fait cravater par un barracuda en jupon. Katia n’est pas un barracuda…


Donc nous chantions dehors, comme il est naturel de le faire, dans mon jardin, avec les nuages qui passent, les feuillages qui bougent et les fleurs qui s’épanouissent, et cela me paraissait une sorte de petit miracle: l'air résonnait de chants russes oubliés de ceux qui vivent ici, les chants de leurs ancêtres.

Auparavant, le matin, j’avais assisté à une liturgie dans l’église du saint métropolite Pierre, dont c’était la fête votive. Quand j’ai monté l’escalier délabré, j’ai vu deux cierges dans la pénombre témoigner d’un espoir.

Dire qu’il a suffit de cent ans de malveillance et d’incurie pour mettre cette belle église dans cet état…

Le tsar Ivan l’a fait construire l’année de sa mort, il est possible qu’elle n’ait jamais eu de fresques d’origine.

J’aimerais naturellement la voir réparer, mais les liturgies dans les églises ravagées ont quelque chose de particulièrement beau et émouvant. Les dorures, les brocarts éclatants des chasubles, les flammes des cierges prennent un relief mystérieux sur le fond des murs lépreux, à travers les ouvertures vides de l’iconostase, la lumière qui tombe des fenêtres béantes transfigure le déroulement des rites, tout cela nous met plus près du ciel, et nous avons même eu la visite obstinée d’un pigeon au sombre plumage ecclésiastique, qui voltigeait à travers des nuages d’encens percés de grands rayons obliques, comme si nous avait adressé un messager ailé le prêtre assassiné, saint Constantin de Pereslavl.

Et je me sentais profondément associée à tout cela, au prêtre martyr, à ceux qui célébraient ce jour-là, aux fidèles assemblés, et au fondateur de l’église pour qui nous avons prié, le tsar Ivan, qui m’a accompagnée toute ma vie, et qui me semblait présent à mes côtés, dans ce bâtiment qu’il a fait édifier, et aussi aux artisans à qui il avait confié le travail et qui ne pouvaient imaginer que leur église serait traitée un jour de cette sinistre manière. Je ressentais avec douleur le féroce déchaînement de cette immense profanation  mondiale sans répit, depuis Notre Dame et le « geste architectural novateur » que médite la camarilla mafieuse au pouvoir en France, jusqu’à la misère actuelle des églises de Pereslavl, de cette église qu’un tsar couvert de péchés, avait trouvé le moyen de concevoir à la fois si harmonieuse, si pure, et si modeste, avec peut-être tout ce qu’il restait d’intact dans son âme sombre, et quelque chose d’intact y demeurait encore, puisqu’il a été à l’origine de tant de beauté, alors que les oligarques actuels ne dégagent que de la hideur grandiloquente, à l’image de leurs personnes banalement et vulgairement maléfiques, sans aucune lueur.

Je ne pouvais m’empêcher de pleurer sur notre chute vertigineuse, et sur ce qui nous attend encore de peut-être bien pire.

Après la liturgie, j’ai rejoint Irina Dadykina, l’arrière-petite-nièce du prêtre martyr , Yelena Chadounts, du musée de Pereslavl  et quelques autres personnes au monastère saint Théodore. Irina a présenté le livre qu’a écrit Alexandre Orlov sur son ancêtre et ses descendants. Une partie de la famille avait émigré en France, et Irina l’a retrouvée, faisant un peu le chemin d’Alexandrina Viguilianskaïa, avec ses propres ancêtres, et traçant de cette manière, un tableau complémentaire du destin russe général.

Yelena a expliqué que déjà en 1918, éclataient dans la région des révoltes de tous les côtés et dans toutes les couches sociales, réprimées radicalement par la terreur rouge : les gens avaient compris, mais trop tard, où ils s’étaient laissés entraîner.

Alexandre a évoqué les répressions et leur possible renaissance, avec les néostaliniens qui relèvent la tête et cherchent à les justifier pour blanchir leur idole.

Je regardais dans le livre consacré à saint Constantin ces visages si dignes et si intenses des Russes d’alors. Comme il a fallu peu de temps, pour briser presque complètement  ce peuple jusque là irréductible, l’arracher à tout ce qui faisait son originalité, son unité organique…  Il a suffi de frapper avec une cruauté, une méchanceté méthodiques, scientifiques, inlassables et sans pitié pendant quelques décennies, comme on transforme au bordel une jeune fille en radasse hagarde, à force de coups et de promesses fallacieuses alternés. Et je pensais à un autre peuple dur à cuire, les Irlandais, que l’Union Européenne est finalement en train de dissoudre malgré des siècles de résistance à son anéantissement, aux Serbes, aux Grecs, aux Roumains dont on détruit la culture paysanne sauvegardée, à ce qu’on est en train de nous faire à tous, à notre horrible avenir, à notre possible répugnante fin, et je suppliais Dieu de nous sauver cette dernière arche que je suis venue rejoindre.

On a tort de comparer Ivan le Terrible à Staline, il a fait considérablement moins de victimes, et il avait au cœur l’église du saint métropolite Pierre, et celle de saint Théodore Stratilate, tout ce qu’il a laissé à Pereslavl Zalesski et ailleurs, et qui témoigne encore de la sainte Russie dans la Russie post-moderne, comme une photo d’enfance dans le sac à main de la fille déshonorée dont je parlais plus haut.
Avec Nadia et Katia, nous avons repris la discussion qui avait eu lieu au monastère saint Théodore, évoqué l'ignorance des jeunes, leur haine de la Russie, comparable à celle des gauchistes pour la France: une génération de petits zombies qui ne savent plus ni d'où ils viennent, ni où ils vont. "Et pourtant, dit Katia, regardez tout ce qui nous arrive du Donbass: les gens étaient là bas dans le même état qu'ici, et l'adversité leur a rendu leur grandeur, leur solidarité, leur pureté. eux sont prêts à mourir pour défendre leur terre..
- Et les croyants du métropolite Onuphre, en  Ukraine: on dirait des gens d'avant la révolution, ou ceux qui en ont été les victimes..."

C'est pourquoi certains en arrivent à espérer que la guerre latente que mène l'occident à la Russie se déchaîne enfin, pour régénérer le peuple avant qu'on n'ait réussi à le pourrir jusqu'au bout. Comme en Europe, où l'on n'a plus qu'à lâcher des hordes d'assassins et de violeurs sur des populations sans aucune réaction, la transformant toute entière, comme je le crains depuis vingt ans, en Kosovo gigantesque, en proie à l'anarchie voulue par les mafias.


Photo éparchie de Pereslavl Ouglitch


jeudi 30 mai 2019

Ma meilleure critique




Je me permets de publier la lettre que m'a envoyée mère Hypandia, higoumène du monastère de Solan, car elle me comble de joie par sa pénétration et sa justesse, et de toutes les critiques qu'on m'a faites, c'est pour moi la plus précieuse. C'était aussi celle que je redoutais le plus, avec celle du père Valentin.


Fédia et son fils Vania, gribouillis de l'auteur

Je vous remercie de nous avoir fait envoyer votre livre de Yarilo. J'aurais aimé vous répondre rapidement, car c'est un très beau livre et ce fut une joie de le découvrir, mais c'était impossible d'aller vite dans sa lecture car il ne se comprend bien que si on le lit intégralement. Tout s'y tient, et il faut se laisser entièrement guider. Je comprends que cela fut un grand travail pour vous et surtout que vous y avez mis ce qui venait du plus profond de vous-même.
Dieu vous a donné une belle écriture, nous le savions déjà par Lueurs à la dérive qui  nous l'avait fait connaître, et les textes bibliques que vous citez dans ce nouvel ouvrage, dans la langue de Lemaître de Sacy ou celle de notre bienheureux père Placide, s'enchaînent sans contraste, sans effort à l'intérieur de votre propre récit. C'est une joie!
Le tout forme un texte envoûtant tant les multiples personnages sont présents, vivants, dans un mélange indissociable de bien et de mal (à l'exception peut-être d'un seul, Maliouta Skouratov, tellement enfoncé dans le mal qu'il semble que pour le décrire, il était impossible de trouver quoi que ce soit qui puisse lui assurer un peu d'épaisseur humaine: il est tellement maléfique qu'il n'y a plus de personne en lui, comme s'il avait déjà revêtu la silhouette fantomatique des démons et des damnés). Mais tous les autres protagonistes sont bien vivants et on instaure avec eux une relation d'intimité, d'estime ou d'amitié, de peur ou de compassion. Leur présence naît de la qualité des multiples dialogues dans lesquels ils s'étudient, analysent et nous font part de leurs passions, en nous renvoyant symboliquement aux nôtres.
Après la violence du combat mené par Fédia, on pouvait craindre que sa conversion apparaisse comme une pièce rapportée, un happy end à l'eau de rose bon marché. En fait, pas du tout! La vie au monastère du Lac Blanc garde le ton viril des combats précédents. Il rappelle le "même si j'en meurs, je ne Le quitterai pas" de Job. Et cette mort est à la fois lumineuse et douloureuse.
Comment un tel livre va-t-il être reçu dans notre occident porté à la facilité? Vous n'y faites aucune concession, et vous avez raison! Mais on comprend que votre volonté d'atteindre le plus profond du cœur humain a dû vous demander un grand effort. Et je ne sais comment le public va réagir.
Il y a par ailleurs un autre aspect des choses qui aurait pu appeler une sorte d'annexe ou de note développée, bien que l'ouvrage soit déjà épais. Les occidentaux ne connaissent guère l'histoire de la musique russe avant le XIX° siècle. Nous nous sommes plongées dans une encyclopédie pour comprendre ce qu'étaient les gouzli et en quoi ils étaient des instruments encore magiques au XV° et au XVI° siècles. Et comment le chant sans autre instrument touche les personnages si profondément. A l'occasion, on aimerait en savoir un peu plus.






Dima Paramonov chante sur un modèle de gousli du XI° siècle la byline (épopée) de Volga et Mikoula Selianovitch


Le vers spirituel "Mon âme pécheresse" que le tsar aime à entendre chanter par Varia Basmanova, et qui est probablement du XVI° siècle, par l'ensemble Sirin

Le vers spirituel "la Mer Océane" chanté aux gousli par Dima Paramonov. La version française est de moi.