Je suis rentrée de Vologda sous la pluie battante, après une seconde visite au merveilleux kremlin. Je n'ai pu voir le musée d'art populaire ni la collection d'icônes, car c'est fermé les lundi et mardi, mais j'ai admiré une jolie construction de bois bénévolement repeinte par les habitants qui se proposent, Elle offrait le spectacle de ces dessus de cheminées et gouttières ornementés et ajourés dont on commence à voir des exemples à Pereslavl. Puis j'ai vu les très belles fresques de la cathédrale, qui datent du XVII° siècle, mais gardent toute la transparence et la sobriété des périodes antérieures. La gardienne, très aimable, m'a dit que Vologda était encore beaucoup plus belle, qu'on l'avait, malgré les apparences, énormément détruite et abîmée, et les gens aussi étaient bien meilleurs. Cependant, il m'est revenu à l'esprit que j'avais fait une rapide visite de la ville déjà en 97, dans le cadre d'un pèlerinage à Kirillobelozersk, et elle ne m'avait pas du tout laissé cette merveilleuse impression, elle m'avait paru très délabrée. J'avais été reçue dans un monastère ravagé, qui avait servi de camp, avec l'habituel contingent de squelettes au crâne perforé trouvés au cours des travaux de restauration, et enterrés dans une fosse commune sous une croix orthodoxe. Le hiéromoine en charge de l'endroit n'était déjà plus de ce monde, il flottait dans l'atmosphère pluvieuse et sinistre, revêtu de sa chasuble de Pâques, et ne restait suspendu parmi nous que grâce au mouvement pendulaire et tintinnabulant de son encensoir. J'ai même retenu son nom: le père Vassili.
La ville telle que je l'ai vue cette fois ne reflète pas un passé tsariste de barbarie, de ténèbres et de misère. Ces maisons de bois délicatement et délicieusement sculptées, avec leurs balcons, leurs vérandas, ces nombreuses et féeriques églises, impliquent plutôt un réel raffinement, un art de vivre, à la fois modeste et poétique, et laissent pressentir une vie calme, rêveuse, et même nonchalante, avec des commères qui prennent le thé, des marchands qui font des gueuletons dans les traktirs avec les tsiganes, des garçons en chemise rouge qui taquinent la balalaïka et l'accordéon en cherchant à séduire des filles moqueuses à l'affût d'un célibataire. Un tableau de Kustodiev en somme...
L'autre conclusion, c'est qu'en dépit de ce qu'on a pu me dire sur les destructions qui ont quand même eu lieu, et je le crois, la ville s'est bien relevée depuis les années 90. Les gens n'ont pas l'air d'y vivre si mal que cela. Ils sont habillés normalement, ils sont paisibles, plutôt souriants, ils ont des magasins, des cafés, des parcs, et tout est propre et bien tenu. La périphérie est hideuse, mais je pourrais aussi bien dire cela de Paris ou de Lyon... Certes à Rostov, personne ne semble se soucier de restaurer les jolies maisons ni d'entretenir les routes, même chose à Pereslavl, mais cela dépend peut-être beaucoup de l'administration locale, si elle est relativement honnête et cultivée ou bien corrompue et ignare... Bref, discutant de nos diverses observations, nous en sommes, arrivées, Katia et moi, à la conclusion que Poutine venait, à Vologda, de gagner quelques points de popularité dans notre rating personnel.
Nous sommes ensuite allées au festival de folklore dans un espace-musée où l'on a rassemblé des isbas, des moulins, des chapelles et églises en bois arrachées aux villages plus ou moins abandonnés où elles risquaient de brûler ou tomber en poussière. Chacun de ces bâtiments est magnifique, avec cette poésie nordique archaïque qui m'enchante, mais l'on sent que leur accumulation n'est pas très naturelle. J'étais fatiguée, et le règlement interdisant l'entrée aux chiens, je cachais Rita dans son sac, ne pouvant la laisser dans la voiture au soleil, et je la sortais périodiquement en contrebande, cela ne me facilitait pas la visite. Il y avait une grande quantité d'ensembles folkloriques et de simples visiteurs habillés de façon traditionnelle, qui me paraissaient vraiment transfigurés par rapport à ceux qui déambulaient dans leurs affreux oripeaux contemporains, comme me l'a fait observer Katia, ce sont ceux-là qui avaient l'air déguisés, et les jeunes gens "russes" étaient si beaux... le vêtement des filles résolument féminin, seyant et pudique à la fois, celui des garçons, viril et éclatant. Et leur comportement même en était différent, les garçons devenaient des seigneurs, et les filles des princesses, les uns draguant gentiment les autres. J'observais les danses: comme les chants, elles sont un mode de communication, qui met les gens en relation, on change perpétuellement de partenaire, de bras, de mains, on fait la ronde, on se croise, se prend, se déprend, on se met en valeur à tour de rôle, en venant faire un solo au centre, et en revenant ensuite dans le groupe, où tout le monde a sa place.
J'avais à mes côtés une brave dame venue avec son groupe. "Cela me fait plaisir de voir toute cette jeunesse, lui dis-je, et qu'ils sont beaux, qu'ils ont de bons et clairs visages...
- Oui, chez nous, on essaie activement de faire renaître tout cela. Et il faut dire que contrairement à d'autres endroits du pays, nous avons encore des paysans. Cela dit, nous manquons d'accordéonistes...
- Mais j'ai vu plein de jeunes accordéonistes, au stage, hier...
- Nous n'en avons pourtant pas assez."
J'ai brusquement repéré parmi les divers artisans Sergueï le potier, que j'avais rencontré à Férapontovo l'an passé et qui m'avait offert deux ou trois choses. Il m'a invitée à venir m'asseoir sur son banc et nous avons discuté. Il est très seul, et pensait même partir en Hongrie, pays de son père, où il a un peu de famille. "Qu'iriez-vous faire là bas dans l'Europe Unie maudite? La Hongrie résiste, mais pour combien de temps?
- L'appel de la patrie...
- Mais votre mère était russe, vos poteries sont russes, votre patrie est aussi ici..."
Nous avons parlé de choses et d'autres et des filles jolies et pleines de qualités intellectuelles et morales qui ne trouvent pas preneur, à moins de tomber dans une marmite de folklore quand elles sont petites. "Oui, me dit-il, c'est ainsi, de nos jours, ce n'est pas compréhensible, à moins que ces filles n'aient quelque chose qui ne va pas, ou bien peut-être, ce sont les hommes qui ont dégénéré. Ce sont peut-être les hommes. Moi, par exemple, je suis seul. Mais qui viendrait s'installer dans mon trou?"
Là encore, le spectacle de ces grandes isbas, à l'intérieur comme à l'extérieur, ne colle pas du tout avec la légende bien établie du peuple obscur et misérable à qui de géniaux intellectuels sont venus apporter, au bout des fusils et des mitraillettes, les bienfaits de l'instruction publique obligatoire, des concerts, des musées, et des clapiers fleuris en béton dans la périphérie des villes . Je suis même de plus en plus en colère contre les peintres du mouvement des peredvijniki, et tout leur attirail du pauvre moujik pataugeant dans la boue avec ses enfants affamés. Bien entendu, je ne pense pas que la société russe ait été alors exempte de misère ou d'injustice, car la société parfaite n'est pas de ce monde, mais il y a des gens qui, lorsqu'ils ont une idée fixe politique, ne voient plus que ce qui peut la confirmer, et parfois même l'inventent purement et simplement. Cela me rappelle la nouvelle de Zinaïda Guippious "la Folle", où des progressistes "s'attaquent" au sauvetage des "paysans obscurs" en méprisant d'emblée et par principe tout ce qui peut provenir d'eux.
La ville telle que je l'ai vue cette fois ne reflète pas un passé tsariste de barbarie, de ténèbres et de misère. Ces maisons de bois délicatement et délicieusement sculptées, avec leurs balcons, leurs vérandas, ces nombreuses et féeriques églises, impliquent plutôt un réel raffinement, un art de vivre, à la fois modeste et poétique, et laissent pressentir une vie calme, rêveuse, et même nonchalante, avec des commères qui prennent le thé, des marchands qui font des gueuletons dans les traktirs avec les tsiganes, des garçons en chemise rouge qui taquinent la balalaïka et l'accordéon en cherchant à séduire des filles moqueuses à l'affût d'un célibataire. Un tableau de Kustodiev en somme...
L'autre conclusion, c'est qu'en dépit de ce qu'on a pu me dire sur les destructions qui ont quand même eu lieu, et je le crois, la ville s'est bien relevée depuis les années 90. Les gens n'ont pas l'air d'y vivre si mal que cela. Ils sont habillés normalement, ils sont paisibles, plutôt souriants, ils ont des magasins, des cafés, des parcs, et tout est propre et bien tenu. La périphérie est hideuse, mais je pourrais aussi bien dire cela de Paris ou de Lyon... Certes à Rostov, personne ne semble se soucier de restaurer les jolies maisons ni d'entretenir les routes, même chose à Pereslavl, mais cela dépend peut-être beaucoup de l'administration locale, si elle est relativement honnête et cultivée ou bien corrompue et ignare... Bref, discutant de nos diverses observations, nous en sommes, arrivées, Katia et moi, à la conclusion que Poutine venait, à Vologda, de gagner quelques points de popularité dans notre rating personnel.
Nous sommes ensuite allées au festival de folklore dans un espace-musée où l'on a rassemblé des isbas, des moulins, des chapelles et églises en bois arrachées aux villages plus ou moins abandonnés où elles risquaient de brûler ou tomber en poussière. Chacun de ces bâtiments est magnifique, avec cette poésie nordique archaïque qui m'enchante, mais l'on sent que leur accumulation n'est pas très naturelle. J'étais fatiguée, et le règlement interdisant l'entrée aux chiens, je cachais Rita dans son sac, ne pouvant la laisser dans la voiture au soleil, et je la sortais périodiquement en contrebande, cela ne me facilitait pas la visite. Il y avait une grande quantité d'ensembles folkloriques et de simples visiteurs habillés de façon traditionnelle, qui me paraissaient vraiment transfigurés par rapport à ceux qui déambulaient dans leurs affreux oripeaux contemporains, comme me l'a fait observer Katia, ce sont ceux-là qui avaient l'air déguisés, et les jeunes gens "russes" étaient si beaux... le vêtement des filles résolument féminin, seyant et pudique à la fois, celui des garçons, viril et éclatant. Et leur comportement même en était différent, les garçons devenaient des seigneurs, et les filles des princesses, les uns draguant gentiment les autres. J'observais les danses: comme les chants, elles sont un mode de communication, qui met les gens en relation, on change perpétuellement de partenaire, de bras, de mains, on fait la ronde, on se croise, se prend, se déprend, on se met en valeur à tour de rôle, en venant faire un solo au centre, et en revenant ensuite dans le groupe, où tout le monde a sa place.
J'avais à mes côtés une brave dame venue avec son groupe. "Cela me fait plaisir de voir toute cette jeunesse, lui dis-je, et qu'ils sont beaux, qu'ils ont de bons et clairs visages...
- Oui, chez nous, on essaie activement de faire renaître tout cela. Et il faut dire que contrairement à d'autres endroits du pays, nous avons encore des paysans. Cela dit, nous manquons d'accordéonistes...
- Mais j'ai vu plein de jeunes accordéonistes, au stage, hier...
- Nous n'en avons pourtant pas assez."
J'ai brusquement repéré parmi les divers artisans Sergueï le potier, que j'avais rencontré à Férapontovo l'an passé et qui m'avait offert deux ou trois choses. Il m'a invitée à venir m'asseoir sur son banc et nous avons discuté. Il est très seul, et pensait même partir en Hongrie, pays de son père, où il a un peu de famille. "Qu'iriez-vous faire là bas dans l'Europe Unie maudite? La Hongrie résiste, mais pour combien de temps?
- L'appel de la patrie...
- Mais votre mère était russe, vos poteries sont russes, votre patrie est aussi ici..."
Nous avons parlé de choses et d'autres et des filles jolies et pleines de qualités intellectuelles et morales qui ne trouvent pas preneur, à moins de tomber dans une marmite de folklore quand elles sont petites. "Oui, me dit-il, c'est ainsi, de nos jours, ce n'est pas compréhensible, à moins que ces filles n'aient quelque chose qui ne va pas, ou bien peut-être, ce sont les hommes qui ont dégénéré. Ce sont peut-être les hommes. Moi, par exemple, je suis seul. Mais qui viendrait s'installer dans mon trou?"
Là encore, le spectacle de ces grandes isbas, à l'intérieur comme à l'extérieur, ne colle pas du tout avec la légende bien établie du peuple obscur et misérable à qui de géniaux intellectuels sont venus apporter, au bout des fusils et des mitraillettes, les bienfaits de l'instruction publique obligatoire, des concerts, des musées, et des clapiers fleuris en béton dans la périphérie des villes . Je suis même de plus en plus en colère contre les peintres du mouvement des peredvijniki, et tout leur attirail du pauvre moujik pataugeant dans la boue avec ses enfants affamés. Bien entendu, je ne pense pas que la société russe ait été alors exempte de misère ou d'injustice, car la société parfaite n'est pas de ce monde, mais il y a des gens qui, lorsqu'ils ont une idée fixe politique, ne voient plus que ce qui peut la confirmer, et parfois même l'inventent purement et simplement. Cela me rappelle la nouvelle de Zinaïda Guippious "la Folle", où des progressistes "s'attaquent" au sauvetage des "paysans obscurs" en méprisant d'emblée et par principe tout ce qui peut provenir d'eux.
Cheminée et gouttière |
Le potier Sergueï Fenvechi