Hier, une dame qui vend parfois les cierges à
l’église m’a proposé de venir chercher des plants de ronce. La ronce, qui pousse
partout en France, est ici beaucoup plus rare, et moins envahissante. Mais elle
donne des mûres, et j’adore les mûres. J’en mangeais le long des chemins de
Cavillargues quand on n’avait pas massacré les ronciers. Les ronciers servent
d’abris aux rossignols, raison pour laquelle mon beau-père en laissait toujours
un de l’autre côté du mur de la ferme. J’ai des endroits pourris où je ne peux
rien planter, des recoins vides, j’y ai lâché des ronces, j’espère que ce ne
sera pas trop humide.
Cette dame est biélorusse, plutôt
sympathique. Son quartier est ravagé par les maisons hideuses, prétentieuses ,
énormes qui ont l’air soit de bâtiments administratifs, soit de châteaux d’opérettes.
Je me suis extasiée sur la fenêtre sculptée d’une isba branlante : « Elles
disparaissent toutes, me dit-elle. Vous savez qu’en Biélorussie, le gouvernement
à donné une maison à mes enfants et à leur famille, une maison neuve, en bois,
avec des fenêtres et des planchers en bois, et vous savez ce qu’ils ont fait ?
Ils ont mis des fenêtres en plastique et du parquet flottant ! »
Chez nous, on met des fenêtres en
plastique et du parquet flottant parce que le bois revient trop cher. Ici, ils
trouvent que le plastique et le parquet flottant, c’est le comble du chic, ça
fait riche et moderne.
Parfois, je pense à la ville ravissante
qu’a été Pereslavl pendant près de mille ans, et puis la révolution en a ravagé
une partie, la modernité a rendu les gens fous, les a déconnectés de leur
tradition et de leur nature, et ce qui restait encore pittoresque il y a vingt
ans devient monstrueux et absurde, non plus une ville mais une « agglomération »
de baraques disparates et contrefaites, qui ne tiennent pas compte les unes des
autres et bourgeonnent comme des tumeurs, à l’image du monde engendré par le
progressisme matérialiste et des âmes mutilées qu’il a élevées, coupées les
unes des autres, mal nourries, mesquines, envieuses et insatisfaites.
Au café français, Valia, qui est communiste, m'a dit que son grand-père avait été "dékoulakisé" mais n'en tenait pas rigueur au régime soviétique. Ca existe. Soljénitsyne parlait de prisonniers du Goulag qui, ne comprenant pas en quoi ils avaient trahi la cause, continuaient à lui vouer tout leur être. Le grand-père de Valia s'était vu confisquer par le pouvoir soviétique le joug sculpté et décoré de l'attelage de ses noces...
A Férapontovo, je ne peux pas dire que les braves gens du coin gardent un bon souvenir de la dékoulakisation. Ils m'en ont parlé dans les termes les plus négatifs et les plus énergiques. Valia met les horreurs sur le compte des dénonciateurs. C'est le grand argument, les coupables des dérapages sont les gens qui dénonçaient et pas le gouvernement qui les encourageait à le faire. Etrange démarche d'esprit, l'esprit idéologique dont mon oncle Louis disait "on est communiste comme on est boîteux". Ainsi chez nous, certaines demoiselles formatées par la gauche, violées en bande par plusieurs migrants, craignent de faire preuve de racisme en allant porter plainte, c'est un effet de ce que dans les années soixante-dix on appelait la misère sexuelle des immigrés.... La mentalité idéologique fait accepter n'importe quelle monstruosité, et lui trouve toujours des justifications.
Valia nie aussi les ravages de la pollution, tout ça c'est des histoires pour nous faire oublier les inégalités sociales. Et certes, comme dans tous les domaines, les pervers du Nouvel Ordre Mondial commencent à manipuler le truc avec la poupée Greta, tandis que par ailleurs, en France, les usines s'enflamment les unes après les autres, mais de là à affirmer qu'il n'y a pas de problèmes... Il faut dire que pour ce qui est de ravager le milieu naturel, les soviétiques n'étaient pas en reste, voir la mer d'Aral, entre autres. Valia me dit qu'elle est chimiste et m'assure qu'un sac en plastique s'autodétruit en un mois et demie. Pas dans mon jardin, où j'en retrouve enfouis dans le sol depuis plusieurs années.
J’ai appris que le
topinambour, outre beaucoup d’autres vertus, avait celle d’exterminer la berce
du Caucase, dont l'invasion est encore dûe à une trouvaille d'un fonctionnaire soviétique. J’ai donc commencé à transplanter
tous les topinambours donnés par la chevrière Nadia dans les endroits infestés de berce. Le
topinambour est esthétique, comestible, il assainit l’air et le terrain.
J’ai acheté à Nadia des œufs et du
fromage de chèvre, et constaté qu’un des gosses qui s’invitaient chez moi était
son petit-fils. Il est revenu avec le petit voisin Vania, mais ils se
conduisent mal.
Des nuages lourds de pluie se
déroulent au dessus des moutonnements dorés des saules, leur houle bleue,
soulevée par un vent violent, s’abat en gerbes liquides sur nos jardins parés
de rouge et de jaune, où subsistent quelques fleurs tardives.
Ekaterina Igorovna, la femme de lettres, est venue
avec une copine. Je croyais que c’était pour me la présenter, mais c’était pour
me faire bénéficier de ses conseils de paysagiste. Or mon grand plaisir est d’organiser
mon terrain en faisant toutes sortes d’expériences, et je n’ai pas trop envie qu’on
vienne s’en mêler. Elle m’a cependant dit que je pouvais encore rajouter deux thuyas
entre ceux que j’ai déjà plantés, et qu’ils ne seraient pas trop serrés mais me
feraient plus vite une haie. Cela cache la maison voisine et fournit un écran
vert persistant aux feuillages dorés de l'automne. C’est aussi la seule verdure
que je garde en hiver.
J’ai réussi à rattraper l’icône pour
le rhumatologue, qui partait mal, et elle est presque finie, Dieu merci; il me l'avait commandée en échange d'une infiltration gratuite! Elizabeth, paroissienne de Solan, m’en a commandé trois, et Cécile une…
Mais c'est une chance, je me sens à nouveau capable d’en
faire, plus ou moins. C’est drôle, le
tsar Ivan commence à me laisser tranquille. Je continue à prier pour lui et
pour Fédia tous les jours. Je suis persuadée qu’avec mon livre, j’ai fait
quelque chose pour eux que je devais accomplir, et qu’ils avaient besoin des
prières que j’adresse en leur faveur; je veux dire que naturellement, ils en
avaient besoin, avec tout ce qu’ils ont sur la conscience, mais que cela a
changé la situation et l’état de leurs âmes. A un moment, l’âme du tsar
exerçait sur moi son pouvoir et sa séduction, sur qui d'autre encore lui était-il loisible de le faire? Elle ne le fait plus, elle semble avoir trouvé une sorte de paix, en renonçant à perdre la mienne.
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