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jeudi 24 mars 2022

Deuil

 


Chez les cosaques, Alexeï nous a fait part de ses recherches sur sa famille. Il est remonté jusqu'à des arrière arrière grands pères du XIX°siècle, il a retrouvé des portraits émouvants, un ancêtre cosaque dans l'armée blanche, l'autre bandit, et en est venu à la conclusion qu'il assumait tout, l'armée blanche, l'armée rouge, le bandit, que tout cela constituait le terreau de sa vie et qu'il n'en reniait rien. Et en réalité, nous en sommes tous là, c'est ce qui fait qu'ainsi que le disait le père Vsévolod Schpiller, l'humanité est Une et que nous pouvons nous sentir solidaires de tous, selon le principe de la responsabilité collective exploré par Dostoievski.

Ayant appris par eux que l'on célébrait le lendemain les funérailles d'un jeune homme tombé en Ukraine, j'ai décidé d'y aller, pour m'associer au deuil de la ville. Il y avait toute la garnison de Pereslavl, les cosaques, et l'évêque. Tout le monde portait des oeillets rouges et des cierges, un camarade du garçon tenait sa photo souriante, ce dernier était étendu sous un drapeau russe, dans son uniforme, terriblement immobile.

Beaucoup de femmes pleuraient, celles de la famille du jeune défunt, mais aussi les autres, par compassion pour elles et pour lui. Cette horreur qui bouillonnait là bas depuis huit ans, déborde maintenant jusqu'à nous. On a soulevé son cercueil en  chantant, comme le vendredi saint quand on porte en procession le linceul du Christ: "Saint Dieu, saint Fort, saint Immortel, aie pitié de nous". Au dehors, la fanfare militaire jouait une marche triste sous les coupoles de l'église de la Transfiguration. C'était digne et poignant, j'en avais le coeur serré.  

Je pensais à ces femmes qui ont élevé ce garçon, il a fait sa scolarité au lycée orthodoxe, il a choisi la carrière militaire, et sa vie est déjà terminée, comment pourront-elles se consoler? Autrefois si peu d'enfants arrivaient à l'âge adulte, et c'était éventuellement pour mourir au combat. Sans doute vivait-on beaucoup plus au jour le jour... 

Devant le supermarché, j'ai vu une femme d'un certain âge, immobile, le regard fixe. A la sortie, je l'ai retrouvée dans la même pose, et lui ai demandé: "Vous n'allez pas bien?

- Non, je ne vais pas bien.

- Voulez-vous que je vous emmène quelque part? 

- Non. Non. Vous ne pouvez strictement rien pour moi."

Je me suis éloignée de quelques pas, et j'ai vu la même scène se reproduire avec deux autres clientes qui s'enquéraient d'elle. Je suis rentrée avec le sentiment pesant de n'avoir jamais pu grand chose pour personne.

Ensuite, j'ai reçu le Hollandais Ian, sa femme Olga, et leur fils Dania. Ian a reçu son permis de séjour permanent, il a désormais beaucoup de commandes, de la part de musées, de la Laure de la Trinité-saint-Serge, ou de l'higoumène Pantaleimon. Nous avons fait une photo pour nos amis communs, les Belges Nicolas et Anne, installés près de Solan, dans le Gard.

Il faisait très beau, la neige recule, et je vois déjà, ou plutôt enfin, poindre des crocus et des tulipes...

3 commentaires:

  1. Google censure Chroniques de Pereslav: depuis une semaine je ne reçois plus vos nouveaux articles à mon adresse gmail, et je dois passer par le dernier reçu pour trouver les plus récents.
    J'ai beaucoup partagé vos témoignages, j'espère vous avoir gagné de nombreux lecteurs: les gens sont avides de nouvelles de Russie, et votre belle et sincère écriture les enchante.
    Merci d'apporter tant d'espérance et de beauté dans ces jours amers.

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    1. Merci cher Anonyme! Je songe à faire passer en double mon blog sur un blog que j'avais ouvert en russe il y a longtemps, sur une ressource russe, Live Journal. Pour le cas où les ressources américaines seraient complètement exclues ici.J'ai aussi une adresse mail russe dans la même optique. Mais alors faudrait-il peut-être à ceux qui me suivent passer par yandex!

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