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dimanche 8 août 2021

Terpila

 


J'ai quitté le plein été torride du Don pour une sorte de pré automne. Il pleut à verse, et mon jardin est détrempé, résultat des terrassements du voisin, qui a vaguement consolidé son tuyau et fait tout son possible pour reconquérir mes bonnes grâces, parce que ma froideur le perturbe. Des milliers de poires dégringolent de mes arbres surmenés qui ont pourtant bien du mal à survivre. Je suis constemment en train de les ramasser, peler, cuire et sécher. 

Je pense souvent à mon récent voyage, à tous ceux que j'ai rencontrés, à Kolia le taulier, torse nu sur sa terrasse, avec ses pétunias, ses luminaires kitsch, ses clientes coquettes en robe de chambre, pareilles à de gros ballons souriants, prêts à s'envoler dans les airs, au bout d'une ficelle; à son pote le tatar Islam, beurré comme un petit lu. A ce cosaque à longue barbe grise, un anneau dans l'oreille, qui déambulait dans les bois en slip de bain jaune et vert avec une casquette d'uniforme sur la tête. Je revois la rivière Khapior, ses eaux douces et rapides, pleines de la lumière froissée des nuages brûlants, les chevaux qui s'y baignaient.avec les enfants, tandis que résonnaient des chants lyriques et virils. Le ciel nocturne si profondément noir, avec ses étoiles si nettes et brillantes, et si nombreuses. J'étais complètement dépaysée, là bas, et pourtant, j'y retrouvais quelque chose de familier, de méridional, avec une sorte de dinguerie slave joviale, le mauvais goût y prenait des accents felliniens, plus modeste que par ici, mais encore plus décomplexé, et tout cela au sein de cette steppe aride et illimitée, sous sa fourrure odorante de chardons, de fenouil et d'absinthe amère, soyeuse et argentée. Avec ce qui se passe en France, et qu'on cherche sournoisement à implanter en Russie, j'avais besoin de cette consolation. Chaque fois que je découvre une région de cet immense pays, l'envie me vient de déménager, la province russe me fascine et me donne une impression de liberté et de sécurité. Quelles que soient les séquelles du soviétisme, il s'y conserve quelque chose de vivant, de normal, et je dirais de résistant. Beaucoup de gens ne voient pas de mal à se faire vacciner, car ils restent dans l'idée que c'est pour le bien des populations, comme au temps de l'Union soviétique, quand personne ne se faisait des profits mafieux sur la santé des gens. Mais pour ce qui est de la suite du programme, les QR code et la dictature électronique mondiale, je pense que ce sera plus dur, je ne sens pas toute cette humanité très humaine, très anarchique, très capricieuse, incorrigiblement lyrique et follement idéaliste, prête à entrer dans le transhumanisme futuriste. A moins  de recourir à des procédés trotskystes de massacres à grande échelle. Je suis persuadée que le Don ne diffère pas beaucoup du Donbass, pour ce qui est de la mentalité. Tous les poteaux électriques sont bagués aux couleurs du drapeau russe. Une banderole, en travers de la rue principale de Koulmyjenskaïa proclame: "Rien ne nous est plus cher que notre pays natal..."

En face de la propagande hypnotique de la télé, on recourt ici aussi au discours sur la "théorie du complot" afin de discréditer ceux qui n'avalent pas cette bouillie à la louche. C'est surprenant, voici qu'au XXI° siècle, nous avons pour la première fois de l'histoire, des classes dirigeantes irréprochables qui ne complotent jamais, et des administrés ingrats qui voient le mal partout. Les romans historiques sont pleins des complots du passé, le XX° siècle nous a gavés de financiers retors, de politiciens pourris, d'idéologues tarés et sanguinaires et de savants fous, mais nous sommes invités à croire que le même genre de population, aujourd'hui, ne se soucie que de notre bien, et que le mettre en doute n'est pas raisonnable... Cette caste a pourtant plus de moyens de nuire qu'elle n'en a jamais eu, de sorte qu'on ne sait même pas comment se défendre, dans la guerre qu'elle nous fait. Le docteur Fouché nous présente ici quelques propositions:

 https://rumble.com/vksflu-louis-fouch-4-aout-2021.html?fbclid=IwAR1SyKNXVFt-PkW6W3Ow9FiWWCxmRtjZZzhrlhnfIwsPWnon5Fc1Yyl-O24

 A l'église, ce matin, le père Andreï nous a fait un sermon intéressant, à propos d'un nouveau mot à la mode, terpila, conçu d'après le mot terpenie, patience. Ce mot, dit-il envahit toutes les bouches. Il signifie un être dont on peut faire ce qu'on veut, le tondre et l'exploiter sans qu'il réagisse, et il est plein de mépris, un peu comme chez nous les sans-dents ou les mougeons. Mais, nous explique-t-il, c'est que la société nouvelle qu'on cherche à installer n'est pas seulement indifférente au christianisme, elle lui est profondément antagoniste. C'est une société de prédateurs impatients qui ne connaissent pas de frein à leur avidité. Antagoniste au christianisme et également à la Russie, dont la patience était la vertu principale, patience d'Alexandre Nevsky, par exemple, glorieux chef de guerre qui, pour le salut de son pays, allait trouver le khan mongol et s'humilier devant lui. Et cela m'a rappelé une vidéo de l'avocat DiVizio "en marche vers l'enfer", sur la société "en marche", dont l'avènement a été inauguré par le parti "en marche" du satrape Macron. Une société où ceux qui ne peuvent pas marcher sont laissés pour compte, achevés, voire exterminés. Une vidéo rapidement supprimée de youtube avec la chaîne de l'avocat, ce qui me prouve que c'est bien là le programme des mutants du nouvel ordre mondial qui essaient de prendre le pouvoir universel. Au XIX° siècle, Jack London décrivait les misérables sans logis de Londres, contraints de marcher sans trêve, car ils n'avaient le droit ni de s'asseoir ni de s'étendre, ni même de s'arrêter. 

 https://odysee.com/@DiVizio:2/en-marche-vers-l%E2%80%99enfer:d?r=AJxNFrm3sD6g74HKCJUZqhLYnVrMJUYx&fbclid=IwAR1c4bp4lf1913mMB4pDLC-E94-tJjS8d4yOjiuB8oCHkWwEwueiu8q1T

Mais il convient de voler autant que faire se peut de beaux moments de vie à la nuit qui vient.





dimanche 1 août 2021

Avant l'avènement des gnomes

 


Après une dernière soirée à la rivière Khapior, je suis rentrée de nuit, par la piste, à la  stanitsa. L'air sentait l'absinthe, il soufflait un vent puissant et tiède, il avait soufflé toute la soirée, pendant que chantaient les cosaques dans l'obscurité croissante. Une des responsables de la manifestation voulait absolument brancher une sono "pour les jeunes", Skountsev s'y est opposé à juste titre. Car pour les jeunes il était justement extrêmement important d'apprendre à écouter et de sortir de l'univers du vacarme et du faux-semblant. 

La nuit est très noire dans le Don, avec des étoiles très vives, mais des nuages les cachaient en partie. Il en traînait de grosses et presque dorées, dans les ténèbres que des éclairs de chaleur hantaient de brusques déploiements vacillants, une danse enflammée de séraphins tout à tour invisibles et révélés.

Le lendemain, je devais repartir pour Moscou avec Sergueï le militaire et sa jeune femme Sacha, et puis un autre jeune homme arrivé au dernier moment, mais toute cette compagnie changeait sans arrêt d'avis. Il paraît que c'est un trait des cosaques, nous sommes comme ça, nous sommes spontanés. On est sans arrêt en train de les attendre, on ne sait jamais ce qu'ils vont faire. Mais ils font preuve d'un grand charme, distribuant câlins et sourires désarmants.

Skountsev en est un exemple extrême, qui épuise même ses compatriotes. Il est, comme on dit, pour l'utilisation des compétences. Avant le départ, il a fallu faire le taxi pour lui, et comme il restait quelques jours de plus, rapporter à sa femme des bagages qui pesaient un âne mort, et que si son ascenseur avait été à nouveau en panne, ni elle ni moi n'eussions pu transporter au dixième étage!

Afin d'avoir la paix pendant qu'il promenait le maître et installait ses bagages dans notre coffre, Serioja, le militaire du Kremlin, qui s'était décidé finalement à rentrer avec moi, m'avait laissée au musée Fiodor Krioukov, grand écrivain cosaque qui était originaire de la stanitsa de Skountsev. Moyennant quoi, je ne sais ce qu'il est advenu; dans la bagarre, du sac où j'avais mis la bouffe de la chienne, la botte d'absinthe que j'étais si heureuse d'avoir cueillie, et le bocal de boeuf en conserve maison qu'on m'avait offert au camp.Le conservateur était ravi de tomber sur une Française passionnée par les cosaques et m'a interrogée sur mon itinéraire. Je lui ai pris, à sa grande joie, les oeuvres complètes du grand homme local. Il m'a donné sa carte en me suppliant de revenir. Mon taulier Kolia, de son côté, m'a dit qu'il m'attendait l'année prochaine. 

En quittant sa rue, j'ai aperçu à nouveau la bignonne et ses trompettes oranges. J'ai conduit tant qu'il faisait jour et le Don m'a offert pour mon départ un soleil  chatoyant, presque rose, pris dans des vapeurs à la fois colossales et légères, bouclées, translucides, violettes au dessus d'immenses champs de tournesols d'un jaune intense et gras, avec les brûlures circulaires de leurs centres bruns. Ce pays m'apportait des éléments du mien, de mon midi français, dans un ensemble pourtant absolument dépaysant qui sent déjà la Grèce et la Turquie, et aussi l'Asie géante, béante qui s'étend d'ici jusqu'à la Chine. La végétation aride n'est cependant pas vraiment méditerranéenne, car si la mer n'est pas encore si loin, aucune chaîne de montagne ne vient faire obstacle au souffle énorme de l'arctique. Les hivers sont très froids, plus brefs que dans le nord, mais très froids, et les étés torrides. Je pensais aux souvenirs d'une Française, qui avait visité le sud de la Russie avec son mari vers 1850. Elle disait qu'elle avait l'impression de rêver, d'être dans une sorte de conte hallucinant, et évoquait un jeune cosaque de son escorte, qu'elle avait vu jouer avec un aigle. J'imagine bien, car dans ce même pays, pourtant dénaturé par la modernité, je ressentais quelque chose de comparable. La rivière Khapior, les falaises en moins, me rappelait l'Ardèche des années 50, par son aspect désert et sauvage, son cours capricieux. Les cris des enfants, ou les chants des adultes, ne me gênaient pas dans ma contemplation, alors que la radio me révulse. Je m'éloignais contre le vif courant, sur ce sol de sable doux et meuble, et je regardais le ciel reflété dans ces eaux lisses. La lumière froissée, et le soleil qui s'y berçait, dans un halo doré, ne me blessaient pas les yeux et révélaient des formes qui me restaient indiscernables, quand elles ne m'étaient pas traduites par ce miroir magique.

Le jeune cosaque dernièrement arrivé me parlait de son pays avec lyrisme, ce n'est pas un hasard si le Donbass résiste avec tant d'héroisme, il me semble d'ailleurs davantage le prolongement du Don que de l'Ukraine, mais j'ai fait très plaisir au conservateur du musée Krioukov en lui disant: "Vous savez, pour moi, les Grands Russiens, les Ukrainiens, les Biélorusses et les Cosaques, ce sont juste différentes sortes de Russes, et je crois que c'est Dostoievski qui disait avec raison que rien n'est pire que des Russes qui rejettent leur russité." Ce garçon me suggérait d'aller sur les bords de la mer d'Azov, que j'imaginais comme une sorte de lac salé, mais pas du tout, il m'en vantait les vagues magnifiques, les paysages arides et les champs de lavande...

Sérioja a pris le volant à la nuit tombée, mais en cours de route, il m'a demandé de le remplacer une heure, et je me suis aperçue que ma voiture éclairait bien peu la route en position de code. Lui aussi s'en était aperçu, mais il est jeune, et cela ne le gênait pas trop. A un moment, j'ai été suivie par une voiture de police tonitruante, et je me mettais sur le côté pour la laisser passer, or elle me poursuivait. "Pourquoi ne vous arrêtez-vous pas quand on vous suit? 

- Mais je croyais que vous vouliez juste me dépasser parce que vous étiez pressés...

- Et le geste de notre chef, pour vous faire garer sur le bas côté?

- Je n'ai pas vu le geste. Le chef non plus.

- Madame, il faut vous faire remplacer, vous êtes fatiguée. Votre vigilance en souffre...

- Oui, c'est vrai mais justement, mon équipier va prendre la suite..."

Pour être honnête, la femme de Sérioja n'avait pas vu non plus l'officier nous faire ce geste. Et  je ne sais d'ailleurs même pas pourquoi il l'a fait. Mais ils ont été très gentils, ces flics, ils ont le respect des grands-mères. En réalité, jusqu'à la tombée de la nuit, Sérioja était bluffé par ma façon de conduire, il me donnait même quelques avis, à la fois admiratifs et goguenards. Cela me rappelait certains retours de concerts où les cosaques me surnommaient Schumacher et disaient à Micha, qui avait la conduite agricole: "Donne le volant à Laura, sinon, on n'arrivera jamais..." 



Je réfléchissais, pendant ce voyage, à ce qui m'attirait particulièrement chez ces sacrés cosaques, chiants, machos et complètement dingues, et leur merveilleux folklore. C'est un mélange de gravité et de malice goguenarde, de sauvagerie et de douceur, de noblesse, d'insolence, de vitalité, le culte de la bravoure, l'amour de la nostalgie et du rêve, le lyrisme, la folle générosité, toutes choses que la modernité abhorre, qu'elle tourne en dérision et qu'elle persécute. Un petit garçon est venu avec une sorte de fierté très sérieuse demander à Skountsev s'il pouvait se servir de son accordéon. Tous les gosses que je voyais dans ce camp, même si leurs parents sont dispersés loin de leurs terres ancestrales, grandissent à la lumière de ce soleil sauvegardé, entre un père barbu ou moustachu, et une mère qui, sans être effacée, tient son rôle, ils apprennent à se battre et à rêver, à admirer et à aimer, à faire éventuellement le sacrifice de leur vie; ils apprennent à être des hommes au sens où on l'entendait autrefois, avant l'avènement des gnomes.




mardi 13 juillet 2021

Album de Kourmych

 




Une fausse manoeuvre a détruit l'article que j'avais terminé hier sur mes derniers moments à Kourmych. Je suis allée me baigner encore une fois dans la Kourmychka et j'y ai relâché un poisson que le père Vladimir avait pêché et oublié dans un seau, la dernière fois qu'il était venu, il y a de cela deux ou trois mois. Par je ne sais quel miracle, le poisson était toujours vivant, dans l'eau trouble et verdâtre. Tous les autres avaient été mangés, et lui restait seul dans sa prison. Je l'ai descendu à la rivière dans un bocal. Il n'a pas compris tout de suite, il restait immobile sur la vase du fond. Mais après que j'ai nagé un moment, je ne l'ai pas retrouvé, il avait fait la belle.

La chaleur étant devenue supportable, j'ai fait un tour de Kourmych avec Sacha. On voit que cette bourgade somnolente et délabrée a été autrefois une petite ville prospère, elle avait même un lycée qui achève de s'effondrer. Beaucoup de très jolies maisons tombent en ruines. Mais pour ce qui est des autres, elles sont souvent restaurées avec beaucoup plus de souci d'authenticité qu'à Pereslavl, ou peut-être que les gens restent plus traditionnels. S'ils recourtent aux clôtures préfabriquées en métal, ils préfèrent celles qui sont à claire-voie, et les harmonisent au toit et au reste de la maison. S'ils recourent au maudit siding, ils conservent souvent les encadrements de fenêtres sculptés qu'ils mettent par dessus, ce qui limite les dégâts esthétiques. Génia me dit qu'ils chérissent encore leur folklore et jouent de l'accordéon, ceci explique cela.

Nous sommes allées nous asseoir sur l'escarpement, au dessus de la rivière, sur laquelle nous avions une vue magnifique. Nous avons été rejointes par un architecte très bavard. Et je me sentais d'humeur purement contemplative. Je regardais les branches agitées par le vent qui déplaçaient et mélangeaient des morceaux de ciel bleu, et les phosphorescences fugaces de leurs feuilles touchées par le soleil. Les lointains, les mouettes, les hérons... Kourmych a quelque chose de captivant et d'étrange, une sorte de moyen âge encore proche, bien que violé par le soviétisme, et le souvenir de la nonchalance raffinée des villes de marchands du XIX° siècle. On se sent là hors du monde, hors du temps, entre le cosaques, les streltsi d'Ivan le Terrible et les gardes rouges. 

le lycée...


A quelques mètres de la tombe du "héros de la révolution" qui massacra tant de gens à Kourmych, on a dressé une croix à la mémoire de ses victimes. Les deux monuments sont régulièrement fleuris. A noter que les vieilles komsomoles font le signe de croix devant l'étoile rouge de celui qui fusilla sommairement les prêtres du pays.

Le jour de la fête des saints Pierre et Paul, nous sommes retournées dans ce merveilleux village de Bortsourmani où repose dans sa châsse saint Alexis, arrière-arrière-arrière grand oncle de Sacha. J'avais très mal dormi, mal à la tête, nous avons failli ne pas y aller mais j'ai dit à Sacha: "C'est la fête, je me suis préparée à communier, allons-y..." Et je ne l'ai pas regretté, car cet office était à la fois si simple, et si spirituel. Ce sont les fils du prêtre, le père Andreï, qui constituent le choeur, et ils chantent sans fioritures, avec gravité, c'était beau et recueilli. C'est son plus jeune garçon, âgé de sept ou huit ans, qui lit l'Epître, dans sa tunique dorée de servant d'autel, et avec tant de fermeté, sans se tromper, d'une voix claire et forte... Je pensais à Sacha, le fils du père Antoni, de Cannes.

Sacha se dévoue complètement à ce pays où l'a amenée sa quête mystérieuse de ses ancêtres. Elle est persuadée que ce sont eux qui la guident, et qu'elle accomplit leur volonté. Elle s'occupe non seulement de l'église où ils officiaient mais de celle qu'on vient de rendre au culte un peu plus loin, elle donne du travail et de la considération à l'Afghan Génia, de l'attention aux enfants du village, qui en ont parfois bien besoin. Elle est toujours en quête de fonds pour restaurer et relever, écrivant de tous les côtés, sollicitant les uns et les autres, suppliant les artisans, rédigeant la chronique de ses travaux d'Hercule pour attirer des soutiens à sa cause. Rien ne l'arrête, car elle répare une déchirure, elle renoue les fils brisés, elle rend Kourmych à Kourmych en retrouvant ses ancêtres perdus, et recueille tout ce qu'elle peut trouver sur les rives désolées de nos naufrages historiques et culturels, pour que son petit pays ruiné récupère sa mémoire, et qui sait, peut-être un peu de sa prospérité.

Je vois que Génia l'admire éperdument. Je pense parfois aux reîtres de Jeanne d'Arc. Car Génia a tout du guerrier perdu, le physique et la mentalité. Il est pur et touchant, et quand nous avons pris congé, il avait les larmes aux yeux.

Je mets ici mon album de Kourmych, les photos de Sacha, les miennes, tout en vrac:

Sacha et les enfants de Kourmych






Avec le père Basile....



La première confession du petit Roma




Génia au travail


la "belle église"



vendredi 9 juillet 2021

Paris, c'est bien mais Kourmych existe aussi.

 


Comme je l'avais promis, je suis partie pour Kourmych, rejoindre Alexandrina, Sacha Viguilianskaia, qui, depuis quelques années, consacre sa vie à la résurrection de l'église où officiaient ses ancêtres, à Kourmych, région de Nijni Novgorod. Kourmych, à la limite de la Russie et de la Tchouvachie, forteresse fondée au XIV siècle pour défendre la Moscovie contre les incursions des Tatars. .

La route est longue et pénible, beaucoup de camions, c'est une expédition. À un moment, on tourne, et la route devient déserte, le paysage aussi. De vastes horizons se découvrent à perte de vue, sans aucune construction parasite, un paysage d'une douceur captivante et immense, et cela pendant 50 kilomètres. Peu de conifères, beaucoup de feuillus, essentiellement des bouleaux et l'espèce invasive de l'érable d'Amérique qui sévit la où ne prospère pas la berce du Caucase.

Kourmych est une bourgade somnolente et délabrée, mais elle est restée authentique, avec beaucoup de très jolies maisons anciennes, en bois et en brique. Sacha à acheté pour une bouchée de pain l'ancien traktir, ou taverne, du coin, qui garde beaucoup de caractère. L'endroit est paisible, bien que central, aucun bruit, pas de motos, ni de voitures, ni d'outils vrombissants, ni de radio. C'est tout près de son église, qui nécessite des travaux titanesques, et où s'affaire une équipe locale, sous la direction de Genia, un "Afghan", un veteran de l'Afghanistan au cœur aussi pur que blessé, qui lui est complètement dévoué. Les enfants locaux l'adorent egalement et l'aident avec enthousiasme.



Averti de ma venue, le père Basile Pasquiet, archimandrite du monastère de la Trinité à Tcheboksary, est accouru le lendemain de mon arrivée. Tcheboksary n'est qu'à 150 km de Kourmych. J'étais allée le voir il y a quelques années avec la regrettée Marie Gestkoff.



Il avait apporté des tas de cadeaux, pour nous et pour l'église, un vrai père Noël. Il m'avait cueilli un bouquet de lavande de Tcheboksary, moins parfumée que chez nous, malgré tout. Il a passé la journée avec nous, je lui ai chante une chanson de Pâques de sa province natale, la Vendée, et une complainte bretonne. Il a reçu et béni les enfants, discuté avec Genia, un artiste local, Sacha, lui a offert une icone sculptée par ses soins. Il a voulu voir l'église, qui avait été transformée en cinema et en discothèque et dont les fenêtres sont toujours murees. Le père Basile à dit la paraclisis à la Mère de Dieu, dans cet endroit ruiné qui nécessite encore tant d'efforts.


En faisant les travaux, Sacha à trouvé toutes sortes d'objets qu'elle exposera dans le musée qu' elle prévoit. Et regroupe dans une tombe commune les ossements bouleversés de l'ancien cimetière, détruit comme partout ailleurs par le pouvoir soviétique, soucieux d'effacer le souvenir des ancêtres et de couper les racines.


Ensuite, le père Basile a voulu se rendre à Bortsoumani, sur les reliques d'un autre ancêtre de Sacha, saint Alexis de Bortsoumani. Le village est ravissant, perche autour de l'église sur une colline, et les maisons sont entretenues mais pas saccagées. On a mis à l'intérieur de l'église une très jolie iconostase naïve venue d'une autre église détruite mais malheureusement, le prêtre a l'intention de la remplacer, sûrement par un truc doré, beaucoup moins intéressant.


Bortsourmani

Le dernier prêtre de Bortsoumani a été fusillé dans un champ voisin, on n'imagine pas de tragédie pareille dans ce paysage d'une sérénité vaste et méditative, et pourtant, comme partout ailleurs a sévi la folie collective meurtrière qui fit tant de victimes. Une plaque rappelle son souvenir. Il a été mis au rang des nouveaux martyrs de Russie. 

Nous avons pris, après ce pèlerinage, congé du père Basile. J'étais épuisée par le voyage de la veille, la chaleur, le manque de sommeil, les longues conversations. Le titre de cette chronique fait référence à une phrase qu'on trouve sur les mugs souvenirs de la ville et que Sacha cite abondamment.

La maison de Sacha



Le mur des ancêtres de Sacha. Son arrière-grand-père avait épouse une Française, fille d'un ingénieur fusillé dans les années 30 comme "espion français".