J’ai accompagné hier
Martine à l’aéroport avec un sentiment de tristesse, d’abandon, d’appréhension
également, car les gens au pouvoir chez nous sont épouvantables, je vois
arriver un avenir de cauchemar et ne sais même pas si la Russie l’évitera.
Elle a beaucoup plu à
tout le monde par sa sincérité chaleureuse.
Avec le père Valentin,
nous avons évoqué la situation générale. Il m’a demandé quelle était la
différence entre mai 68 et les gilets jaunes : « Mai 68, c’étaient
des étudiants trotskistes, maoïstes, et en gros, tous ceux qui sont au pouvoir maintenant
et qui éborgnent et mutilent les gilets jaunes, lesquels travaillent souvent
dur, mais ne peuvent plus vivre, et manifestent le week-end, parce qu’en
semaine ils n’en ont pas le loisir. De plus 68 était sûrement une révolution
colorée dirigée contre de Gaule qui gênait les Américains, l’OTAN et le projet
européen. »
Comme j’ajoutais que je
voudrais voir toute cette chienlit soixant- huitarde, les banquiers transnationaux mafieux qu’elle sert et les idéologues transhumanistes, pendus haut et court, il a protesté qu’en tant que prêtre
il ne pouvait participer à cela, mais qu’il pouvait du moins bénir de
loin ! "Père Valentin, et si demain je vous confesse que les malades et les cyniques au pouvoir partout m'inspirent des sentiments peu chrétiens, qu'allez-vous me dire?" Il m'a répondu en riant: "Eh bien... tout le monde est pécheur, je vous donnerai l'absolution!" Puis, à l’évocation des intrigues de Bartholomée et du métropolite
Emmanuel, il s’est transformé en professeur Tryphon Tournesol furieux
dans Objectif Lune. Au point que ma chienne s’est mise à grogner sur mes
genoux. «Toi, lui dit-il alors, je ne t’ai rien demandé !
- Mais père, ne la
grondez pas : elle vous approuve ! »
Il est parti d’un grand
éclat de rire.
Il y avait ce matin, dans l’église, une morte qui attendait dans son cercueil la célébration de ses funérailles,
après la liturgie. Une vieille, la tête
ceinte d’un bandeau orné d’icônes. Elle était terriblement inerte, mais elle
avait un visage très paisible.
Avec Martine, j'ai fait, la veille de son départ, un tour sur la place Rouge. Les Russes laissent les décorations du jour de l'an jusqu'à la fin de l'hiver, car elles compensent l'absence de lumière. Nous avons visité l’église saint Basile le Bienheureux. Dans une des douze
églises qui la composent, on diffuse en permanence de la musique liturgique de
l’époque, très sévère, captivante, mais aucune des gardiennes ou
vendeuses de souvenirs affreux n’est capable de me dire d’où elle sort et où l’on
peut se procurer le disque. J’envisageais déjà d’écrire au conservateur, mais
le père Valentin pense qu’il s’agit de l’ensemble d’un certain Yourlov, et me
suggère d’explorer cette piste.
Ensuite, j’ai revu avec Martine le palais des boyards Romanov, celui
où vivait Nikita Romanovitch Zakharine, leur ancêtre, qui apparaît dans mon livre Yarilo. C’est là
qu’il recueille la famille de Fédia, puis Fédia lui-même. Cet endroit féerique
est resté « dans son jus », et dans un état de conservation
surprenant. Les appartements des hommes, sombres et très intimes, avec leurs voûtes peintes, leurs petites pièces aux
fenêtres de mica, leurs murs tendus de tissu précieux ou de cuir damasquiné et
doré, leurs poêles de céramique, leurs meubles, leurs armes, les caves de pierre du XV° siècle. Et l’appartement
des femmes, tout en haut, en bois, et très clairs, avec les bancs recouverts de
tapis, les métiers à tisser et les quenouilles, une petite chaise et des jouets
d’enfants, des coffres peints, du velours de Turquie découpé mais pas encore
assemblé, pour confectionner un précieux caftan d’homme, car tout était réalisé
en famille. Les garçons, à partir de six ans, avaient les cheveux coupés et passaient
dans la partie masculine de la maison, où l’on entreprenait leur éducation de
futur guerrier au service du tsar. Les filles confectionnaient les éléments de
leur dot, pour leur mariage à venir. On mariait garçons et filles généralement
à l’adolescence. Car il n‘était pas
question de courir le guilledou, même si les garçons le faisaient parfois, avec
des paysannes ou des filles légères aux bains de vapeur. Et il n’y avait pas officiellement de
prostitution, juste des filles entretenues, parfois, par un seigneur mal marié.
Ce joli palais parle d’une vie patriarcale vertueuse et sévère, où chacun est au
service des autres, ou responsable des autres, et à chacun son devoir, sa
fonction, sa place sacrée, sa croix. Une
vie simple, malgré le caractère très ornementé du décor, et des vêtements, dans
une maison de proportions assez modestes, par rapport aux demeures
seigneuriales européennes. Une vie contraignante, certainement adoucie (ou
parfois compliquée) par une grande solidarité de clan, et beaucoup d’activités
créatives et manuelles, chants, danses, contes, confections d’objets ou de
vêtements, décors…
Un peu plus loin s’est
conservé le palais des Anglais, construit pour l’ambassade anglaise qui fit
suite au naufrage du bateau de Chancelor près de l’actuelle Arkhanguelsk. C’est
devant ce palais que Fédia rencontre, dans mon livre, l’artiste anglais Arthur.
intérieur du palais, photo de Martine |
intérieur du palais, photo de Martine |
intérieur du palais, photo de Martine |
intérieur du palais, photo de Martine |