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lundi 7 octobre 2019

Les trois Russie


sainte Russie

Je lis parfois des choses sur facebook qui me plongent tout d’abord dans une grande fureur et une espèce d’angoisse, celles d’avoir à y répondre, car je ne peux pas laisser passer ça, dans la mesure où mon père spirituel m’a bénie pour combattre. Mais c’est pour moi une souffrance, car je déteste les conflits et la polémique. Hélas nous vivons des temps où l’on ne peut vivre en paix, même intérieure.
Quelqu’un m’a inscrit sur un groupe « d’amitié biélorusse » ; des groupes, j’en ai des milliers, je n’arrive pas à tout lire, et celui que j’ai ouvert pour soutenir le métropolite Onuphre m’occupe déjà pas mal. Mais soit. Et là, je tombe sur le post d’un Français, résidant depuis onze ans au pays de Loukatchenko et avide  de démontrer que les Biélorusses ne sont surtout pas des Russes (comme si être de près ou de loin apparenté à des Russes était quelque chose d’absolument infamant), ni par leur histoire, ni par leur langue, ni par rien. Bref le syndrome de la vérole ukrainienne galopante (et inoculée).

Pour moi, il a toujours été évident que les Biélorusses et les Malorusses sont des Russes, avec des particularités locales, mais des Russes. Ceux qui ne sont pas russes parmi eux sont des sortes de polonais uniates, car ce qui fait la différence initiale entre les tribus slaves de la grande plaine, c’est l’adoption du catholicisme romain par les uns, de l’orthodoxie par les autres. Génétiquement, avec bien sûr de petits métissages locaux, ils sont tous pareils, et ça se voit. Culturellement et linguistiquement également. Ils sont beaucoup plus proches les uns des autres que de n’importe quel représentant de l’Europe occidentale, et par la génétique, et par la culture, et par la foi, et par la mentalité, et par les traditions. Les Polonais et leurs uniates se sont éloignés et puis ils se croient d’une autre essence, qui a « connu la renaissance », des Européens pur jus, pas des paysans arriérés des steppes, mais Biélorusses, Malorusses ou grands Russiens, tout ça, c’était les Russes des trois Russie qui avaient un seul tsar et un seul patriarche. Certes les frontières ont pas mal fluctué, les Polonais sont allés jusqu’à Moscou et l’ont occupée au XVII° siècle, provoquant un rejet absolu des populations. Mais les trois Russie avaient toutes en commun la même foi orthodoxe et le même folklore.
Les vidéos de folkloristes, sur youtube, sont souvent accompagnées des commentaires haineux et stupides des «Ukrainiens » ukrainisants : « C’est notre folklore, vous nous l’avez volé ; vous vous n’avez pas de folklore, vous êtes des mongols etc… » C’est complètement faux et affligeant à lire. Car justement, le folklore remonte à la plus haute antiquité , dans les trois Russie, et en démontre la profonde unité. D’une certaine manière, il rejoint même celui des pays d’Europe, qui s’est parfois davantage éloigné de ces sources millénaires, mais je laisserai cette question de côté. En ce qui concerne les trois Russie, c’est le même folklore. Des musiciens italiens venus en Russie au XVIII° siècle se sont à ma grande surprise intéressés à la question. Ce folklore les avait émerveillés par la complexité de ses architectures musicales, que de simples paysans élaboraient d’instinct. Et ils avaient observé que dans tout l’empire russe, de Pétersbourg au Khamtchatka, d’Arkhangelsk à Odessa, il s’agissait d’UNE SEULE formule mélodique qui connaissait d’infinies variations. Cela pourrait être d’ailleurs la formule de l’âme russe qu’Ukrainiens et Biélorusses antirusses renient purement et simplement. Je ne suis jamais allée en Biélorussie, sauf deux jours à Brest-Litovsk, et l’envie m’en passe au vu de telles considérations ; mais je suis persuadée qu’on retrouve les mêmes coutumes et les mêmes motifs de tissage et de broderies, symboles de fertilité, conjuration du mauvais œil etc. Qui plus est, on voyageait pas mal, par les grandes plaines et les forêts, pèlerins, marchands, cosaques ou même brigands, et le folklore aussi. Personne ne songeait alors, dans l’empire des tsars, à le revendiquer pour sa seule région.
La Biélorussie, comme l’Ukraine actuelle, sont des créations soviétiques entérinées par l’Occident via Eltsine pour affaiblir l’entité russe, le prochain stade étant de casser la Russie en deux selon l’axe de l’Oural et vous verrez que si cela se fait, ce qu’à Dieu ne plaise, avec une bonne propagande, les Sibériens dans vingt ans ne seront plus russes du tout, eux non plus. Comme en Ukraine, il y a sans doute des régions de Biélorussie occidentale qui se sentent plus polonaises que russes. Mais j’ai observé que même en Pologne orientale ce phénomène existait, en direction inverse. Ainsi je me suis arrêtée au monastère saint Onuphre, qui était russe depuis le XIV° siècle, et s’est retrouvé après la guerre, à son grand désespoir, en territoire polonais. Pour le monastère saint Onuphre, d’ailleurs, la Biélorussie, c’était la Russie…
J’avais rencontré ensuite un prêtre à Brest-Litovsk, il parlait russe, et pas biélorusse, et dans la bibliothèque qu’il s’occupait de monter pour relever le niveau culturel des populations, il mettait Tolstoï, Dostoïevski, Pouchkine et Gogol en version originale…
Au moment du démembrement de l’URSS, j’avais parlé avec une jeune Biélorusse qui était catastrophée par « l’indépendance » et me disait que personne n’y comprenait rien et n’avait rien demandé. Les Biélorusses ont eu de la chance, en un sens, car de tous les apparatchiks communistes pourris bombardés roitelets dans leur nouvelle petite république périphérique, il est le seul qui ait pris les intérêts de son fief en considération et conservé une sorte de société soviétique soft, ce qui était la meilleure chose à faire, dans le contexte actuel. A tel point que les Russes enviaient leurs voisins de l’avoir pour président. J’avais rencontré une Biélorusse dont le fils travaillait et s’était marié en Russie, comme foule de Biélorusses et d’Ukrainiens depuis la nuit des temps et aujourd’hui peut être encore plus que jamais.  La dame m’avait confié : « l’indépendance, au début, on était tous contre, mais finalement, on y trouve notre compte ». Mettons qu’aujourd’hui, le Pays d’Oc fasse sécession, avec par exemple, Robert Ménard de la République soluble dans l’UE et le Nouvel Ordre Mondial du traître Macron, et développe une politique nationale satisfaisante pour les habitants, dans 20 ans, il pourrait s’en féliciter, et le Pays d’Oc aurait bien plus de raisons historiques et culturelles de le faire que la Biélorussie.
De là à dire que les Biélorusses n’ont rien en commun avec les Russes… Alors bien sûr, quand l’histoire des gens et leur mémoire ne remontent pas au-delà de 1917, ou pire, de 1990, et que tous les liens sont rompus avec la culture et la foi de leurs ancêtres, on peut facilement prétendre une chose pareille. On dit bien aux Français, qui ont perdu tout lien avec leur passé et donnent à leurs gosses des noms américains, qu’ils doivent tout aux Arabes et que les héros de l’Iliade étaient noirs… Vous avez même des Russes qui renient leur histoire, sous l’effet d’une propagande inlassable, et mettraient leur pays avec joie sous tutelle internationale, je dirais que ceux-ci ne sont pas plus russes, en fin de compte que les Biélorusses ou les Ukrainiens revendiqués : ce sont là des mutants post-soviétiques, des serviteurs bien dressés du Nouvel Ordre Mondial. Car derrière le nationalisme régionaliste des uns et la haine de soi des autres, on discerne le même rejet général de sa spécificité, celle qui subsiste dans la foi orthodoxe, le folklore, la littérature et la mémoire commune. Vous remarquerez en passant que BHL, le principal soutien médiatique du maïdan ukrainien, en dépit du nationalisme des cavernes des banderistes et de leur symbolique nazie, se revendique auprès des Français qui eux, non plus que les Russes, n’ont pas le droit d’être nationalistes, comme cosmopolite et affirme, à la façon de Trotski, son mépris et sa haine de tout ce qui est local et folklorique, bref ce qui fait d’un peuple une famille et même une entité mystique. Je rappellerai à ce propos qu’il se place dans la droite ligne des bolcheviques. Ceux-ci avaient convoqué un « congrès panrusse des vielleux », des joueurs de vielle-à-roue (d’ailleurs majoritairement ukrainiens et biélorusses, et le congrès, là, il était « panrusse »), à seule fin de les arrêter tous et de les fusiller en masse, ce qui a pratiquement détruit cette tradition populaire. Je le tiens du grand folkloriste russe Starostine. Pourquoi leur fallait-il le faire ?

Si je regarde les vidéos des sermons du père André, du monastère sainte Elizabeth de Minsk, et les fidèles qui l’écoutent, je vois la sainte Russie. Je suis à la fois aujourd’hui et il y a cent ans et même cinq cents ans, je suis dans la sainte Russie. Si je regarde les grandes processions du lumineux métropolite Onuphre de Kiev, le métropolite lui-même, ses fidèles persécutés, je vois la sainte Russie. Tous ces croyants des trois Russie, qui n’ont pas perdu la mémoire, sont frères par leur histoire, par leur volonté, par le sang versé de leurs guerriers et de leurs martyrs, par les chemins séculaires de leurs pèlerins, par leurs nombreux saints, vénérés par tous, par leurs traditions, leurs cousinages, leur génétique, par l’âme russe qui n’a qu’une seule formule mélodique. Partout où j’entends résonner cette formule, où je vois ces moines et ces pèlerins, je suis en sainte Russie. Partout où j’entends les criailleries d’un nationalisme politique artificiel revendiquant la « démocratie » occidentale et les slips en dentelles au son du rock et du rap, je suis dans la modernité du poisson de banc voulue par BHL et consorts pour les idiots utiles. Ce qui attend les Biélorusses, s’ils se laissent mettre dans la tête ce qu’on a inculqué aux Ukrainiens, c’est de devenir un trou noir périphérique, avec une base américaine au milieu, des défilés LGBT, des usines à bébé, des filières de prostitution, des trafiquants et des mercenaires internationaux, administré par des oligarques à passeport israélien. Le stade ultérieur étant l’infiltration de migrants pour le métissage obligatoire annoncé par Sarkozy et mis en place chez nous à marche forcée, et là, adieu le joli dialecte biélorusse ou ukrainien, les chemises brodées et l’indépendance. Tous à la chaîne, tous sur le trottoir. C’est ça le programme, et pour le monde entier.

sainte Russie...

sainte Russie...

dimanche 6 octobre 2019

Mauvais goût

Première neige, mouillée, et elle ne tiendra pas. Mais enfin voilà, on passe à la dernière partie de l'automne. Il y a trois jours, je faisais une aquarelle au bord du lac dans un air suave et tiède. Ce matin, je suis partie à l'église en doudoune, et il va falloir sortir le sac d'hiver de Rita, qui est très frileuse. J'ai entrevu Katia, qui reçoit une copine de Moscou et revient de Sicile. Elle était très en forme, très jolie et discrètement maquillée, ce qui lui va bien.
Je suis allée ensuite au café Montpensier où Rita a été accueillie par son fan club et une écuelle de poulet. J'étais allée au café la Forêt la veille. J'y ai vu un Français, qui a suivi sa femme prise de mal du pays. Il est pêcheur, et trouve son bonheur à Pereslavl, il m'a dit avoir pêché 60 poissons en une seule fois. Pourquoi autant? Il me semble que si je pêchais, je prendrais juste de quoi manger. C'est la mentalité contemporaine...
Auparavant, j'étais allée à pied à l'embouchure de la rivière, près des quarante martyrs, c'est un endroit qui vaut à lui seul le coup de vivre à Pereslavl. Mais la pluie m'a accompagnée, ce qui a compromis mon aquarelle de l'ambiance nordique à l'horizon. Il y a des bateaux et des mouettes, comme sur la côte en France, mais c'est un lac nordique violacé, verdâtre, avec des nuages lourds où des taches d'azur résiduelles s'enchâssent dans l'or et la nacre. Il sera sans doute bientôt gelé, mais les canards glissent encore avec élégance sur ses eaux de plomb.
Ces changements atmosphériques m'ont épuisée, en revenant de l'église, j'ai dormi deux heures.
J'ai eu un échange avec des Russes sur une page facebook consacrée à la restauration de la vie paysanne. C'est-à-dire que voyant une photo de village avec un abominable toit bleu façon hangar de centre commercial, j'ai poussé un cri du coeur: "Encore ce bleu vénéneux, y a-t-il encore un endroit en Russie où il ne blesse pas le regard?" Manque de bol, c'était la maison de la fondatrice du groupe et j'ai provoqué un tollé. Une  journaliste (journaliste!) d'un organe de presse important ne voyait pas le problème et m'a vanté son toit rouge qui est probablement encore pire, car le rouge sang de boeuf rutilant fait généralement écho partout au bleu cuvette de plastique dans les malheureux paysages russes défigurés. Une troisième nana m'a objecté que ces toits étaient "bleus comme le ciel". Hé oui mais non... justement! Un toit de ce bleu suffit à tuer le ciel entier, toutes les maisons autour, les arbres, tout ce qui vit, respire et porte les couleurs subtiles de la vie est anihilé par un pareil toit, comme le sont les sons mélodieux de la nature par la radio que met à fond le fils du voisin quand il bricole sa voiture dehors. Le problème est que les descendants de ces paysans géniaux, qui avaient une architecture et des arts décoratifs absolument féériques, sont dénaturés par un siècle de modernité imposée à coups de pied au cul, et même quand ils veulent "restaurer la campagne", ils ne savent pas l'observer, lire les signes laissés par leurs ancêtres, leur âme est bétonnée et plastifiée, imperméable, la sève et l'eau vive ne passent plus. Il faut dire que lorsque j'avais visité Moscou en 1973, j'avais été effarée par la laideur de ce monde soviétique, les maisons, les meubles, les vêtements, les gosses habillés n'importe comment, ça laisse des traces. Et les maternelles où on élevait ces gosses, j'ai connu cela dans les années 90, ces coloriages gnangnans, ces affreux petits objets qu'on leur faisait fabriquer, ce mauvais goût désespérant... Il paraît que la femme du père Vsévolod Schpiller, émigrée revenue avec son mari au pays dans les années 50, souffrait plus que tout de ce fantastique mauvais goût contre lequel elle n'arrivait pas à lutter, car même dans l'aménagement de son propre appartement, elle ne disposait que des horreurs en vente dans les magasins de l'époque.
J'ai essayé de rattraper ma gaffe sans me dédire.. C'est sûr que je ne voulais pas faire de la peine à la dame si fière de son toit bleu... Mais ici, c'est ce qui me déprime le plus, cette lèpre galopante de la laideur contemporaine fantasmagorique. En France nous en avons jusqu'ici moins souffert, mais les démons qui nous gouvernent sont en train de s'occuper de Paris, comme les bolcheviques ont saccagé Moscou et pratiquement toutes les villes russes...
Sérioja Lochakov m'a apporté son soutien d'architecte, dans cet échange! Cela dit, la journaliste, par exemple, ne s'attend sûrement pas à voir ce genre de toits dans les pittoresques villages d'Europe où elle va peut-être passer ses vacances...
Cette question du mauvais goût, inconnu au moyen âge et introduit par la société industrielle, a pour moi des prolongements métaphysiques, elle n'est pas du tout anodine, comme le pensent beaucoup de gens qui ont grandi dedans. Milan Kundera avait écrit qu'on allait à l'église, en Tchécoslovaquie communiste, pour trouver un peu de beauté. Et aussi, que la laideur du monde contemporain était telle que si tout à coup nous le voyions tel qu'il est sans les lunettes de l'habitude, nous deviendrions fous de terreur. Et une de mes amies me disait à propos des villes du midi de la France, au centre pourtant préservé, que si elles nous apparaissaient telles qu'elles étaient il y a cent ans, nous nous mettrions à pleurer.Je n'ai jamais eu ces lunettes de l'habitude, et j'ai au contraire entraîné mon regard à voir, à voir pleinement, toute ma vie, mon regard est un trou béant sans défense . Je ne suis pas devenue folle parce que j'ai la foi, mais j'ai souvent envie de pleurer...

sur le chemin du lac, j'ai rencontré un tigre abandonné!

un canard profite des derniers jours d'eau fluide

Sibélius ou Arvö Part...

Les bateaux, les mouettes, mais ni Raimu ni Fernandel...


samedi 5 octobre 2019

L'Orthodoxie et la modernité


 

Quelqu’un m’a adressé cette information où, sans parler de l’apparence de jésuite propre sur lui du charmant conférencier, à elle seule assez parlante, je lis personnellement des tas de choses entre les lignes, les dernières, qui définissent le propos de la conférence..

« Ces difficultés (invasions, conquêtes, pouvoir soviétique) ont eu comme conséquence un certain isolement des orthodoxes,
Et une certaine méfiance envers les occidentaux. »
Là, il est tout de suite visible qu’on le déplore. On déplore et l’isolement, et la méfiance. Or moi, en tant qu’orthodoxe convertie, je considère qu’en fin de compte, tous ces événements ont été voulus par Dieu pour préserver les orthodoxes le plus longtemps possible de l’influence occidentale qui a, d’une part dénaturé en partie l’orthodoxie et d’autre part, introduit dans l’empire russe des idées regrettables qui ont conduit à la révolution.  Quant à la méfiance,  elle est bien naturelle, quand on considère le sac de Constantinople par les Croisés, la campagne des chevaliers teutons contre la Russie arrêtée par le saint prince Alexandre Nevski,  lequel Alexandre Nevski, plutôt que de se soumettre au pape, a préféré les Tatars: il suffisait de leur payer tribut pour avoir la paix, pratiquer sa foi et conserver ses us et coutumes. Alors qu’en choisissant le pape, la Russie aurait perdu l’une et les autres. Ensuite, avec la conquête polonaise de la Petite Russie, on a vu arriver le cheval de Troie uniate, destiné à convertir les orthodoxes de force, et cette politique occidentale, comme l’a montré le théologien grec Théodore Zissis, est encore appliquée en Ukraine de nos jours, sous une autre forme, et avec la complicité enthousiaste du patriarche Bartholomée.  Il y a encore les exactions hallucinantes de cruauté commises par les Croates catholiques contre les Serbes pendant la guerre. Donc des raisons d’être méfiants, les orthodoxes en ont eu de très sérieuses.
 Pour en revenir à l’isolement, et en ce qui concerne la Russie, je dirais que grâce à cet isolement, dû aux Tatars, aux dimensions du pays, à sa nature inhospitalière, elle a développé une culture extrêmement originale avec des éléments d’une insondable antiquité, qu’à mon avis aucun peuple européen n’a pu conserver à ce point, culture qui fut par la suite ignorée et méprisée de la noblesse occidentalisée, béate d’admiration devant l’efficacité des protestants et « l’art » des catholiques, les idées des « Lumières » et la franc-maçonnerie, mentalité que l'on retrouve aujourd'hui chez les libéraux.  Les pays orthodoxes ont échappé à la Renaissance, ce retour en arrière à un paganisme hellénistique décadent et à des antiquailleries que la vivacité et la spontanéité du moyen-âge chrétien avaient dépassées tout en les intégrant naturellement.  La Renaissance qui vit surgir l’hérésie protestante de l’hérésie catholique, l’esprit bourgeois et capitaliste, ennemi de la communion chrétienne, de la société organique naturelle où tous les éléments sont reliés et complémentaires, comme dans une cathédrale, de la conception cosmique et traditionnelle du monde, du désintéressement, du don. Un esprit matérialiste, rationaliste, prométhéen, terriblement efficace, d’ailleurs, puisqu’il est la marque de ce monde, dont nous savons qui est le prince.  Je ne vois pas comment on pourrait regretter d’avoir été tenu à l’écart de tout cela, sauf à être soi-même dénaturé, surtout quand on voit, et cela se voit maintenant d’une façon éclatante, quel gigantesque asile de fous totalitaire cette civilisation finit par mettre en place. Que pour survivre les peuples orthodoxes aient dû plus ou moins « se mettre au niveau » technologique de cette civilisation satanique et mortifère mais très puissante, était peut-être inévitable aux yeux de leurs dirigeants. Mais l’Eglise n’a pas à participer à cela, sauf à se renier, et nous en arrivons au deuxième point de la conférence annoncée :

Le modèle des Eglises autocéphales nationales a rendu aussi difficile le cheminement des Orthodoxes vers la modernité.
Là, ce qui me vient immédiatement à l’esprit, c’est pourquoi les orthodoxes doivent-ils cheminer vers la modernité ? Comment un prêtre peut-il envisager un cheminement orthodoxe vers la modernité ? Il me paraît clair que si l’Eglise a un chemin, c’est vers le Christ, son second avènement et l’Apocalypse, avec le souci d’y parvenir entière, intacte, en conservant le plus de brebis possibles à l’écart des gouffres de perdition. La modernité n’a absolument rien à voir là dedans, ou plutôt, elle est précisément LE gouffre de perdition number one, ce n’est plus un gouffre, d’ailleurs, c’est même un maelström ! Cela devrait être visible à tout chrétien authentique, ce l’était aux yeux de tous les grands saints orthodoxes du XX° siècle. Aucun ne nous a prêché de cheminement vers la modernité. Je vois ici le titre d’un livre de saint Païssios l’Athonite que j’ai sous la main : « Avec crainte et douleur pour le monde contemporain »… De toute évidence, saint Païssios ne cheminait pas vers la modernité. Moi non plus. Quand j’ai choisi l’Orthodoxie, je n’ai pas choisi la modernité, j’ai choisi la Tradition et l’Eternel Présent qui est l’écume d’un passé toujours vivant, ce que ne me donnait pas le catholicisme romain ni le monde dans lequel j’étais née, progressiste, effréné, superficiel, artificiel, égoïste, de plus en plus hideux et vulgaire. Si on tient à cheminer vers la modernité, ce n’est vraiment pas la peine de devenir orthodoxe ou de le rester, il suffit d’être protestant, ou catholique de gauche, il est vrai que le fin du fin, pour ceux-ci comme pour les orthodoxes sympathisants, serait de faire de l’orthodoxie quelque chose de comparable, avec quelques icônes et de jolis chants… «L’orthodoxie intelligente et occidentale » dont m’a cassé les oreilles un jour une adepte de cette dérive. La modernité est certes une donnée dont on est forcé de tenir compte, malheureusement, mais pour faire face aux problèmes qu’elle pose, car elle pose surtout des problèmes, il existe la fameuse « économie » qui fonctionne si bien dans l’orthodoxie. Ainsi aujourd’hui, les femmes font des icônes, ce qui ne leur était pas permis, sans doute à tort, au moyen âge. Mais ce genre d’aménagements survient, sans toucher à l’essentiel, sous la pression de l’histoire, de façon organique.
Ici je bute sur le premier élément de la phrase que j’avais laissé pour la fin : le modèle des Eglises autocéphales. C’est le modèle des Eglise autocéphales qui nuit au glorieux cheminement des Orthodoxes vers les lendemains qui chantent de la modernité. Ce modèle des Eglises autocéphales tellement mis à mal par le patriarche Bartholomée, qui s’affirme en tant que pape orthodoxe, dans l’affaire ukrainienne. C’est vrai que ces Eglises autocéphales de Serbes, Roumains et levantins arriérés, toutes ces structures défendues au fil des siècles par le sang des martyrs, des saints princes et guerriers locaux, contre les divers musulmans, tatars, ottomans, polonais, oustachis, croisés, chevaliers teutons, ça fait désordre, ce n’est pas compatible… avec quoi ? Je vous laisse vous poser la question et tirer vos conclusions, cela vaut vraiment la peine d’y réfléchir.
Pour moi, qui suis une arriérée assumée, la réponse est claire. Les Eglises autocéphales qui constituent l’Orthodoxie, la vraie, sont une fâcheuse persistance d’un état d’esprit archaïque normal dans un monde complètement perverti, abruti et confus que des oligarchies pas si occultes que ça sont en train d’organiser en société globale sous l’autorité d’un gouvernement mondial. Il ne paraît pas si difficile d’atomiser les plus petites d’entre elles, mais l’Eglise russe est un plus gros morceau, et c’est la seule qui n’est pas au pouvoir politique et militaire de l’OTAN, le gouvernement de son pays ne l’étant pas encore non plus. C’est là que l’infamie commise en Ukraine apparaît dans sa vraie perspective.
Aux foules de consommateurs et d’esclaves amnésiques ébahis sur lesquelles entend régner ce gouvernement mondial, il faut une religion syncrétique pour sous-hommes, projet décrit dans les années 80 par le père Séraphim Rose dans son livre « l’Orthodoxie et la religion du futur ».
S’il ne reste plus que deux papes en lice et que les Eglises locales « arriérées » sont soumises à celui de Constantinople, la « religion du futur », la communion arc-en-ciel dans l’extase œcuménique des confessions « intelligentes et occidentales » pourra commencer à se constituer.
Traitez moi de complotiste, si vous voulez. Je sais déjà que si par malheur le patriarcat de Moscou pliait devant ce projet, ce qu'à Dieu ne plaise, j’irais retrouver les vieux-croyants, ce serait pour moi la preuve éclatante qu’ils étaient dans le vrai, ce que je crois déjà à beaucoup d’égards.


mercredi 2 octobre 2019

Thuyas

Les nouvelles de plus en plus affreuses me semblent un songe maléfique dès que je regarde par la fenêtre mon paisible paysage russe. Je suis partie avec Ritoulia me promener dans le vent chargé de pluies bleues et de rayons d'or. Le long de l'ancienne berge du lac on a commencé à brûler les ordures, ce qui dégageait dans l'air humide de nauséabonds relents de plastique.On a mis deux pancartes comminatoires pour rappeler aux malotrus de ne pas prendre la nature pour une décharge. C'est bon signe.
J'aime particulièrement ce temps très court où, devant l'imminence de l'hiver, les arbres font une fête de plus en plus frénétique, et dans leurs atours déchirés d'or et de pourpre, se donnent en titubant, ivres du sommeil qui les gagne, au vent encore doux qui leur vole des feuilles au passage et fuit à ma rencontre, me secoue et me laisse. J'ai alors du mal à croire que je suis déjà si vieille et que je traîne la patte, et devant le ciel béant, j'essaie d'évaluer ce qui m'attend, d'en prendre la mesure, comme d'une robe beaucoup trop grande, et beaucoup trop splendide.
Les prés prennent des tons de brocart ou de tapis précieux, avec des moirures d'un or écaillé qui se fane et luit. Le ciel tombe dans le miroir des flaques. Les saules deviennent de grosses mongolfières vaporeuses et cuivrées que retiennent au sol des branches noires enchevêtrées, on les dirait prêts à partir vers ces montagnes d'air et ces gouffres bleus qui s'ouvrent.
Je pense à ceux qui ont parcouru Pereslavl et le hantent toujours à mes côtés, le prince Alexandre. Le tsar Ivan et Fédia. Comme s'ils m'avaient conduite ici, et m'accompagnaient, invisibles. Quand j'ai commencé à les aimer, à les laisser me séduire et me terrifier, j'avais quinze ans, c'était il y a tellement longtemps, sans doute ne me voient-ils pas vieille, ils accompagnent la fille de quinze ans, et c'est sans doute cette adolescente qui franchira, chassée d'un corps de moins en moins ressemblant et de moins en moins habitable, le seuil mystérieux d'un monde inimaginable.
J'ai fait une aquarelle, en essayant de ne pas traîner, pour ne pas être prise sous une averse. Ritoulia ne raffole pas de mes expéditions cosmiques, elle s'assied, et attend que je la mette dans le sac-à-dos. Ce qui lui plaît, c'est la direction du café français, les rues, les passants, voir du monde et se faire admirer et gâter.
J'ai eu tout un échange sur mes thuyas, avec visiblement, un jardinier compétent et raffiné, c'est vrai, le thuya, c'est con, mais cela vient aussi beaucoup de la façon dont on l'utilise, et ici, la gageure est d'arriver à faire quelque chose de joli avec ce qu'on trouve et avec des artisans qui ont un goût immonde. Ne pouvant planter des sapins ou des mélèzes qui deviennent énormes, ni des saules pour la même raison, et en plus ils perdent leur feuilles, je me suis rabattue sur l'affreux thuya dont raffolent les Russes. Mais ma surface de thuyas est assez limitée, il s'agit juste de créer le plus vite possible un écran persistant entre ma maison et celle du voisin qui est, disons, très présente...
Curieusement, ces thuyas ne me déplaisent pas tant que cela. Ils prennent un air ébouriffé, car ils poussent comme ils veulent, et créent des éléments verticaux, quelque chose qui m'évoque les cyprés du midi. En hiver, chargés de neige, ils ploient gracieusement sous ce blanc vêtement. Bien sûr, au lieu de suivre le conseil de la paysagiste, je pourrais intercaler autre chose entremi, mais quoi? autre chose de vertical, évidemment.

Lorsque j'ai planté le thuya du milieu, il y a trois ans, il était de la taille de celui de droite. Il a doublé. Il me semble qu'un écran vert n'est pas superflu. 




mardi 1 octobre 2019

Ronces


Hier, une dame qui vend parfois les cierges à l’église m’a proposé de venir chercher des plants de ronce. La ronce, qui pousse partout en France, est ici beaucoup plus rare, et moins envahissante. Mais elle donne des mûres, et j’adore les mûres. J’en mangeais le long des chemins de Cavillargues quand on n’avait pas massacré les ronciers. Les ronciers servent d’abris aux rossignols, raison pour laquelle mon beau-père en laissait toujours un de l’autre côté du mur de la ferme. J’ai des endroits pourris où je ne peux rien planter, des recoins vides, j’y ai lâché des ronces, j’espère que ce ne sera pas trop humide.
Cette dame est biélorusse, plutôt sympathique. Son quartier est ravagé par les maisons hideuses, prétentieuses , énormes qui ont l’air soit de bâtiments administratifs, soit de châteaux d’opérettes. Je me suis extasiée sur la fenêtre sculptée d’une isba branlante : « Elles disparaissent toutes, me dit-elle. Vous savez qu’en Biélorussie, le gouvernement à donné une maison à mes enfants et à leur famille, une maison neuve, en bois, avec des fenêtres et des planchers en bois, et vous savez ce qu’ils ont fait ? Ils ont mis des fenêtres en plastique et du parquet flottant ! »
Chez nous, on met des fenêtres en plastique et du parquet flottant parce que le bois revient trop cher. Ici, ils trouvent que le plastique et le parquet flottant, c’est le comble du chic, ça fait riche et moderne.
Parfois, je pense à la ville ravissante qu’a été Pereslavl pendant près de mille ans, et puis la révolution en a ravagé une partie, la modernité a rendu les gens fous, les a déconnectés de leur tradition et de leur nature, et ce qui restait encore pittoresque il y a vingt ans devient monstrueux et absurde, non plus une ville mais une « agglomération » de baraques disparates et contrefaites, qui ne tiennent pas compte les unes des autres et bourgeonnent comme des tumeurs, à l’image du monde engendré par le progressisme matérialiste et des âmes mutilées qu’il a élevées, coupées les unes des autres, mal nourries, mesquines, envieuses et insatisfaites.
Au café français, Valia, qui est communiste, m'a dit que son grand-père avait été "dékoulakisé" mais n'en tenait pas rigueur au régime soviétique. Ca existe. Soljénitsyne parlait de prisonniers du Goulag qui, ne comprenant pas en quoi ils avaient trahi la cause, continuaient à lui vouer tout leur être. Le grand-père de Valia s'était vu confisquer par le pouvoir soviétique le joug sculpté et décoré de l'attelage de ses noces...
A Férapontovo, je ne peux pas dire que les braves gens du coin gardent un bon souvenir de la dékoulakisation. Ils m'en ont parlé dans les termes les plus négatifs et les plus énergiques. Valia met les horreurs sur le compte des dénonciateurs. C'est le grand argument, les coupables des dérapages sont les gens qui dénonçaient et pas le gouvernement qui les encourageait à le faire. Etrange démarche d'esprit, l'esprit idéologique dont mon oncle Louis disait "on est communiste comme on est boîteux". Ainsi chez nous, certaines demoiselles formatées par la gauche, violées en bande par plusieurs migrants, craignent de faire preuve de racisme en allant porter plainte, c'est un effet de ce que dans les années soixante-dix on appelait la misère sexuelle des immigrés.... La mentalité idéologique fait accepter n'importe quelle monstruosité, et lui trouve toujours des justifications.
Valia nie aussi les ravages de la pollution, tout ça c'est des histoires pour nous faire oublier les inégalités sociales. Et certes, comme dans tous les domaines, les pervers du Nouvel Ordre Mondial commencent à manipuler le truc avec la poupée Greta, tandis que par ailleurs, en France, les usines s'enflamment les unes après les autres, mais de là à affirmer qu'il n'y a pas de problèmes... Il faut dire que pour ce qui est de ravager le milieu naturel, les soviétiques n'étaient pas en reste, voir la mer d'Aral, entre autres. Valia me dit qu'elle est chimiste et m'assure qu'un sac en plastique s'autodétruit en un mois et demie. Pas dans mon jardin, où j'en retrouve enfouis dans le sol depuis plusieurs années.
J’ai appris que le topinambour, outre beaucoup d’autres vertus, avait celle d’exterminer la berce du Caucase, dont l'invasion est encore dûe à une trouvaille d'un fonctionnaire soviétique. J’ai donc commencé à transplanter  tous les topinambours donnés par la chevrière Nadia  dans les endroits infestés de berce. Le topinambour est esthétique, comestible, il assainit l’air et le terrain.
J’ai acheté à Nadia des œufs et du fromage de chèvre, et constaté qu’un des gosses qui s’invitaient chez moi était son petit-fils. Il est revenu avec le petit voisin Vania, mais ils se conduisent mal. 
Des nuages lourds de pluie se déroulent au dessus des moutonnements dorés des saules, leur houle bleue, soulevée par un vent violent, s’abat en gerbes liquides sur nos jardins parés de rouge et de jaune, où subsistent quelques fleurs tardives.
Ekaterina Igorovna, la femme de lettres, est venue avec une copine. Je croyais que c’était pour me la présenter, mais c’était pour me faire bénéficier de ses conseils de paysagiste. Or mon grand plaisir est d’organiser mon terrain en faisant toutes sortes d’expériences, et je n’ai pas trop envie qu’on vienne s’en mêler. Elle m’a cependant dit que je pouvais encore rajouter deux thuyas entre ceux que j’ai déjà plantés, et qu’ils ne seraient pas trop serrés mais me feraient plus vite une haie. Cela cache la maison voisine et fournit un écran vert persistant aux feuillages dorés de l'automne. C’est aussi la seule verdure que je garde en hiver.
J’ai réussi à rattraper l’icône pour le rhumatologue, qui partait mal,  et elle est presque finie, Dieu merci; il me l'avait commandée en échange d'une infiltration gratuite! Elizabeth, paroissienne de Solan, m’en a commandé trois, et Cécile une…
Mais c'est une chance, je me sens à nouveau capable d’en faire, plus ou moins. C’est drôle, le tsar Ivan commence à me laisser tranquille. Je continue à prier pour lui et pour Fédia tous les jours. Je suis persuadée qu’avec mon livre, j’ai fait quelque chose pour eux que je devais accomplir, et qu’ils avaient besoin des prières que j’adresse en leur faveur; je veux dire que naturellement, ils en avaient besoin, avec tout ce qu’ils ont sur la conscience, mais que cela a changé la situation et l’état de leurs âmes. A un moment, l’âme du tsar exerçait sur moi son pouvoir et sa séduction, sur qui d'autre encore lui était-il loisible de le faire? Elle ne le fait plus, elle semble avoir trouvé une sorte de paix, en renonçant à perdre la mienne.


dimanche 29 septembre 2019

Des feuilles et des pensées

Les canards profitent des derniers rayons tièdes

Il a fait beau, et même pas très froid, je suis allée hier à pied, avec Ritoulia, au café français, en jouissant de la lumière dorée sur les feuillages, des reflets sur l’eau de la rivière. Elle était très contente, gaie comme un pinson, elle me rappelle plus Joulik que pauvre petit Doggie; c'est une joyeuse coquine. Je suis bien, ici, je ne vais plus me décider à mourir, et pourtant, je n’ai plus tant d’années devant moi, il faudra finir par y penser.... Je suis bien, parce que psychologiquement, je vivrais mal de voir mon destin dépendre de l’Europe, de l’Occident, infédoés complètement à la caste supranationale qui détruit les peuples, leur culture, leurs traditions, leur foi, leur psychisme, leur mémoire et d’une manière générale, la vie dans son ensemble. Et je n’ai pas ici de dilemme concernant le patriarche Bartholomée et ses paroisses  en France, puisque je suis dans la juridiction du patriarcat de Moscou. Je soutiens, avec Dany, l’archevêque Jean, qui, depuis la dissolution de son archevêché par Bartholomée, a décidé de rejoindre le patriarcat d’origine des paroisses russes dissidentes depuis les années 30. Lire ce que racontent ses opposants, souvent d’une grande agressivité et d’une immense mesquinerie, est une véritable épreuve. Et même ces considérations sur l’orthodoxie française, sur l'orthodoxie "intelligente et occidentale"… Pour l’instant, elle est diluée dans les différentes juridictions des différentes diasporas, à vrai dire, les seules structures destinées dès le départ à devenir « l’orthodoxie française » sont les monastères athonites du père Placide, fondés dans ce but par Simonos Petra. Et c’est en effet une réussite, que je soutiens pleinement, mais le mont Athos est sous l’omophore de Bartholomée, du reste, toutes les Eglises locales sont plus ou moins sous le contrôle de l’Empire, qu’elles coopèrent ou non, elles lui sont en tous cas soumises avec les populations qu’elles représentent, seule l’Eglise russe conserve encore, avec son pays, son indépendance vis-à-vis du Nouvel Ordre Mondial  et de la « religion du futur » qu’il médite de fabriquer. (cf https://www.amazon.fr/LORTHODOXIE-RELIGION-FUTUR-ROSE-SERAPHIM/dp/B00Q73ET2E en anglais et en français, traduit  autrefois par moi-même bénévolement et comme j'ai pu...)
Cet archevêque Jean m’a vraiment étonnée. Je l’avais vu au monastère saint Silouane, un gentil bonhomme, qu’on pouvait penser faible, et il a résisté comme un lion à des pressions énormes. Il m’apparaît  comme le pendant occidental du métropolite Onuphre. On dit que le métropolite Philippe de Moscou était lui aussi du genre très conciliant, et il détestait les conflits, mais il a défendu les principes de l’Eglise jusqu’au martyr, face à Ivan le Terrible.
A ma grande joie, le monastère saint Silouane a rejoint Moscou, de sorte que je reste en complète communion avec mon amie mère Geneviève. C'est déjà ça.
La France, après l’incendie de Notre Dame, que je crois volontaire, et les tonnes de plomb qui se sont répandues dans l’atmosphère parisienne, est victime d’une catastrophe écologique énorme, à Rouen, une usine d’hydrocarbures a explosé, un énorme nuage ténébreux et puant a recouvert le ciel, les clichés de la ville évoquent un cauchemar de science-fiction, ou une représentation médiévale de l'Apocalypse..:Toute la région étouffe dans les vapeurs d’essence, il pleut du pétrole dans les jardins, sur les fleurs, sur les légumes, les poissons et les oiseaux meurent par milliers, mais la presse osait titrer que « le nuage était un peu toxique, mais pas trop »…
J'ai lu le témoignage d'une jeune mère qui s'est enfuie à Paris avec ses enfants, chez sa soeur, loin de l'atmosphère empoisonnée et des spectacles de désolation. Ma compassion épouvantée s'accompagnait, comme d'habitude, d'impuissante colère. L'usine appartient à un gredin richissime et au dessus des lois, qu'importent la vie et le destin de ces pauvres franchouillards?  Dès que j’ai vu le candidat Macron, j’ai su que c’était la fin des haricots, le traître intégral, l’exécuteur des basses œuvres, qu’on nous le propulsait à la présidence pour achever le pays. J’aurais voté pour un crocodile plutôt que pour lui. Il sent la mort et le souffre.
Je me suis poussée pour aller à l’église communier. C’était l’évêque qui officiait. Aucun de nos prêtres habituels n’était là, ni père Constantin, ni père Andreï , ni le nouveau dont je ne connais pas le nom. Je me suis demandée s’ils étaient tous malades. Un jeune prêtre de l’entourage de l’évêque est venu assurer les confessions. Je déteste me confesser à des prêtres inconnus, mais j’ai tort, car j’ai souvent de très bonnes surprises. Le jeune prêtre m’a dit que je ne devais pas m’affliger d’avoir à lutter pour prier et me rendre à l’église, parce que la vie du chrétien est un combat, que j’étais un soldat du Christ. « C’est normal, vous êtes une adulte spirituelle, alors les choses sont plus dures, et le plus dur de tout, c’est de se débarrasser des mauvaises habitudes pour les remplacer par des bonnes. »
Monseigneur Théoctyste a distribué sa bénédiction, que nous attendons tous, parce que nous l’aimons. Sur son passage, les fidèles fondent, les sourires s'épanouissent. Dans notre monde ignoble, les seuls princes qu'il nous reste sont ceux de l'Eglise, ces princes qui mettent des étoiles dans les yeux des enfants. Quand je viens à l’église , la cathédrale ici ou la paroisse du père Valentin à Moscou, je me sens pleine d’amour pour tout le monde et j’ai l’impression que tout le monde m’aime.
J’ai appelé Cécile, car j’ai maintenant Skype sur mon portable ; c’est facile, pas cher et ça marche. Tout d’un coup, je retrouvais Cavillargues et Solan. J’ai beau me plaire ici, je me plaisais aussi là bas, et j’y ai laissé des gens que j’aimais beaucoup. Il m'arrive, lorsque je prie en français, de revoir tous ces chemins que j'aimais, le chemin de la Condamine, la route de Saint-Pons-la-Calm, Mas Carrière... Mais je me plais ici, je me fais même au climat, et j’apprécie cet automne qui ressemble à celui des livres de lecture d’autrefois, avec de gros nuages, des feuilles qui volent, des arbres dorés: « colchiques dans les prés », la chanson que j’aimais brailler dans la voiture de mon grand-père. D’ailleurs, des colchiques, j’en ai. On m’en a donné au printemps, je ne savais pas ce que c’était, c’en est, ils fleurissent en ce moment.



L’automne transparent
Semant ses monnaies d’or,
Comme aux sacres d’antan
Nous déploie ses trésors.

Et sur le ciel lavé
Passe un air déjà froid
Qui s’en vient préparer
Le retour des frimas

Et les frêles bouleaux
Aux diadèmes dorés
Se lancent des oiseaux
A partir déjà prêts

De tristes fleurs s’en vont
Frileuses et fanées
Des beaux jours moribonds
Déjà bien endeuillées.

Mon automne s’étire
Tardant à me laisser
Et chaque jour empire
Notre monde écharpé.

L’hiver qui nous arrive
N’aura pas de printemps
Sinon sur l’autre rive
Qu’il faut gagner à temps.

Trompette archangélique
Sonne donc au plus tôt
L’avènement mystique
Qu’attend notre troupeau

Ouvre tes grandes ailes
Michel au glaive d’or
Que renaisse sous elles
La terre mise à mort.



 
Le tableau de Sacha Pesterev est en place...





jeudi 26 septembre 2019

Une visite


Saint Nicolas, icône émaillée de Tatiana Kissileva
J’ai vu arriver hier les Lochakov, Sérioja et Tania, lui est architecte, elle fait des icônes émaillées. Ils habitent dans la région de Moscou, ce sont des amis du père Valéri et de Soutiaguine, leur fils Thimothée était venu à Cavillargues, où il avait noué amitié avec le boucher local. Sérioja a été très beau, d’après ses photos de jeunesse, et maintenant, il a l’air d’un digne boyard à grande barbe. C’est un bon vivant ! Je les ai emmenés au café Montpensier, où la cuisine est russe, comme on pourrait ne pas le penser.  De la bonne cuisine russe, Tania et Sérioja étaient contents ! Auparavant, ils s’étaient pris un petit déjeuner au café la Forêt…

Ritoulia est comme chez elle, au café Montpensier. Chaque fois qu'elle vient, on lui donne du blanc de poulet, et elle va le réclamer avec beaucoup d'impudence.

Nous avons discuté restaurations d’églises et de monuments, puisque après les déprédations soviétiques, tout ce qui reste s’écroule, ou est détruit, ou défiguré ou « reconstruit à l’identique ».  Les fonctionnaires russes méprisent leur pays et sa culture, mais pas seulement eux. D’après Sérioja, une partie des prêtres bée d’admiration devant les Grecs  et méprise l’architecture russe ancienne si originale que nous aimons tous les trois. Il fait remonter cela au schisme du XVII° siècle, et il a probablement raison. Chose étrange, j’ai eu un échange avec le rédacteur de « Thomas, la revue orthodoxe à l’usage de ceux qui doutent », Vladimir Gourbolikov, sur le même thème ; à savoir que le massacre de la Russie a commencé avant les soviétiques. D’une certaine manière, nous avons eu aussi cela en France, où après la Renaissance, on s’est mis à mépriser le moyen âge au nom de l’imitation imbécile des antiquailles retrouvées, alors que celles-ci avaient été absorbées et transfigurées par les siècles chrétiens ultérieurs.  Il semble que pour certains prêtres, toute l’Eglise russe antérieure au schisme soit un peu devenue schismatique; alors que c'est en partie probablement le contraire. Au XVII° siècle, la Petite-Russie, sur le territoire de l’actuelle Ukraine, s’est rattachée à la Russie avec deux siècles de domination polonaise derrière elle et la regrettable influence catholique qui allait avec, et qui s’est reflétée dans la théologie et l’art religieux de la Russie orthodoxe. On fit venir massivement des prêtres de là bas, qui ne connaissaient plus rien à l’iconographie et raffolaient des compositions musicales occidentales. L’un de ces prêtres a ouvert une fenêtre au milieu du jugement dernier de Dionysi à Ferapontovo. On y a aussi remplacé les coupoles d’origine, pures et simples, par des bulbes contournés qui rappellent le baroque autrichien, et supprimé les rangées de « kakochniks », de décorations qui rappellent les coiffes traditionnelles russes. Serioja m’a fait observer que le même traitement avait été infligé au XIX° siècle à une église du monastère saint Daniel, qu’il a visité avec moi, mais à ce moment-là, c’était un peu une mesure d’urgence destinée à sauver les vieilles églises en leur mettant  un toit en zinc pour leur éviter de s'écrouler. D’après lui, les Romanov voulant incarner la troisième Rome, ont effectué les réformes à l’origine du schisme pour se rapprocher des Grecs. Pierre le Grand ne s’intéressait qu’à l’étranger et aux étrangers, d'ailleurs, c'est le seul souverain européen à avoir donné un nom étranger à sa capitale créée de toutes pièces... Alors qu’Ivan le Terrible avait beaucoup construit, et avec goût, dans le style russe, lui n’a fait que copier de façon servile son occident tellement envié et admiré. Il a humilié et asservi l’Eglise, considérablement aggravé le servage ; indifférent aux arts, il ne s’intéressait qu’à la technique, et si sa légitimité n’avait pas tenu à sa qualité de tsar orthodoxe, je pense, et Sérioja aussi, qu’il serait devenu protestant. Dans la foulée, la Russie a été pratiquement colonisée par les allemands, le XVIII° siècle russe a été peut-être aussi destructeur pour la culture du pays que la période bolchevique, l’iconographie était oubliée, et la liturgie infestée de chants religieux italianisants, pleins de fioritures. La grande Catherine ne prisait que l’art académique et baroque, elle avait mis au rebut une iconostase d’Andreï Roubliov et voulait entièrement, d’après Gourbolikov , refaire le Kremlin de Moscou à l’occidentale. Bref tout cela préparait admirablement la révolution, avec une aristocratie coupée de son peuple et méprisant sa propre tradition. Il est vrai que le XIX° siècle a peu à peu renoué avec cette tradition, et l’art populaire russe était devenu une grande source d’inspiration chez les peintres et décorateurs de la fin du XIX° siècle et du début du XX°, mais après, la révolution a éclaté…
On peut dire en somme que les Russes, protégés finalement par l’invasion mongole et le blocus polonais et hanséatique, ont chopé nos virus à la fin du XVII°, et que leur pays est tombé gravement malade du progressisme matérialiste  un siècle et des poussières après le nôtre.
La tradition russe se conservait dans le folklore, et dans le nord. Dans le nord, au XVIII° siècle, quand Pétersbourg alignait les pâtisseries baroques, on construisait encore des merveilles comme Khiji.  C’est pourquoi j’aime le nord, plus fidèle à lui-même. Serioja et Tania le parcourent régulièrement et m’ont donné des directions touristiques.

Sérioja, Tania et Ritoulia au café Montpensier