On annonce et perçoit un réchauffement, et voyant pointer le soleil, je suis allée au lac. L'atmosphère était complètement différente, nacrée, dorée, azuréenne, l'eau miroitante et lisse avait déjà,commencé à geler sur les rives, ce qui ne semble pas déranger les canards. Je me suis assise sur un rocher pour contempler ces couleurs paradisiaques qui changeaient peu à peu, et fonçaient, et soudain la cloche des Quarante Martyrs a lancé, dans l'espace irisé et immobile, un son énorme de trompette archangélique, avec d'infinies répercussions circulaires; au loin s'est alors élevé le carillon d'une autre église, sans doute celui de la Protection de la Mère de Dieu, c'est la plus proche. Léger, fêlé, trébuchant, adouci...
Je songeais au bonheur que j'avais d'être dans un pays encore paisiblement chrétien, sans doute le dernier. Un pays encore homogène, où à part les ravages de la modernité sur l'architecture, on sent le lien avec les générations précédentes, avec l'histoire.
Le matin, j'avais rencontré un correspondant Facebook au café. Il me disait qu'en dépit des destructions considérables que subit la ville, elle garde quelque chose de très séduisant et de très agréable qu'il a tout d'abord attribué à son passé païen, lequel d'ailleurs n'est pas mort, la "pierre bleue" indestructible, recouverte à présent de baraques à touristes, et puis, a-t-il concédé, à ses nombreux monastères et lieux saints. Il n'aime cependant pas le néopaganisme qu'il trouve comme moi, et comme Skountsev, factice, et manipulé par des forces mondialistes ténébreuses pour accentuer les divisions. Car me dit-il, "nous n'avons plus de gouvernement naturel et normal. Il est bien évident que la démocratie n'existe pas et n'existera jamais, et que nous avons laissé assassiner des monarques qui nous protégeaient pour livrer nos populations à des oligarchies apatrides qui commettent et commettront n'importe quelles horreurs. Mais comment ressusciter tout cela?
- Cela ne me paraît guère possible, ou alors, après que nous serons allés au bout de la destruction, si nous ne sommes pas tous morts, cela se fera peut-être au bout de quelques siècles, d'une façon naturelle...
- On dit en Russie que lorsqu'on atteint le fond, on entend encore quelqu'un frapper par dessous!
- Chez nous, quand on atteint le fond, on creuse!"
La veille j'avais eu un échange, sur une page de ce même Facebook, consacrée à la mémoire du Goulag et des répressions. Il est évident pour moi que cette mémoire doit être gardée, et je suis révoltée par les tentatives de blanchiments de rouges pratiquées par divers néocommunistes qui assènent des slogans et des contre-vérités comme des coups de poings. Mais là, j'avais affaire à un autre genre de déviation. Un intellectuel fumeux, à nom et prénom balte, expliquait doctement que "la dégradation morale des Russes remontait au joug mongol", le servage et l'Union soviétique étant dans la droite ligne, c'est-à-dire que pour les membres de ce groupe, il ne serait pas concevable d'incriminer autre chose que la foncière cochonnerie des Russes, leur barbarie profonde. C'est le genre de thèses que développent des gens comme BHL et Glucksmann, et la propagande américaine en Ukraine, en dédouanant complètement les intellectuels juifs russophobes comme Trotski et les libéraux pro-occidentaux qui ont favorisé la révolution et ses conséquences. Au début, j'ai expliqué que la Russie avait une culture très originale, unique, qu'elle m'avait beaucoup apporté, enfin, je n'avais pas compris tout de suite à qui j'avais affaire. Une créature a émis le soupçon que je n'étais pas une personne réelle vivant en Russie avec de l'argent honnêtement gagné. "Pourquoi? Parce que j'aime votre pays de merde qu'on ne peut que haïr? Je préfère ne plus jamais avoir affaire à des gens comme vous!"
Et en effet, ils m'ont fait une impression abominable. Comme si j'avais étourdiment envoyé la balle d'or de la sainte Russie dans un marécage plein de cadavres pourrissants. En réalité, ils descendent en doite ligne de ces mêmes libéraux du XIX° siècle qui méprisaient leur propre peuple et ne se sont jamais intéressés ni sa vie, ni à sa culture, ni à son génie, mais en traçaient un tableau misérabiliste et malhonnête, parce qu'ils auraient préféré des bourgeois ou prolétaires allemands à des paysans archaïques, ce qui permet à la propagande libérale, comme à la propagande communiste, de continuer à le calomnier. Leurs discours sont froids et mortifères, leurs paroles creuses, mais leur certitude d'être très intelligents absolument inébranlable.
Songeant à cela, sur ma pierre, en écoutant les cloches, je me rappelais le documentaire sur les vieux-croyants, que j'ai vu deux fois, déjà. Le sonneur de cloches qui vibre des pieds à la tête au son de son propre carillon, et sa ferveur, sa grâce. C'était ça le peuple russe, c'étaient des gens extrêmement vivaces, fervents et habités, en prise directe avec le cosmos, et avec le Souffle de Dieu. J'avais senti cette puissante vitalité également dans le début du Don paisible de Mikhaïl Cholokhov. Je vois parfois des documentaires sur des Français d'autrefois tout à fait charmants et parfois très sages, mais je n'y trouve pas ce qui m'apparaît chez ces vieux-croyants. On sent il est vrai quelque chose de comparable dans les romans de Giono, dans un registre essentiellement païen, panthéiste. Mais ces Français que je vois interviewer, pittoresques, pleins de bon sens et de courage, semblent vivre dans un quotidien sans transcendance. C'est d'ailleurs le souvenir que je garde de mon enfance française, le souvenir d'une douceur de vivre dénuée de transcendance. On dit des vieux-croyants qu'ils sont très formalistes, mais il me semble que c'est nous qui ne savons plus assez le sens de ces formes qu'ils respectent avec tant de ferveur. Ils sont dans une dimension sacrée permanente, traversés par les forces naturelles et orientés vers le ciel et il ne semble pas y avoir de contradiction entre ces deux aspects. Et leurs visages paisibles et dignes ne respirent pas seulement le bonheur mais une espèce d'inspiration. Ils nous renvoient peut-être un dernier reflet de ce que nous avons été un jour et dont les traces du moyen âge nous donnent un aperçu. Ce sont des gens comme eux qu'on dékoulakisait, qu'on affamait, qu'on envoyait au goulag et sur lesquels s'attendrissent prétendument les intellectuels auxquels j'ai eu affaire, en faisant remonter leur dégradation morale à l'invasion mongole. J'en ai connu, de ces intellectuels, confits dans les visites de musée et les dissertations savantes sur la littérature ou la musique, ils m'ont toujours fait périr d'ennui. Je préfère la fréquentation des folkloristes, les seules personnes au monde qui me restituent un peu de ce qu'on gardé ces vieux-croyants exilés en Moldavie et qui m'a si passionnément manqué toute ma vie.
Je songeais au bonheur que j'avais d'être dans un pays encore paisiblement chrétien, sans doute le dernier. Un pays encore homogène, où à part les ravages de la modernité sur l'architecture, on sent le lien avec les générations précédentes, avec l'histoire.
Le matin, j'avais rencontré un correspondant Facebook au café. Il me disait qu'en dépit des destructions considérables que subit la ville, elle garde quelque chose de très séduisant et de très agréable qu'il a tout d'abord attribué à son passé païen, lequel d'ailleurs n'est pas mort, la "pierre bleue" indestructible, recouverte à présent de baraques à touristes, et puis, a-t-il concédé, à ses nombreux monastères et lieux saints. Il n'aime cependant pas le néopaganisme qu'il trouve comme moi, et comme Skountsev, factice, et manipulé par des forces mondialistes ténébreuses pour accentuer les divisions. Car me dit-il, "nous n'avons plus de gouvernement naturel et normal. Il est bien évident que la démocratie n'existe pas et n'existera jamais, et que nous avons laissé assassiner des monarques qui nous protégeaient pour livrer nos populations à des oligarchies apatrides qui commettent et commettront n'importe quelles horreurs. Mais comment ressusciter tout cela?
- Cela ne me paraît guère possible, ou alors, après que nous serons allés au bout de la destruction, si nous ne sommes pas tous morts, cela se fera peut-être au bout de quelques siècles, d'une façon naturelle...
- On dit en Russie que lorsqu'on atteint le fond, on entend encore quelqu'un frapper par dessous!
- Chez nous, quand on atteint le fond, on creuse!"
La veille j'avais eu un échange, sur une page de ce même Facebook, consacrée à la mémoire du Goulag et des répressions. Il est évident pour moi que cette mémoire doit être gardée, et je suis révoltée par les tentatives de blanchiments de rouges pratiquées par divers néocommunistes qui assènent des slogans et des contre-vérités comme des coups de poings. Mais là, j'avais affaire à un autre genre de déviation. Un intellectuel fumeux, à nom et prénom balte, expliquait doctement que "la dégradation morale des Russes remontait au joug mongol", le servage et l'Union soviétique étant dans la droite ligne, c'est-à-dire que pour les membres de ce groupe, il ne serait pas concevable d'incriminer autre chose que la foncière cochonnerie des Russes, leur barbarie profonde. C'est le genre de thèses que développent des gens comme BHL et Glucksmann, et la propagande américaine en Ukraine, en dédouanant complètement les intellectuels juifs russophobes comme Trotski et les libéraux pro-occidentaux qui ont favorisé la révolution et ses conséquences. Au début, j'ai expliqué que la Russie avait une culture très originale, unique, qu'elle m'avait beaucoup apporté, enfin, je n'avais pas compris tout de suite à qui j'avais affaire. Une créature a émis le soupçon que je n'étais pas une personne réelle vivant en Russie avec de l'argent honnêtement gagné. "Pourquoi? Parce que j'aime votre pays de merde qu'on ne peut que haïr? Je préfère ne plus jamais avoir affaire à des gens comme vous!"
Et en effet, ils m'ont fait une impression abominable. Comme si j'avais étourdiment envoyé la balle d'or de la sainte Russie dans un marécage plein de cadavres pourrissants. En réalité, ils descendent en doite ligne de ces mêmes libéraux du XIX° siècle qui méprisaient leur propre peuple et ne se sont jamais intéressés ni sa vie, ni à sa culture, ni à son génie, mais en traçaient un tableau misérabiliste et malhonnête, parce qu'ils auraient préféré des bourgeois ou prolétaires allemands à des paysans archaïques, ce qui permet à la propagande libérale, comme à la propagande communiste, de continuer à le calomnier. Leurs discours sont froids et mortifères, leurs paroles creuses, mais leur certitude d'être très intelligents absolument inébranlable.
Songeant à cela, sur ma pierre, en écoutant les cloches, je me rappelais le documentaire sur les vieux-croyants, que j'ai vu deux fois, déjà. Le sonneur de cloches qui vibre des pieds à la tête au son de son propre carillon, et sa ferveur, sa grâce. C'était ça le peuple russe, c'étaient des gens extrêmement vivaces, fervents et habités, en prise directe avec le cosmos, et avec le Souffle de Dieu. J'avais senti cette puissante vitalité également dans le début du Don paisible de Mikhaïl Cholokhov. Je vois parfois des documentaires sur des Français d'autrefois tout à fait charmants et parfois très sages, mais je n'y trouve pas ce qui m'apparaît chez ces vieux-croyants. On sent il est vrai quelque chose de comparable dans les romans de Giono, dans un registre essentiellement païen, panthéiste. Mais ces Français que je vois interviewer, pittoresques, pleins de bon sens et de courage, semblent vivre dans un quotidien sans transcendance. C'est d'ailleurs le souvenir que je garde de mon enfance française, le souvenir d'une douceur de vivre dénuée de transcendance. On dit des vieux-croyants qu'ils sont très formalistes, mais il me semble que c'est nous qui ne savons plus assez le sens de ces formes qu'ils respectent avec tant de ferveur. Ils sont dans une dimension sacrée permanente, traversés par les forces naturelles et orientés vers le ciel et il ne semble pas y avoir de contradiction entre ces deux aspects. Et leurs visages paisibles et dignes ne respirent pas seulement le bonheur mais une espèce d'inspiration. Ils nous renvoient peut-être un dernier reflet de ce que nous avons été un jour et dont les traces du moyen âge nous donnent un aperçu. Ce sont des gens comme eux qu'on dékoulakisait, qu'on affamait, qu'on envoyait au goulag et sur lesquels s'attendrissent prétendument les intellectuels auxquels j'ai eu affaire, en faisant remonter leur dégradation morale à l'invasion mongole. J'en ai connu, de ces intellectuels, confits dans les visites de musée et les dissertations savantes sur la littérature ou la musique, ils m'ont toujours fait périr d'ennui. Je préfère la fréquentation des folkloristes, les seules personnes au monde qui me restituent un peu de ce qu'on gardé ces vieux-croyants exilés en Moldavie et qui m'a si passionnément manqué toute ma vie.