La fête des « gens heureux » est une
épreuve terminée. Hier soir, Il y avait un monde fou dans l’appartement à côté,
Génia et sa petite amie, un couple de folkloristes et leur gamine turbulente qui menaçait de tout casser, un jeune homme, une jeune femme, Katia,
Ira, bien sûr. J’ai un tel besoin d’être un peu tranquille que je me sentais
complètement hébétée. Ils ont chanté, moi aussi, mais je n’étais pas à ce que
je faisais.
Le matin, je me demandais comment j’allais
affronter la journée. La cuisine est sens dessus dessous. Les poires et les
concombres menacent de pourrir, le jardin retourne à l’état sauvage, et il est si détrempé que je ne peux pas le tondre. Moustachon
m’a dès l’aube réveillée en fanfare en m’apportant un oiseau qu’il a lâché sous
le lit. J’ai pu sauver le pauvre animal.
La fête avait lieu derrière le village de
Gorodichtché dont on devine qu’il a dû être d’une beauté fantastique, mais de
nombreuses villas "mon rêve" de moscovites ou de locaux enrichis ont
considérablement cassé l’atmosphère. Il domine le lac de sa belle église
blanche à cinq coupoles bleues. Et je le contemplais, ce lac, dans le vacarme
d’une sono qui diffusait, comme bien souvent, de la merde.
C’est moi qui devais ouvrir le concert, où sont venus se produire des tas de gens, les uns après les autres. Avec les micros, la sono, les badauds,
les étals d’artisanat ou de produits fermiers. Une bonne femme m’a présentée
comme quelqu’un de positivement extraordinaire, la Française férue de folklore
venue s’installer ici. J’étais poursuivie par la trouille irrationnelle qu’un
affreux type qui m’injurie sur les sites de Pereslavl, et injurie également
tous ceux qui défendent le lac et les derniers endroits pittoresques du coin,
vînt faire du scandale, ce qui, évidemment, ne s’est pas produit. D’ailleurs,
une fois sur cette scène, je n’y ai plus
pensé. J’ai chanté mes deux chansons cosaques marrantes, aux gousli, et une
complainte bretonne, à la vielle à roue, « la Vierge et saint
Jean-Baptise », car c’est le carême de la Dormition qui commence. Je ne
dis pas que j’ai été acclamée par des foules en délire, car la foule était
partout occupée à choisir des fromages ou à acheter des jouets ou des céramiques, mais
j’ai fait ma petite impression, pas mal de gens sont ensuite venus me
trouver. Je me suis cependant promis de ne plus m’embarquer dans ce genre de galère.
Les soirées - au café français, ou chez moi, ou dans d’autres endroits plus
intimes. C’est trop fatigant, tout ça. Et puis quand j’ai écouté Génia et compagnie qui
ont pris ma suite, je me suis rendu compte que la sono et le folklore
n’allaient pas ensemble, c’était terriblement bruyant. Ceux qui sont passés
ensuite donnaient nettement dans la « culture de kolkhose ».
Une dame m’a abordée, elle s’appelle Ioulia,
et elle est guide à Moscou. Elle a fait un jeu « Alexandre Nevski »,
pour les enfants, qu'elle m'a offert, et en ferait bien un « Ivan le Terrible », car elle
s’occupe également de l’école du dimanche de sa paroisse, et du reste, son jeu,
je l’avais vu dans la mienne, de paroisse. Elle attend la sortie de Yarilo avec
impatience. Je ne sais pas comment elle en a entendu parler, mais du coup, je
me dis qu’il aura peut-être plus de retentissement qu’en France, il pourrait d’ailleurs
difficilement en avoir moins...
Elle m’a dit qu’elle ne savait pas comment
parler d’Ivan le Terrible pendant ses excursions, et je lui ai avoué que
moi-même, je redoutais les réactions. «S’il avait été entièrement mauvais,
a-t-elle ajouté, il n’aurait pas laissé le pays plus grand et plus puissant qu’il
ne l’a trouvé ».
J‘ai ensuite rencontré dans un stand Anastassia,
qui s’occupe du centre culturel « the Place », à Rostov. Elle était
avec une charmante céramiste qui, à 50 ans, a décidé qu’elle ne perdrait pas
davantage sa vie à la gagner dans la publicité, et elle a quitté Moscou pour la
province et l’aventure créatrice. Anastassia serait prête à organiser une
présentation de Yarilo quand il sortira. Nous avons vu le père Pantaleimon,
higoumène du monastère saint Daniel, et il a acheté une belle icône en bois
sculpté de saint Georges, que j’aurais prise, s’il ne s’était pas décidé, et
cela n’aurait pas été très raisonnable. Je suis contente qu’elle soit revenue
au père Pantaleimon. « Qu’il est beau garçon, cet homme, nous dit ensuite
une dame présente, est-ce qu’il est vraiment tout à fait moine ? Même sa
barbe n’arrive pas à le défigurer !
- Ah oui, il est même higoumène !
- Il est bien jeune pour être higoumène...
- Notre évêque aussi, est jeune. Ils sont
tous les deux très intelligents.
- Ca se voit !»
Anastassia et la céramiste prétendaient qu’ici,
c’était la dictature, je leur ai dit : « Regardez, nous sommes là,
détendues, sans masque, sans passe sanitaire, nous avons une vie normale, en
France, c’est la maison de fous en permanence, les gens vont bientôt perdre
leur travail sans indemnités s’ils ne montrent pas leur pass vaccinal, ils ne
peuvent aller nulle part, on leur prend des amendes monstrueuses, et certains
font même de la prison. Je les vois tous se promener avec leur couche
culotte sur la figure, regardez autour de nous, vous en voyez, des muselières ?»
J’étais complètement ahurie. J’aurais grand
besoin de solitude, de paix, de quelques jours sans sollicitations ni
obligations, ni invitations.