Je me suis avisée ce matin que la venue imminente de la fête de la Théophanie marquait le cinquantième (cinquantième!!!) anniversaire de mon entrée dans l'orthodoxie. J'allais avoir dix neuf ans, j'étais étudiante aux Langues O. J'avais été introduite à l'église de Vanves par mon professeur de russe, madame Marcadé; pourtant très opposée, par la suite, à ma conversion. Après avoir rencontré le père Serge Chevitch, j'avais dit à ma famille que j'avais vu un saint, ce qui n'avait pas été acceuilli avec beaucoup de sérieux. Pourtant, c'était le cas. Mais c'était le père Barsanuphe qui m'avait prise en mains, en fin de compte. Et après avoir passé trois mois à courir me geler au skite du Saint Esprit avec le bel enthousiasme de la jeunesse, j'avais sauté le pas pour la Théophanie.
Je me souviens que ma tante Renée était venue assister à la chose et que cela m'avait déstabilisée. J'avais ressenti tout à coup une trouille immense, alors que je ne rêvais que de ça depuis trois ans. J'avais l'impression d'accomplir quelque chose de fatal qui dépassait mon intention de départ, de sortir de ma matrice française. Des années plus tard, alors que je m'étais éloignée de l'Eglise pour toutes sortes de raisons, madame Marcadé m'avait dit qu'elle était hostile aux conversions de Français, parce que cela les coupait de leurs racines, mais qu'une fois que c'était fait, ils ne revenaient pas en arrière et que par conséquent, elle me priait, "bougre de gourde", de reprendre une pratique religieuse.
Dans le train qui me ramenait en province, j'avais rencontré un moine de saint Antoine le Grand, le monastère du père Placide, et lui avais rapporté les paroles de madame Marcadé. "Les racines des orthodoxes français sont au ciel", m'avait-il répondu.
Pourtant, par la suite, d'abord en Russie, puis au monastère de Solan, je m'étais aperçue que ma petite greffe entée sur l'arbre orthodoxe retrouvait une sève ancestrale qui me reliait au plus ancien de cette matrice française, ce plus ancien, ce plus vivifiant, ce plus éternel que des scories récentes m'avaient masqué.
Je regrettais que l'événement n'eût pas eu lieu pour Pâques, mais cette fête de la Théophanie m'est au fil des années devenue très chère. D'abord, elle précède de peu mon anniversaire, elle est liée à l'eau et à l'Esprit, au coeur de l'hiver, et elle s'accompagne toujours pour moi, sinon de révélations, du moins de signes.
Je me suis couchée hier baignée de larmes, en pensant à ma famille, à mon oncle Henry, et j'avais du mal à m'endormir. D'autant plus que les sermons et considérations religieuses que je vois passer sur internet me découragent plutôt qu'autre chose. Au réveil, je me sentais légère, paisible, ma tristesse était devenue lumineuse. Si nulle que je sois sur le plan spirituel, Dieu ne me laisse pas tomber.
Ce soir, j'irai aux vigiles de la Théophanie à l'église des Quarante Martyrs, à l'embouchure de la rivière, où officiera monseigneur Théoctyste. J'aurais pu aller à un autre endroit où l'on m'avait invitée, mais nous avons pour une fois des températures de saison, le gel de la Théophanie, traditionnellement le point culminant de l'hiver, il fait - 26. Je ne voulais pas me lancer sur les routes avec un retour de nuit.
les eaux du Jourdain, vers spirituel intrerprété par
Andreï Baïkalets et Ekaterina Kotova