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mercredi 2 octobre 2019

Thuyas

Les nouvelles de plus en plus affreuses me semblent un songe maléfique dès que je regarde par la fenêtre mon paisible paysage russe. Je suis partie avec Ritoulia me promener dans le vent chargé de pluies bleues et de rayons d'or. Le long de l'ancienne berge du lac on a commencé à brûler les ordures, ce qui dégageait dans l'air humide de nauséabonds relents de plastique.On a mis deux pancartes comminatoires pour rappeler aux malotrus de ne pas prendre la nature pour une décharge. C'est bon signe.
J'aime particulièrement ce temps très court où, devant l'imminence de l'hiver, les arbres font une fête de plus en plus frénétique, et dans leurs atours déchirés d'or et de pourpre, se donnent en titubant, ivres du sommeil qui les gagne, au vent encore doux qui leur vole des feuilles au passage et fuit à ma rencontre, me secoue et me laisse. J'ai alors du mal à croire que je suis déjà si vieille et que je traîne la patte, et devant le ciel béant, j'essaie d'évaluer ce qui m'attend, d'en prendre la mesure, comme d'une robe beaucoup trop grande, et beaucoup trop splendide.
Les prés prennent des tons de brocart ou de tapis précieux, avec des moirures d'un or écaillé qui se fane et luit. Le ciel tombe dans le miroir des flaques. Les saules deviennent de grosses mongolfières vaporeuses et cuivrées que retiennent au sol des branches noires enchevêtrées, on les dirait prêts à partir vers ces montagnes d'air et ces gouffres bleus qui s'ouvrent.
Je pense à ceux qui ont parcouru Pereslavl et le hantent toujours à mes côtés, le prince Alexandre. Le tsar Ivan et Fédia. Comme s'ils m'avaient conduite ici, et m'accompagnaient, invisibles. Quand j'ai commencé à les aimer, à les laisser me séduire et me terrifier, j'avais quinze ans, c'était il y a tellement longtemps, sans doute ne me voient-ils pas vieille, ils accompagnent la fille de quinze ans, et c'est sans doute cette adolescente qui franchira, chassée d'un corps de moins en moins ressemblant et de moins en moins habitable, le seuil mystérieux d'un monde inimaginable.
J'ai fait une aquarelle, en essayant de ne pas traîner, pour ne pas être prise sous une averse. Ritoulia ne raffole pas de mes expéditions cosmiques, elle s'assied, et attend que je la mette dans le sac-à-dos. Ce qui lui plaît, c'est la direction du café français, les rues, les passants, voir du monde et se faire admirer et gâter.
J'ai eu tout un échange sur mes thuyas, avec visiblement, un jardinier compétent et raffiné, c'est vrai, le thuya, c'est con, mais cela vient aussi beaucoup de la façon dont on l'utilise, et ici, la gageure est d'arriver à faire quelque chose de joli avec ce qu'on trouve et avec des artisans qui ont un goût immonde. Ne pouvant planter des sapins ou des mélèzes qui deviennent énormes, ni des saules pour la même raison, et en plus ils perdent leur feuilles, je me suis rabattue sur l'affreux thuya dont raffolent les Russes. Mais ma surface de thuyas est assez limitée, il s'agit juste de créer le plus vite possible un écran persistant entre ma maison et celle du voisin qui est, disons, très présente...
Curieusement, ces thuyas ne me déplaisent pas tant que cela. Ils prennent un air ébouriffé, car ils poussent comme ils veulent, et créent des éléments verticaux, quelque chose qui m'évoque les cyprés du midi. En hiver, chargés de neige, ils ploient gracieusement sous ce blanc vêtement. Bien sûr, au lieu de suivre le conseil de la paysagiste, je pourrais intercaler autre chose entremi, mais quoi? autre chose de vertical, évidemment.

Lorsque j'ai planté le thuya du milieu, il y a trois ans, il était de la taille de celui de droite. Il a doublé. Il me semble qu'un écran vert n'est pas superflu. 




2 commentaires:

  1. Peut être pourriez vous planter des érables du Japon qui donnent des feuilles flamboyantes à l'automne...
    Mais à pailler en dessous de-10....(?)...

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    1. Par principe, je choisis des plantes adaptées au climat et au sol. Je vis dans un pays très froid et le sol est marécageux. Bien sûr, je suis dans une certaine mesure obligée d'essayer d'adapter par exemple les arbres fruitiers, sinon je n'aurais rien. Mais autrement, je ne me lance pas dans les espèces à protéger l'hiver. Aucun érable ne pousse dans mon coin, c'est probablement trop humide. Il y pousse des saules, des peupliers, des bouleaux, même les sapins y sont rares.

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